« Notre étude offre de nouveaux aperçus, jusque-là insoupçonnés, sur la pathogenèse du lupus, en suggérant le rôle d'une prolifération atypique de certaines bactéries résidant dans nos intestins. Il ne s'agit pas vraiment d'une infection, mais plutôt d'un déséquilibre parmi les bactéries qui sont par ailleurs utiles et essentielles pour la santé en général. Notre étude apporte en outre des résultats préliminaires sur un nouveau type de test sanguin qui devrait faciliter le diagnostic précoce, et permettre d'identifier les patients à grand risque de développer une néphrite dont le pronostic est sombre », explique au Quotidien le Dr Gregg Silverman, professeur de médecine à la NYU School of Medicine (New York). L'étude est publiée dans la revue Annals of Rheumatic Diseases.
« Le lupus systémique (ou lupus érythémateux disséminé) est une maladie peu commune (affectant environ 1 américain sur 1 000) et les femmes sont généralement touchées 9 fois plus souvent que les hommes. La maladie débute le plus souvent chez les adolescents et les jeunes adultes, mais elle peut être diagnostiquée chez les nourrissons et même les personnes âgées », précise le Dr Silverman. « Malheureusement le diagnostic peut être difficile, en partie parce que la présentation initiale peut être très progressive ou affecter différents organes, voire ressembler à une infection virale. ».
Une dysbiose intestinale corrélée à l'activité du lupus
Son équipe a analysé le microbiote fécal de 61 patientes souffrant du lupus et de 17 femmes témoins en bonne santé (cohorte de découverte). Ces femmes, de race différente, étaient hétérogènes pour l'activité de la maladie et l'atteinte de l'organe.
Cette analyse révèle que les patientes présentent une dysbiose du microbiote intestinal dont la sévérité est corrélée à l'activité du lupus. De façon remarquable, le microbiote intestinal de ces patientes présente une surabondance (5 fois plus en moyenne) de bactéries Ruminococcus gnavus (RG, de la famille Lachnospiraceae), et cette prolifération est plus élevée encore chez les patientes qui ont un lupus très actif (8 fois plus) et une néphrite lupique.
Les patientes présentent aussi souvent des signes de perturbation de la barrière intestinale (tels que des taux plus élevés d'IgA sécrétoires et un plus grand nombre de bactéries RG enrobées d'IgA dans les selles), ce qui pourrait permettre à des composants bactériens de passer à travers cette barrière et de déclencher une réaction immunitaire.
Un taux d'anticorps plus élevé
De fait, l'abondance intestinale des bactéries RG est corrélée aux taux sériques d'anticorps dirigés contre certaines souches du RG. Ces anticorps anti-RG sériques, ciblant un lipoglycane de certaines souches, sont corrélés à l'activité du lupus, et les taux d'anticorps sont le plus élevés chez les patientes ayant une néphrite lupique.
Il est intéressant de noter que les membres de la famille Lachnospiraceae, comme le RG, dégradent (ou se nourrissent) des polysaccharides, y compris ceux de la couche muqueuse tapissant l'intestin, ce qui pourrait fragiliser la barrière intestinale et perméabiliser l'intestin.
Enfin, ces résultats ont été confirmés dans deux autres petites cohortes incluant des femmes mais aussi des hommes souffrant du lupus.
Éliminer le lypoglicane
Ainsi donc, ces résultats suggèrent que, chez certains patients, des déséquilibres bactériens pourraient favoriser le développement du lupus et de ses poussées. La pénétration de bactéries à partir de la lumière intestinale pourrait déclencher une réaction immunitaire attaquant des organes lors des poussées du lupus. Les chercheurs préviennent toutefois que de plus larges études sont nécessaires pour confirmer que cette bactérie est bien en cause.
« Nous avons bon espoir que, si nos conclusions s'avèrent exactes, il nous suffira peut-être de trouver une intervention qui élimine une seule toxine bactérienne, le lipoglycane, libérée par la bactérie Ruminococcus gnavus ; ou bien de développer une approche pour que d'autres bactéries intestinales évincent les mauvaises bactéries que nous avons identifiées », confie au Quotidien le Dr Silverman.
« Nous allons étudier toutes ces hypothèses et travailler au développement de meilleurs marqueurs pronostiques et d'un test diagnostique plus précoce du lupus. Nous allons commencer en outre des études sur des patients nouvellement diagnostiqués afin de mieux comprendre à quel moment ces bactéries prolifèrent pendant le lupus. Et nous examinerons aussi de plus près quelles sont les souches précises de ces bactéries commensales qui seraient impliquées dans le processus pathologique du lupus. ».
Causes génétiques, antibiothérapie...
« Les maladies auto-immunes sont généralement en augmentation chez les Américains et les Européens de l'Ouest, le lupus en étant un exemple. La génétique est certes importante, mais des études portant sur des jumeaux identiques suggèrent que l'hérédité n'est pas le seul facteur déterminant puisque le jumeau d'un patient souffrant de lupus systémique n'a que 25 à 50 % de risque de le développer.».
«Certaines données semblent indiquer que les microbiotes intestinaux des patients souffrant de lupus sont plus instables et plus susceptibles d'osciller vers un déséquilibre, peut-être après différents chocs au système comme une antibiothérapie anti-infectieuse. Nous ne savons pas si cela est lié à la génétique ou même à des expositions précoces. À l'université de New York, Martin Blaser a montré que les multiples antibiotiques que nous recevons dans l'enfance, ou qui sont introduits dans nos aliments, peuvent être responsables des déséquilibres du microbiote. D'autres études suggèrent que des déséquilibres du microbiote intestinal pourraient résulter d'une naissance par césarienne, ou de l'absence d'un allaitement au sein avec son effet bénéfique sur le système immunitaire du nourrisson. Les aliments transformés et certains médicaments peuvent aussi contribuer à la perméabilité intestinale. Mais pour l'instant, nous ne savons pas lequel de ces facteurs est le plus important», poursuit le Dr Silverman.
«Il est encore trop tôt pour envisager un régime alimentaire spécifique ou prendre un probiotique particulier, voire même considérer un transfert de selles chez des patients sévèrement affectés par le lupus, mais nous prévoyons d'examiner plus en détail chacune de ces approches», laisse-t-il entrevoir.
D. Azzouz et al, Annals of Rheumatic Diseases, 10.1136/ annrheumdis-2018-214856, 2019
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