Comment décarboner les médicaments et les dispositifs médicaux (DM) ? Tel est le sujet de deux rapports du Shift Project. De la conception à la consommation, en passant par la fabrication, l’emballage et la vente et la consommation, les produits destinés au marché français ont généré respectivement 9,1 et 7,4 millions de tonnes de dioxyde de carbone en 2023.
« Les émissions des médicaments consommés en France sont équivalentes à celles de l’ensemble de l’industrie agroalimentaire française », illustre Baptiste Verneuil, ingénieur au sein de la chaire Respect (pour Résilience en santé, prévention, environnement, climat et transition) à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et chargé de recherche « Énergie, santé, climat » au sein du Shift Project. La fabrication de principes actifs (25 % des émissions pour les médicaments) et de matières premières (entre 45 et 55 % selon la catégorie de dispositif médical considérée) reste la première source d’émission de gaz à effet de serre (GES).
Dans un rapport « Décarboner la santé durablement » publié en avril 2023, le Shift Project avait estimé que le secteur de la santé représentait 8 % des émissions nationales de GES, dont environ la moitié était imputable aux médicaments et dispositifs médicaux.
Rapatrier la production en Europe
Le Shift Project avance une diminution potentielle de 68 % de l’empreinte carbone pour les médicaments et de 72 % pour les dispositifs médicaux. En ce qui concerne les médicaments, la relocalisation et l’électrification de la production de matières premières (principes actifs, excipients, conditionnement…) sont mises en avant. La majorité des principes actifs viennent d’Asie, où le mix énergétique y est fortement carboné. La production d’un médicament en France émet moitié moins de CO2 qu’en Chine et celle en Europe 40 % de moins. Vorace en énergie et en vapeur d’eau (pour le vapocraquage), la fabrication de principes actifs a une intensité énergétique estimée à 65 kg de CO2 par kg de produit, soit105 fois celle du ciment. Avec ces différents leviers, il serait théoriquement possible de réduire de près d’un tiers la totalité de la quantité de gaz émise tout au long de la chaîne de valeur des médicaments.
Les auteurs proposent aussi de décarboner les essais cliniques, responsables de 13 % des émissions de la filière des médicaments et de 6 % de celles de la filière des DM. Selon Mathis Egnell, chargé de programme au sein du Shift Project, il existe deux pistes pour y parvenir. « La première est la réduction du gaspillage, entre 50 et 70 % des lots cliniques sont aujourd’hui jetés car ils ne sont pas produits en continu, explique-t-il. Le deuxième point est la digitalisation. En utilisant des cohortes synthétiques ou en faisant de la télémédecine, on peut fortement réduire les visites médicales nécessaires. Il est aussi possible de jouer sur le stockage des données, en recourant au stockage froid (1) des données les moins souvent consultées. »
Le bateau plutôt que l’avion
Fret et logistique occupent aussi une place importante dans les préconisations des Shifters. L’abandon du fret aérien au profit du fret maritime et l’électrification des camions pour les derniers kilomètres parcourus pourraient faire baisser les émissions. « Des expérimentations sont en cours du côté des grossistes répartiteurs pour une seule livraison par jour et par pharmacie », complète Robin Henocque, pharmacien chargé de mission « Industries de santé » au Shift Project.
Autres mesures, il est proposé de privilégier les dispositifs réutilisables mais aussi de revenir sur la distribution du protoxyde d’azote par les hôpitaux, ce qu’avait déjà pointé la Société française d’anesthésie-réanimation (Sfar). « Quatre-vingt-dix pour cent du protoxyde d’azote distribué dans ces réseaux fuient », alertent les auteurs. Comme il serait utile de se pencher sur les formulations médicamenteuses : un comprimé permet une baisse des émissions de plus de 75 % par rapport à une forme intraveineuse, et les brumisateurs et autres inhalateurs à poudre émettent 20 fois moins de gaz à effet de serre au cours de leur cycle de vie que les inhalateurs pressurisés.
Pour les dispositifs médicaux, les émissions dépendent de la nature des matières premières. La seule fabrication de consommables destinés à la France engloutit environ 200 000 tonnes de granulés plastiques et 75 000 tonnes de viscose chaque année. Le secteur nécessite aussi de l’acier, de l’aluminium et des composants électroniques pour produire des dispositifs médicaux aussi variés que des orthèses, des consommables (gants, seringues, produits d’incontinence…), des équipements d’imagerie, des équipements électro médicaux, des aides techniques (lits médicalisés, fauteuils roulants) ou encore des prothèses auditives.
Difficile donc d’appliquer une solution unique à tous les cas de figure et le rapport présente une fiche par type de dispositif. Selon les auteurs, la décarbonation de ce secteur est avant tout l’affaire des fournisseurs : plasturgie, métallurgie, textile, etc. Avec une idée directrice : privilégier les acteurs bas-carbone et la relocalisation (en particulier gants, masques et casques mais aussi lunettes et prothèses auditives, très dépendantes du fret aérien). « La décarbonation doit être proactive - c’est difficile de décarboner une chaîne de valeur déjà en place - et impliquer l’ensemble des acteurs », complète Robin Henocque.
Le pire est à venir
Mais le temps presse pour y parvenir, les quantités de médicaments et de dispositifs médicaux consommés vont continuer à croître en France, sous le double effet du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques. En outre, la part croissante des biothérapies et des thérapies géniques risquent bien de faire déraper les émissions du secteur. « Notre modélisation est pertinente pour réduire l’empreinte des médicaments tels qu’ils sont actuellement consommés en France, insiste Mathis Egnell. Nous restons très prudents quand au futur du marché pharmaceutique. »
Quelle réponse des pouvoirs publics face à ce constat ? Depuis le 1er octobre 2024, toute demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) doit obligatoirement comporter une évaluation environnementale, mais qui ne concerne que le médicament lui-même et sa persistance dans l’environnement. En février 2025, le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, le ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles et la Caisse nationale d’assurance-maladie ont communiqué le résultat d’un travail qu’ils ont piloté, mené par la start-up Ecovamed : une méthodologie de calcul de l’empreinte carbone, dont les industriels peuvent s’emparer afin d’indiquer sur les boîtes les quantités de CO2 émises. Cette démarche n’est toutefois pas obligatoire à ce stade. « On réfléchit actuellement sur la manière d’orienter les acheteurs vers les produits les moins carbonés. Est-ce que cela se basera sur une stratégie de l’offre ? Sur une incitation par la tarification ? C’est encore à l’étude », affirme Claire Traon, directrice Transition écologique et santé environnementale de l’Assurance-maladie.
(1) Les données froides sont placées sur des supports moins performants et moins gourmands en ressources, comme les disques durs classiques, les bandes magnétiques, les disques optiques ou des solutions cloud spécialisées comme Amazon Glacier.
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