Depuis plusieurs années déjà, la thérapie endovasculaire mécanique – ou thrombectomie – est devenue l’un des traitements standards de l’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique des gros vaisseaux cérébraux. Combinée à la thrombolyse, cette technique offre un meilleur pronostic fonctionnel aux patients. Cependant, elle est à ce jour seulement réservée aux AVC de petites ou moyennes tailles en raison d’une potentielle majoration du risque hémorragique en cas d’AVC plus étendu.
Face à ce constat, une équipe japonaise a réalisé une étude multicentrique, dont l’objectif était d’évaluer les bénéfices de la thrombectomie sur les AVC de grande taille. Et les résultats publiés récemment dans « The New England Journal of Medicine » (1) penchent en faveur de la recanalisation mécanique.
Pour ce travail, 202 adultes présentant depuis moins de 24 heures un AVC ischémique aigu étendu, visualisé sur le scanner ou à l’IRM, ont été randomisés en deux groupes. L’un bénéficiait d’un traitement médical seul (thrombolyse par altéplase à 0,6 mg/kg) et l’autre d’un traitement médical plus d’une thrombectomie (endoprothèse, cathéter d’aspiration ou angioplastie par ballonnet). L’ensemble des participants a été évalué sur le plan fonctionnel à 90 jours post-traitement grâce à l’échelle de Rankin modifiée. Ce score allant de 0 à 7 mesure le degré de handicap consécutif à un AVC (0 = aucun symptôme, 1 = pas de handicap significatif, 2 = handicap léger, 3 = handicap modéré, 4 = handicap modérément sévère, 5 = handicap sévère, 6 = décès).
Des scores peu pertinents
L’essai révèle que 31 % des patients du groupe thérapie endovasculaire ont présenté un score de Rankin ≤ 3 contre seulement 12,7 % dans le groupe traitement médical seul. Par ailleurs, bien que le taux de survenue d’une hémorragie intracrânienne dans les 48 heures fut plus élevé dans le groupe thrombectomie (58 versus 31 %), leur expression sur le plan symptomatique était similaire dans les deux groupes.
« Ces résultats s’inscrivent dans une dynamique thérapeutique en faveur de la thrombectomie en cas d’AVC graves, mais la méthodologie de cette étude est très discutable, avertit le Pr Mikael Mazighi, chef du département de neurologie à l’hôpital Lariboisière (AP-HP) et neurologue interventionnel à l’Hôpital Fondation Rothschild (Paris). En particulier, le score Aspects utilisé pour définir la taille de l’AVC a été validé pour le scanner, mais pas pour l’IRM. » Or, dans cette étude, les auteurs ont évalué les AVC avec ce même score pour les deux techniques d’imagerie. « C’est comme s’ils avaient mélangé des pommes avec des poires », argue-t-il.
Ce score conçu pour le scanner permet de cartographier visuellement le territoire de l’artère cérébrale moyenne en 10 zones ; une valeur inférieure à 6 désigne le caractère étendu de l’AVC. Mais utilisé avec une IRM, cet outil a tendance à surévaluer la taille de l’AVC. « De plus, le score Aspects présente un vrai problème de reproductibilité entre praticiens », souligne le neurologue. L’IRM et le scanner de perfusion, grâce à des calculs algorithmiques élaborés, permettent dorénavant d’évaluer en quelques minutes et avec une plus grande précision le volume de l’infarctus.
Par ailleurs, un autre score utilisé dans cette étude préoccupe le Pr Mazighi. L’échelle de Rankin modifiée, ce score d’autonomie fonctionnelle, considéré comme le gold standard dans la communauté neurologique, présente d’après lui de nombreuses limites. « En donnant la priorité aux déficiences dans les domaines physiques plutôt que cognitifs et émotionnels, il sous-estime le véritable fardeau de la maladie supporté par les patients et les soignants », alerte-t-il.
Sachant que plus de la moitié des patients victimes d’un AVC avec un score ≤ 2 présentent des déficiences cognitives et des limitations de la participation sociale et qu’un tiers souffrent de dépression, ce score ne semble pas bien adapté effectivement pour évaluer le réel degré de handicap ressenti par le malade.
Deux études en cours
Cette étude soulève aussi une question éthique majeure. Si la généralisation d’un traitement endovasculaire pour les patients souffrant d’un infarctus cérébral étendu permettra de faire survivre une majorité d’entre eux, combien seront gravement handicapés à l’issue du processus, avec à la clé une qualité de vie médiocre ? « C’est une question cruciale, confirme le neurologue, surtout quand on considère les résultats d’études précédentes concernant le traitement des AVC graves par hémicraniectomie décompressive », un traitement plus invasif que la thrombectomie mais efficace sur la survie.
En effet, ces publications révèlent qu’un plus grand nombre de patients atteints d’un AVC grave traité par hémicraniectomie décompressive présentait un score de Rankin ≤ 3 par rapport à ceux traités uniquement par thrombolyse, mais au prix d’une part importante de survivants souffrant d’un handicap lourd. De ce fait, l’hémicraniectomie reste à ce jour une option thérapeutique exceptionnelle en raison d’un bénéfice minime pour les patients.
« Toutefois, il est peu probable qu’il en soit de même pour la thrombectomie, assure le spécialiste, car elle semble être une thérapie beaucoup plus prometteuse. » En témoignent les conclusions de l’étude, malgré les limites qu’elle comporte. « Mais pour que cette technique s’inscrive comme un traitement de référence de l’AVC ischémique grave, prévient-il, il est indispensable de sélectionner les patients les plus à même de récupérer au maximum leur autonomie à l’issue du geste ». Un objectif que poursuivent deux essais en cours, l’étude française Last et l’étude européenne Tension, fondées sur des critères radiologiques et de qualité de vie plus élaborés que ceux de l’étude japonaise.
(1) S. Yoshimura et al, New Engl J Med, avril 2022. DOI: 10.1056/NEJMoa2118191
(2) L. H. Schwamm et al, New Engl J Med, avril 2022. DOI: 10.1056/NEJMe2201330
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