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Dossier

Douleur

La souffrance, cause invisible de handicap

Publié le 04/12/2015
La souffrance, cause invisible de handicap

douleur
BURGER/PHANIE

Handicap douloureux, douleurs d’origine médicamenteuse… Cette  année, le congrès de la SFETD a permis d’aborder des aspects de l’algologie peu connus en France qui obligent les praticiens à revoir leur « grille de lecture » face à leurs patients douloureux chroniques pour sortir du tout-antalgie.

La douleur est généralement considérée comme un symptôme témoin d’une lésion ou d’une pathologie sous-jacente et prise en charge dans une optique d’antalgie sinon de guérison. Lorsqu’elle se chronicise et qu'elle touche l'appareil locomoteur, elle peut aussi être une cause invisible de handicap comme l’ont souligné plusieurs experts lors du récent congrès de la Société Française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD, Nantes, 12-14 novembre 2015). Plus que de soulager le patient, l’enjeu devient alors de l’aider à s’adapter à sa douleur pour qu’il puisse mieux la contourner et retrouver une activité la plus normale possible.

Passer d'une optique de traitement à une démarche de réadaptation

Cette démarche de « réadaptation » est encore peu répandue en France pour les patients douloureux chroniques dont le handicap n’est pas souvent appréhendé comme tel. « Dans notre expérience, nous sommes frappés de voir qu’un blessé médullaire va souvent être plus actif qu’un patient lombosciatique chronique car son handicap tombe sous le sens et qu’on lui aura appris à composer avec, contrairement au patient lombosciatique souvent entretenu dans un espoir de guérison », témoigne le Dr Michel Morel Fatio (Centre d’évaluation et de réadaptation de la douleur, Coubert) qui intervenait sur ce thème à Nantes. « Il n’est pas rare, poursuit ce spécialiste, de voir des patients qui restent douloureux plusieurs années après un épisode aigu et qui continuent à faire des séances de kinésithérapie dans une optique de traitement de la lésion alors qu’ils tireraient davantage de bénéfices à accepter leur douleur et leur handicap pour mieux s’y adapter. Avec ces patients il faut renégocier le devis pour passer d’une optique de traitement et de rééducation à une démarche de réadaptation ».

L’application de la classification internationale du handicap à la douleur permet de formaliser cette démarche. Elle distingue le stade lésionnel initial et le stade séquellaire et propose une prise en charge spécifique pour chacun d’entre eux. « Au début, la douleur joue son rôle protecteur en induisant les mécanismes d’immobilisation par contraction musculaire et son rôle de signal d’alerte. À ce stade, il est logique d’entreprendre des investigations qui conduiront au diagnostic et permettront de mettre en place un traitement curatif comme des infiltrations, un geste chirurgical, ainsi que de la rééducation, etc. En revanche, au bout d’un certain temps, il va falloir évaluer l’efficacité de ces interventions et éventuellement revoir sa copie ».

Si la douleur persiste plus de 3 à 6 mois après l’événement et qu’il n’y a pas d’argument en faveur d’une récidive, la question d’une éventuelle séquelle et d’une déficience associée doit se poser. Celle-ci peut résulter d’une atteinte neurologique consécutive à la lésion initiale ou au geste chirurgical. Elle peut aussi être renforcée par des processus cognitifs spécifiques avec l’installation d’un état d’hypervigilance vis-à-vis de la douleur qui va conduire à des comportements d’évitement. À ce stade séquellaire, la prise en charge doit avant tout aider le patient à faire le deuil de son état antérieur et l’aider à admettre sa douleur et son handicap. Ensuite, « l’objectif est de lui permettre d’optimiser les moyens qui restent et de compenser ce qui manque ».


Les « Pain Management Programs » au banc d’essai

C’est ce que proposent les Pain Management Programs (PMP) à l’anglo-saxonne. « Ces programmes permettent une prise en charge multidisciplinaire qui vise à améliorer les dimensions physiques, fonctionnelles, psychologiques, affectives et sociales du patient sans pour autant chercher à avoir un effet sur la douleur », résume le Dr Morel Fatio. Encore peu développés en France, hormis dans quelques centres de réadaptation, ils associent, sur plusieurs semaines, activité physique, éducation sur la douleur, éducation sur les médicaments mais aussi, de façon plus récente, les thérapies cognitivo-comportementales.

En aidant le patient à réétalonner son système de vigilance vis-à-vis de la douleur, « les thérapies cognitivo-comportementales jouent un rôle essentiel » souligne le Dr Morel Fatio. évalués outre-Manche et outre-Atlantique, les Pain Management Programs ont fait la preuve de leur efficacité avec une réduction significative de la détresse des patients et de l’incapacité fonctionnelle, un retour au travail significativement amélioré et un recours au soin diminué. Ils suscitent toutefois de nombreuses questions quant à leur coût et aux États-Unis, les organismes payeurs sont déjà en train de rogner sur leur contenu pour en diminuer le prix.

Bénédicte Gatin