Les importantes frustrations liées aux limites des traitements actuels de l’autisme et des troubles envahissants du développement (TED) entretiennent le marché des prises en charges alternatives. Le régime sans gluten et sans caséine (SGSC) est présenté comme un moyen de traiter, voire de guérir l’autisme, « une promesse qui n’est pas sans conséquence », déplore le Pr Jean-Louis Bresson, qui a présidé un groupe de travail sur ce sujet (1). Aux États-Unis, de 30 à 95 % des enfants atteints de TED subissent ce régime contraignant. En France, l’AFSSA a été saisie à la suite de plusieurs cas de malnutrition sévère due au régime SGSC.
Inefficace et dangereux.
Sur internet, l’analyse scientifique est largement écrasée par les informations en faveur du régime SGSC, parfois fournies par des groupes activistes (2) ayant éventuellement des intérêts économiques de par les produits de substitution proposés. Des milliers de papiers ayant l’apparence de la science fournissent une « littérature grise », fondée sur des témoignages individuels.
L’analyse de la littérature réalisée par la saisine est sans appel : très pauvre, des méthodes indigentes, et une seule étude en double aveugle, non concluante. La conclusion du groupe est donc claire : les données actuelles ne permettent pas de conclure à un effet bénéfique du régime SGSC, et il est impossible d’affirmer qu’un tel régime soit dépourvu de conséquences néfastes à court, moyen et long terme. « Même dans la maladie cœliaque, on n’a pas d’étude de long terme sur l’exclusion du gluten et, ici, il s’agit d’une double exclusion. De deux groupes d’aliments majeurs. Par ailleurs, ce régime est socialement excluant, ce qui va contre les recommandations de prise en charge des TED », précise le Pr Bresson.
Éléments à l’appui de ce régime.
Cependant, il est important de pouvoir répondre aux parents submergés par ces informations et de ne pas se contenter de mépriser ce régime en l’interdisant. « C’est nous qui avons décidé d’ajouter l’analyse des arguments aux termes de la saisine », explique le Pr Bresson.Le régime SGSC s’appuie sur la théorie opioïde :
- Des précurseurs opioïdes alimentaires
Il s’agit des peptides opioïdes : séquences d’une dizaine d’acides aminés potentiellement agonistes. On les retrouve dans le gluten (glutéomorphines), la caséine (casomorphines)... Mais aussi dans l’hémoglobine, l’albumine bovine (viande), le cytochrome bêta, les immunoglobulines, le lait maternel, le riz et le maïs (composant du régime sans gluten), le soja (composant du sans caséine), le rubisco (présent dans tous les aliments de couleur verte), et d’autres. « Exclure réellement les peptides opioïdes de l’alimentation revient peu ou prou à manger sa fourchette », résume le Dr Bresson.
On retrouve par ailleurs de nombreux antagonistes opïoides potentiels dans l’alimentation, non pris en compte dans cette théorie.
- Franchiraient la barrière intestinale
Ces peptides sont libérés dans la lumière intestinale mais ne peuvent pas franchir les entérocytes. Les jonctions serrées admettent une certaine porosité, certes, mais pas au-delà de 200 D, poids d’un seul acide aminé. Quant aux transporteurs peptidiques, ce sont des transporteurs de di- ou de tripeptides, jamais au-delà.
- Passant par le sang
On ne détecte pas de peptides opioïdes dans le sang de l’espèce humaine en dehors de la grossesse, elle ne peut être attestée que chez les animaux immatures après ingestion de lait.
Les peptides opioïdes alimentaires n’ont pas d’effet pharmacologique appréciable in vivo (et ils ont été très étudiés dans le cadre du développement des IEC). Les peptides naturels sont rapidement hydrolysés par les peptidases circulantes (comme pour le yaourt).
- S’accumulent dans le cerveau provocant des TED
Pas d’effet démontré des antagonistes opiacés sur la triade autistique dans les essais cliniques contrôlés.
- Ce parcours serait attesté par leur excrétion urinaire
Ce malentendu repose sur une supposée mise en évidence, à l’époque de la chromatographie avec détection UV, peu précise. Avec le développement de techniques plus sensibles, aucun peptide opioïde n’a été identifié dans les urines d’enfant autiste, ni aucune différence entre eux et des sujets contrôles.
- Il y aurait une association épidémiologique entre TED et maladie cœliaque ou MICI
C’est faux. Le dernier scientifique qui le prétendait, Andrew Wakefield en Grande-Bretagne, a été radié de l’ordre pour de lourds conflits d’intérêts. Cette idée s’était développée à partir de l’observation de deux cas cliniques en 1961 et 1969, d’autisme associé à une maladie cœliaque, relevant plus probablement du hasard.
Mieux communiquer.
Si les parents choisissent malgré tout d’imposer ce régime à leur enfant, il faut proposer l’étroite surveillance d’un médecin nutritionniste. « Les personnels de santé devraient être mieux formés aux prises en charge alternatives afin d’aborder librement le sujet avec les familles », conclut le Dr Bresson.
D’après une conférence organisée par l’Association Française des Diététiciens Nutritionnistes (AFDN).
(1) Dr Jean-Louis Bresson (Hôpital Necker), président du groupe de travail de l’AFSSA 2 009 sur ce sujet, membre du comité d’expert spécialisé « Nutrition Humaine ». En savoir plus : http://www.afssa.fr/Documents/NUT-Ra-Autisme.pdf
(2) par exemple TACA aux États-Unis
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