LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN – Après une année d’expérimentation, où en est le dispositif de nutrivigilance ?
Pr MARIE FAVROT – Notre système de nutrivigilance est maintenant pleinement fonctionnel et constitue une nouvelle brique qui s’intègre dans le dispositif de santé publique. Notre dispositif s’appuie sur une cellule dédiée au sein de l’ANSES, un comité technique, composé de l’AFLD (Agence française de lutte contre le dopage), l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) et les CAP-TV (Centres antipoison et toxicovigilance), et d’un comité de pilotage qui réunit la DGS (direction générale de la Santé), la DGCCRF (direction générale de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) et de la DGAl (direction générale de l’Alimentation). Notre cellule fait aussi partie du comité de coordination des vigilances (CCV), qui réunit les différents acteurs des vigilances (AFSSAPS, HAS, ABM, InVS).
Techniquement, nous nous appuyons sur plusieurs outils informatiques que nous avons créés : le site Internet de l’Agence, dans la rubrique alimentation humaine, propose une page dédiée, avec un accès au support de télédéclaration des effets indésirables susceptibles d’être liés à la consommation des produits alimentaires ; la boîte à lettre vigilance.ca@anses.fr permet des échanges d’information entre la cellule, les médecins, les industriels et les consommateurs ; enfin, une base de donnée 4D a été construite pour archiver l’ensemble de signalements portés à notre connaissance et permettra l’analyse automatisée des données par croisement de variables.
Où en êtes-vous pour la procédure d’imputabilité des signalements d’effets indésirables aux produits ?
Nous avons élaboré une méthode originale de détermination de l’imputabilité. Elle s’inspire des systèmes qui existent déjà en pharmacovigilance et cosmétovigilance et elle va être finalisée par un groupe de travail composé d’experts issus du comité d’experts spécialisé « Nutrition humaine » de l’ANSES, des centres antipoison, de l’AFSSAPS, de l’AFLD et du réseau d’allergovigilance.
Outre les scores de sémiologie et de bibliographie, le critère principal que nous avons retenu, c’est le score de chronologie. Des éléments forts dans l’imputabilité sont en effet la disparition des effets indésirables lors de l’arrêt de la prise du produit et leur réapparition dès que le produit est à nouveau consommé. Un avis va être rendu public dans les prochaines semaines, qui détaille l’ensemble de notre démarche.
L’an dernier, votre dispositif ciblait les seuls compléments alimentaires. Aujourd’hui, vous élargissez votre champ d’action. Quelles sont vos nouvelles cibles ?
Cette première étape a montré l’utilité d’un tel dispositif en permettant de porter à la connaissance des pouvoirs publics, des fabricants et des consommateurs des effets indésirables parfois sévères et non attendus, même si le nombre de cas est faible comparé à la consommation globale de compléments alimentaires en France. Son extension, prévue par la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires), permettra de renforcer encore le niveau de protection du consommateur.
Conformément à la loi, nous nous intéresserons aux compléments alimentaires, mais aussi aux aliments qui font l’objet d’adjonction de substances à but nutritionnel ou physiologique (que l’on appelle généralement les aliments enrichis), aux aliments entrant dans le cadre de réglementation « nouvelle food », ainsi qu’aux produits destinés à une alimentation particulière. Ces derniers sont les plus facilement repérables par les médecins quand ils suivent des patients selon leurs âges ou leurs pathologies, avec des régimes alimentaires adaptés. En revanche, le médecin traitant aborde beaucoup moins souvent avec son patient la question des boissons énergisantes ou antigueule de bois, souvent très enrichies en caféine et associées à la prise d’alcool. De même, les nouveaux aliments constituent un sujet inédit ; leur consommation était restée négligeable jusqu’à présent en Europe. Soit issus de traditions non présentes en Europe, soit élaborés à partir de certaines structure moléculaires modifiées, soit obtenus par génie génétique comme certains enzymes ou dérivés de microorganismes (probiotiques) ou d’algues, champignons…, ils présentent des caractéristiques nouvelles .
Certains de ces produits vous inquiètent-ils particulièrement ?
Notre système de sécurité sanitaire est très efficace et les produits mis sur le marché sont bien contrôlés. Cependant, l’offre alimentaire évolue rapidement avec des produits dits « nouveaux » en raison de leur technologie ou de leurs ingrédients, des aliments et des boissons enrichis, des produits importés ou achetés sur Internet ; ils pourraient exposer le consommateur à de nouveaux dangers, qu’il faut être en mesure d’identifier sans délai.
Des interrogations demeurent également en termes de sécurité sur les principes actifs de certains compléments alimentaires (CA), alors que la prévalence de leur consommation atteint 19,7 % chez les adultes (11,5 % des enfants consomment des vitamines et minéraux sous forme de compléments alimentaires ou de médicaments), avec même un pic à 26,5 % chez les femmes, qui déclarent avoir consommé au moins un complément alimentaire au cours de l’année écoulée.
D’autres questions subsistent enfin autour des extraits de plantes : certaines plantes de tradition médicinale sont utilisées dans les compléments alimentaires et leur action biologique peut se rapprocher de l’activité pharmacologique des médicaments, avec les mêmes risques de survenue d’effets secondaires. Or, contrairement aux médicaments, la commercialisation des CA, même si elle doit être notifiée auprès de la DGCCRF, n’est pas soumise à l’évaluation d’un dossier industriel par une agence nationale d’expertise sanitaire.
Globalement, combien d’effets indésirables avez-vous enregistrés à ce jour ?
Notre base comprend 169 déclarations : 41 ont été effectuées spontanément au cours de la période 2004-2008 ; 53 ont été faites en 2009, parmi lesquelles 48 nous ont été transmises à partir du lancement de la phase pilote, en septembre 2009 ; et 75 ont été enregistrées depuis le 1er janvier 2010. Le nombre des déclarations directes effectuées via notre site par les médecins généralistes ou les réseaux de professionnels atteint 25.
Ce chiffre vous satisfait-il ?
Oui, car nous constatons une montée en puissance des déclarations depuis la mise en place du dispositif. Il témoigne d’un réel besoin des professionnels qui ne disposaient jusqu’alors d’aucun dispositif de vigilance pour déclarer les effets indésirables susceptibles d’être liés à la consommation de CA. Même si le nombre de déclarations directes reste modeste, c’est un chiffre intéressant pour la première année, d’autant plus que l’objectif du dispositif n’est pas quantitatif mais au contraire qualitatif en permettant la mise en œuvre d’expertises ciblées, pour une meilleure protection des consommateurs.
Ce résultat ne pourrait-il pas conduire à remettre en cause la poursuite de votre programme ?
Non, car les autorités de santé et les experts manquent encore de données de terrain sur la consommation de ces denrées. Encore une fois, l’objectif n’est pas de faire du chiffre mais bien de disposer d’éléments signifiants en provenance des professionnels de santé afin de cibler des évaluations concernant des produits potentiellement à risque pour la population. L’exploitation des signalements nous a ainsi permis d’expertiser plusieurs dossiers. Nous venons par exemple de publier un avis sur l’utilisation d’un extrait alcoolique d’igname dans les compléments alimentaires suite à des signalements d’effets indésirables, dont certains, même réversibles, étaient graves.
Vous comptez sur l’implication des médecins ?
Le dispositif de vigilance repose sur eux, comme sur l’ensemble des professionnels de santé. Le grand public a accueilli avec intérêt notre démarche, les consommateurs ont été sensibilisés au fait que la prise de compléments alimentaires ne saurait être banalisée. Les médecins, quant à eux, ont identifié notre dispositif, grâce au relais de la presse professionnelle. Nous savons qu’ils sont très sollicités de divers côtés, mais leur participation sera décisive pour améliorer la sécurité des consommateurs, en lien avec l’ensemble des acteurs des systèmes de vigilance sanitaire.
LA PARTICIPATION DES MÉDECINS SERA DÉCISIVE
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