En pleine expansion depuis dix ans, la nutripsychiatrie est encore peu connue en France. Elle repose sur des observations physiologiques simples : notre alimentation influence notre microbiote intestinal, une population de 1014 bactéries qui recouvre la muqueuse de notre intestin. En deux semaines, le passage d’un régime riche en sucre et en graisses saturées à un régime riche en protéines et en fibres le modifie. Ce microbiote interagit avec le cerveau par plusieurs voies, nommées « l’axe intestin-cerveau », parmi lesquelles on peut citer le nerf vague, le système immunitaire (modulation des cytokines circulantes), l’axe du stress (modulation du cortisol), la synthèse d’acides gras à courtes chaînes, indispensables pour le développement cérébral, de nutriments, ou encore la protection de la perméabilité intestinale (1, 2).
La discipline a connu un essor à la fin des années 2000 avec d’une part la publication de nombreuses études animales montrant l’influence du microbiote sur le cerveau (et la preuve d’un transfert de comportement par une greffe de microbiote) et d’autre part l’avènement de la métagénomique, dont les coûts ont considérablement chuté (actuellement 200 euros par patient environ), ce qui a permis des analyses quantitatives plus fines des bactéries intestinales. Ces techniques ont toutefois leurs limites.
Des recommandations adaptées
Nous avons mis en évidence, dans une méta-analyse, l’association entre le syndrome de l’intestin irritable et les troubles anxiodépressifs (3). Les probiotiques (des bactéries vivantes, en général composées de lactobacilles et bifidobactéries) ont montré une efficacité modérée à forte en ajout dans les troubles anxiodépressifs (1, 2). Les liens entre les perturbations du microbiote et les troubles psychiatriques sont particulièrement documentés dans l’autisme infantile, ouvrant des stratégies thérapeutiques et des pistes étiologiques prometteuses (1, 2).
Pourtant, l’examen psychiatrique ne comprend que rarement un volet alimentaire. En général, l’exploration digestive se limite à la recherche d’effets secondaires des psychotropes (de type diarrhée ou constipation) et au dépistage de la prise de poids. Les patients sont alors, au mieux, adressés au diététicien ou au médecin nutritionniste. Peu de professionnels donnent des recommandations personnalisées pour les patients présentant des troubles psychiques.
Pourtant, la vitamine D, les oméga-3 et la N-acétylcystéine sont des compléments alimentaires qui ont montré des propriétés anti-inflammatoires et/ou antioxydantes intéressantes dans plusieurs troubles psychiatriques sévères (notamment dans la schizophrénie). Certains aliments, comme le lait de vache, pourraient entraîner une inflammation intestinale elle-même responsable d’une inflammation périphérique et de troubles psychiques, des perturbations du sommeil ou de l’alimentation.
Plusieurs régimes peuvent être proposés pour améliorer des symptômes comme la perte d’énergie vitale, le ralentissement, la perte de motivation, les troubles du sommeil. Le jeûne intermittent (mettre l’intestin au repos de douze à seize heures par jour) ou thérapeutique (apport de 200 à 500 kcal par jour pendant d’une à trois semaines sous surveillance médicale) pourrait améliorer l’inflammation intestinale et le système immunitaire. Les fibres, par exemple la salade verte, ont un effet prébiotique, favorisant le développement de bactéries commensales vertueuses. Le débat reste toutefois ouvert sur l’efficacité des régimes « sans-sans », sans gluten et sans lactose, puisqu’il est difficile d’isoler l’effet de l’éviction d’un élément particulier, comme la gliadine ou la caséine de lait de vache. Par exemple, l’éviction du gluten conduit souvent les personnes à s’alimenter avec des produits plus sains, ce qui pourrait être responsable de l’amélioration de leurs symptômes. D’autre part, les enjeux financiers étant immenses, des lobbys de l’agroalimentaire s’emparent de ces questions.
Renversons toutefois le paradigme : ne paraît-il pas déraisonnable d’espérer avoir un esprit en bonne santé tout en maltraitant son corps par une alimentation négligée ?
Ne paraît-il pas déraisonnable d’espérer avoir un esprit en bonne santé tout en maltraitant son corps ?
Psychiatre, responsable du service d’information médicale de l’APHM, enseignant chercheur au CEReSS (faculté de médecine d’Aix-Marseille Université, secteur Timone), coordinateur des centres experts FondaMental schizophrénie et dépression résistante
(1) Fond G et al. Presse Med. 2016 Jan;45(1):7-19
(2) Fond G.
Je fais de ma vie un grand projet, Flammarion, 2018
(3) Fond G et al. Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci. 2014 Dec;264(8):651-60
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