Déséquilibre
Cet apport excessif en graisses, associé à un déséquilibre qualitatif (excès d’acides gras saturé et de cholestérol, rapport des acides gras polyinsaturés ?6/?3 trop élevé) participe à l'augmentation de la prévalence de l’obésité et des pathologies associées (atteintes vasculaires, diabète de type II, hypertension, cancers). Cette attirance pour les corps gras n’est pas spécifique à l’homme. Les rongeurs (rats, souris) présentent aussi une préférence spontanée pour les boissons et les aliments enrichis en lipides.
Pour la souris, il existe un « goût du gras ». Le test du double choix est une méthode comportementale qui permet d’évaluer la préférence d’un animal pour une boisson donnée en mesurant sa consommation spontanée par rapport à une solution témoin présentée simultanément. Ce simple test démontre que les souris ont une forte attirance pour les lipides. Cependant, l’interprétation de cette observation reste complexe. En effet, le choix alimentaire résulte de l’intégration de stimuli oro-sensoriels (odeur, texture, goût) et de signaux post-ingestifs (libération de peptides régulateurs par le tractus digestif, le tissu adipeux, le foie et le cerveau). L’exclusion simultanée des influences olfactives, texturales et post-ingestives a permis de démontrer que la préférence pour les lipides comporte également une dimension gustative. En effet, l’attrait pour les lipides est maintenu chez la souris privée de stimulations olfactives, texturales et post-ingestives.
Acides gras à longue chaîne
Bien que les lipides alimentaires soient très majoritairement composés de triglycérides, il a été démontré que ce sont les acides gras à longue chaîne (AGLC, nombre de carbones › 16) qui sont responsables de l’attirance pour les lipides. La lipase linguale, dont l’expression est particulièrement élevée chez les rongeurs, semble jouer un rôle prépondérant dans ce phénomène en libérant rapidement des AGLC à partir des graisses alimentaires. En effet, son inhibition pharmacologique s’accompagne d’une chute spectaculaire de la préférence pour les lipides.
La transmission d’un signal gustatif aboutissant à la perception d’une saveur (sucré, salé, acide, amer ou umami) requiert la présence de protéines spécialisées localisées à l’apex des cellules des bourgeons du goût. Il a été récemment montré que c’est le cas du lipido-récepteur membranaire CD36, connu pour lier les AGLC avec une très haute affinité. Ce positionnement apparaît donc particulièrement adéquat pour générer un signal lipidique gustatif. En accord avec cette hypothèse, nous avons montré que le CD36 lingual joue un rôle important dans la préférence spontanée pour les lipides. En effet, les souris dont le gène codant pour le CD36 a été invalidé (CD36-/-) ne sont plus capables de faire la différence entre une solution enrichie en AGLC et une solution témoin contenant un agent texturant. En revanche, leur attirance pour le sucré et leur aversion pour l’amer n’est pas affectée. Le CD36 lingual joue également un rôle régulateur dans la boucle céphalique de la digestion déclenchée par le dépôt lingual de lipides. Enfin, il a été montré que le signal lipidique CD36-dépendant emprunte les voies nerveuses périphériques et centrales de la gustation. L’ensemble de ces résultats suggèrent donc qu’il existe chez la souris une sixième modalité gustative dédiée à la perception des lipides alimentaires.
Qu’en est-il de l’homme ?
Il existe aussi une perception oro-sensorielle des lipides chez l’homme.
Il a été récemment rapporté que des sujets adultes en bonne santé sont capables de percevoir de façon spécifique la présence d’AGLC dans un liquide. Le protocole utilisé minimisant les influences olfactives et somato-sensorielles (texture, piquant), cette perception a été imputée à la gustation. Il est intéressant de noter que le seuil de détection des AGLC dans cette expérience est très bas comparé à celui des huiles. Comme chez les rongeurs, les AGLC semblent donc être les molécules responsables de la perception oro-sensorielle des lipides chez l’homme. Puisque les aliments riches en lipides peuvent contenir jusqu’à 0.5 % d’acides gras libres, certains auteurs estiment que l’hydrolyse des triglycérides par la lipase linguale n’est pas une étape pouvant limiter cette détection. Cette observation est importante puisqu’il existe une controverse sur la présence d’une lipase linguale active chez l’homme.
Comme chez la souris, la perception oro-sensorielle de lipides s’accompagne de modifications physiologiques chez l’homme. Par exemple, la présence de lipides en bouche est suffisante pour augmenter la triglycéridémie postprandiale chez des volontaires sains soumis à un repas fictif (car non ingéré). Ce phénomène serait dû à un réflexe nerveux (boucle céphalique de la digestion) aboutissant au déstockage intestinal de lipides issus du repas précédent l’expérience. On ignore actuellement si ces changements sont dépendants du CD36 lingual.
Conclusions et perspectives
La perception oro-sensorielle des lipides alimentaires est clairement multiparamétrique. Les travaux actuels indiquent qu’il existe, parallèlement à la texture et à l’olfaction, une dimension gustative à ce phénomène chez le rongeur et probablement chez l’Homme. Chez la souris, le CD36 lingual semble jouer le rôle de lipido-récepteur gustatif participant à la couverture des besoins énergétiques en sélectionnant et en favorisant la digestion des nutriments lipidiques. Cette fonction inédite pourrait constituer un avantage nutritionnel non négligeable en cas de restriction alimentaire chronique. En effet, les aliments riches en lipides sont connus pour avoir une forte densité énergétique tout en étant les vecteurs des acides gras indispensables et des vitamines liposolubles (A, D, E, K) dont les rôles biologiques sont multiples et essentiels. A contrario, elle pourrait participer à la mise en place d’une surcharge pondérale en cas de pléthore alimentaire permanente. Des études sont en cours pour explorer cette hypothèse
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