L’homme, un mangeur social

« Le message de la variété est le plus important »

Publié le 20/06/2012
Article réservé aux abonnés
1340156232354644_IMG_85377_HR.jpg

1340156232354644_IMG_85377_HR.jpg
Crédit photo : BSIP

1340156232354743_IMG_85378_HR.jpg

1340156232354743_IMG_85378_HR.jpg
Crédit photo : BSIP

1340156233354745_IMG_85299_HR.jpg

1340156233354745_IMG_85299_HR.jpg
Crédit photo : BSIP

Dans la plupart des cultures, le repas est un rituel partagé en communauté. L’Homme ne fait pas que se nourrir mais mange, selon sa faim mais aussi selon ses moyens et de multiples influences extérieures. Comment l’extrême socialisation de notre espèce influence-t-elle nos comportements, au point de les rendre pathologiques ou au contraire de les garder équilibrés ?

Les prescriptions alimentaires devraient passer par ce filtre du collectif - s’intéresser au biotope de chaque individu - pour atteindre leur but, qui est la préservation de la santé.

Comment définissez-vous la notion d’équilibre alimentaire ?

C’est un peu comme le monstre du Loch Ness ! Tout le monde en parle, et personne ne sait ce que c’est réellement. C’est un concept qui consiste à dire que lorsque l’on consomme tels et tels types d’aliments on a tout ce qu’il nous faut. Mais quand on a dit cela, on n’a rien dit car c’est un concept théorique, qui cache des situations différentes. De façon plus concrète, deux dimensions composent cette notion. Le plan quantitatif, d’une part - c’est-à-dire les apports qui permettent de satisfaire nos besoins énergétiques -, est strictement individuel. Il n’y a pas de norme, seulement des repères, en fonction de l’activité journalière et de la nature de chacun. Les niveaux sont ainsi variables d’un individu à un autre. Le plan qualitatif d’autre part, qui vise à trouver un équilibre afin de satisfaire nos besoins en glucides, vitamines, protéines, etc. Ce deuxième aspect – celui de la variété alimentaire – est quant à lui relativement commun à tous.

De nombreux messages fleurissent sur ce qu’il faut ou non manger, sur des aliments à bannir ou à privilégier. Mais sont-ils bien compris par la population ?

Ces messages sont la plupart du temps bien fondés. Cependant, certains sont souvent un peu contradictoires, car ils émanent d’autorités non légitimes, ou relèvent d’abus de pouvoir d’autorités légitimes. On aboutit ainsi parfois à une certaine cacophonie ! Prenons l’exemple du « cinq fruits et légumes par jour » : c’est un message qui n’est pas critiquable même s’il est un peu dogmatique. Globalement, le message est juste, mais il n’est pas toujours bien compris : cinq fruits et légumes mais pourquoi pas sept ? Et quelle est la taille d’une portion ? En outre, certains messages sont parfois trop autoritaires : « manger le moins possible de charcuterie » n’a pas de sens, et il est sans doute excessif car en matière de nutrition, ce sont les repères moyens qui sont intéressants, surtout pour les gens qui en sont très éloignés. Autrement dit, pour quelqu’un qui consomme normalement de la charcuterie, ce message n’a pas lieu d’être. Ainsi, il faut donc prendre ces messages pour ce qu’ils sont, et avec nuance : aujourd’hui on dit cela mais peut-être que demain on nous dira le contraire…

Actuellement, peut-on considérer qu’ils sont efficaces ?

Dans la mesure où ils ont permis aux gens de prendre conscience de l’importance de l’alimentation, oui. En outre, ils légitiment les actions de santé publique et forment donc une sorte de bruit de fond positif. Il y a donc bien un discours qui dit que la nutrition est importante… Mais il n’est pas forcément appliqué. L’alimentation n’est pas quelque chose qui se décrète, ça se vit. On ne peut pas imposer, il faut proposer.

Des moyens existent-ils afin d’améliorer l’utilité de ces avis ?

Une piste pourrait être de mieux tester les messages avant de les diffuser, comme on le fait pour une campagne de publicité à la télévision. Car oui, ils ne sont pas toujours bien compris. Dans certains pays, les messages indiquent des proportions en lien avec la taille de la main : une portion de beurre représente l’équivalent d’une phalange du pouce par exemple. C’est ainsi très visuel et ludique, et cela peut fonctionner. En ce qui concerne les jeunes, les messages sanitaires passent mal car ils ont tendance à prendre le contre-pied. Il faut donc aller vers le positif, le concret, la ressemblance avec les amis. Plusieurs choses sont possibles pour parler aux jeunes, mais avant tout il faut redonner à la famille sa légitimité, sa place, son rôle d’exemple.

Justement, dans une société comme la nôtre, comment assurer une bonne transmission de la culture et de l’équilibre alimentaires ?

Plusieurs enquêtes ont montré que globalement, les Français restent attachés à la structure du repas familial, même s’il n’est pas aussi fréquent. Il serait donc bon d’encourager les gens à aller dans cette direction. Certes les gens cuisinent moins, les femmes travaillent, mais inviter les enfants autour des fourneaux, transmettre une pédagogie autour de l’éducation au goût, par une approche sensorielle, en allant acheter ses produits au marché ou en ayant un petit potager sont des pistes à suivre. La cantine peut également avoir un rôle exemplaire. Même s’ils apprécient les fast-food, les jeunes ne sont pas indifférents à la gastronomie ; nous ne devons donc pas renoncer. Une autre idée possible, ce serait de réintroduire les arts ménagers à l’école, afin d’apprendre des choses pratiques, dans un concept positif.

En matière de nutrition, on entend régulièrement des interdits, des messages négatifs. Cela ne nuit-il pas à la bonne mise en application de ces messages ?

C’est certain ! Le plaisir, le fait social alimentaires sont des valeurs fortes de la culture française, et ainsi tout doit être fait pour valoriser notre patrimoine culinaire ! Trop de messages sont tristes, sont critiques, disent « ne fais pas ci ou ça » Et les gens n’apprécient pas cette tonalité directive. Alors que si on va vers un univers de découverte, de richesses, de nouveautés dans l’alimentation, c’est beaucoup plus porteur et infiniment plus positif. Il faut relativiser, et éviter de dramatiser : on ne mange pas si mal en France. Il n’est donc pas nécessaire de culpabiliser les gens et de vouloir encadrer l’alimentation de tout le monde, il faut plutôt viser les populations à risques. Outre celui de l’activité physique, le message de la variété alimentaire est donc, me semble-t-il, le plus important. On ne l’entend pas assez ! Quant aux « mangez moins gras » ou « mangez moins sucrés », trop prescriptifs, ils finissent par être faux et entraînent des peurs alimentaires inutiles.

Pour éviter ces peurs alimentaires, ces confusions, vous invitez donc à véhiculer des messages positifs.

Parler de la découverte, de la diversité et de la richesse des aliments, et ce de manière ludique, oui, c’est aujourd’hui l’essentiel. Il vaut également mieux évoquer les aliments sans être normatif : on a trop stigmatisé certains produits, comme les œufs, le pain ou la charcuterie, et l’on se rend compte après coup que c’était excessif. Exemple valable également pour la critique de l’huile de palme ou celle du beurre de cacao, qui relève davantage de discours de commerciaux. Il est donc nécessaire de ne pas être trop formel, tout en ciblant les personnes qui en ont besoin. Près de 20 % de la population française est concernée par un problème alimentaire, et il s’agit souvent des couches les moins aisées de la population.

Propos recueillis par Anne-Lucie Acar

Source : Nutrition