L’individualisation et la médicalisation de l’alimentation, mais aussi le développement de l’industrialisation des processus de production conduit une part de plus en plus importante de la population à s’interroger sur ce qu’elle mange. « En plus des questions relatives à la régulation des quantités ingérées, celles liées aux propriétés et qualités intrinsèques des produits sont de plus en plus importantes. Les crises alimentaires de la fin du XXe siècle et du début du XXIe ont ébranlé la confiance et amplifié le sentiment d’aliénation de la population à l’égard de l’alimentation industrielle », souligne Estelle Masson (Brest).
À cette crise de confiance vis-à-vis des produits transformés s’ajoute une crise identitaire, plus profonde. De fait, chaque année - notamment avec l’arrivée des beaux jours - les femmes rêvent de ressembler aux mannequins filiformes des couvertures de magazines et suivent pour cela les derniers régimes à la mode préconisés par les médias (lire aussi p 23). Tout se passe alors comme si ces régimes devaient dicter leurs moindres faits et gestes. « Dans le domaine de l’alimentation, le régime semble jouer un rôle équivalent à celui rempli - dans le domaine de la morale - par ledirecteur de conscienceil y a plusieurs siècles. Il vise à réguler les comportements et propose des solutions pour y parvenir. Mais, contrairement aux conseils prodigués par un directeur de conscience, ceux distillés par les régimes ne sont souvent pas personnalisés », note Estelle Masson. De fait, d’après une enquête (1) menée auprès de femmes ayant déjà suivi un régime amaigrissant, seules 7 % déclaraient se faire suivre par un médecin durant celui-ci et il est certain que cette proportion est bien plus faible lorsqu’il s’agit de régimes répondant à des motivations éthiques et/ou politiques (végétarisme, véganisme…).
Nouvelles formes de partage.
Autre dénominateur commun aux régimes alimentaires : leur caractère excluant. « L’adoption individuelle d’un régime alimentaire particulier qui diffère de celui des autres membres de la collectivité empêche de participer pleinement au rituel social du repas », précise Estelle Masson. Plus d’une femme sur cinq (1) évite en effet les relations sociales et les dîners entre amis le temps de leur régime amaigrissant.
La progression des pratiques de régimes au sein de la population n’a toutefois pas que des désavantages. Elle pourrait, dans certaines conditions, contribuer à résoudre le malaise alimentaire actuellement perceptible en France. « Rien n’empêche d’imaginer que lorsque chaque individu aura réformé son alimentation - en adoptant un ensemble de règles lui permettant d’opérer des choix éclairés et pertinents dans le vaste éventail de l’offre alimentaire actuelle - les pathologies liées à une mauvaise alimentation diminueront tout comme s’amoindrira le sentiment d’aliénation ressenti par de nombreux consommateurs à l’égard de l’alimentation moderne », suggère-t-elle.
La pratique de régimes crée également de nouvelles formes de partage de sociabilité alimentaire. « Au partage alimentaire charnel et réel (autour d’une table), se substitue le partage numérique des nourritures », résume Estelle Masson. De fait, dans les forums de discussion et les blogs où les consommateurs relatent leurs pratiques culinaires et les différents régimes effectués, se tissent des liens grâce à l’alimentation. Une étude portant sur les réseaux sociaux (3) met également en exergue le fait que les femmes présentant des troubles du comportement alimentaire accordent de l’importance au fait de pouvoir échanger en ligne avec des personnes présentant des troubles similaires.
Toutefois, une chose est sûre, parmi la jungle des régimes - proposés sur Internet ou dans les livres - « ceux qui optent pour les régimes s’appuyant sur des principes simples (ne pas manger en dehors des repas, manger varié, avec modération…) semblent jouir d’un rapport à l’alimentation plus serein », conclut Estelle Masson.
Entretien avec Estelle Masson, Maître de conférences en psychologie sociale à l’université de Bretagne occidentale.
(1) Masson E., (2004) Le mincir, le grossir, le rester mince. Rapport au corps et au poids et pratiques de restriction alimentaire. Cahiers de l’OCHA, 2004, n°10, p. 26-46.
(2) CREDOC (2008) Baromètre de la perception de l’alimentation, Baromètre n°3.
(3) La sociabilité « Ana-mia » : une approche des troubles alimentaires par les réseaux sociaux en ligne et hors ligne, programme de recherche ANR-09-ALIA.
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