Chez un jeune homme anorexique

Un cas de béribéri

Publié le 22/10/2010
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L’HOMME RACONTE qu’il voit double, que ses paupières tombent, qu’il a des acouphènes, une dyspnée, des pertes de mémoire et une faiblesse généralisée.

On apprend que six semaines avant l’hospitalisation, il a présenté une dépression et que, depuis, il a perdu 15 kg.

On ne retrouve pas d’antécédent médical personnel particulier, pas de notion de toxicomanie, pas d’antécédent familial.

À l’examen, le patient est cachectique ; il pèse 43,2 kg et son IMC est à 14,1. On constate une dysarthrie ; la TA est à 174/116 mmHg, le rythme cardiaque à 153/min. La SaO2 est à 97 % à l’air ambiant. On découvre un souffle d’éjection systolique au bord gauche du sternum. Les pupilles sont réactives mais le patient est incapable de suivre du regard un mouvement et l’on note une déviation conjuguée des yeux. Les réflexes ostéotendineux sont normaux mais on constate une diminution de la force musculaire à tous les niveaux.

L’ECG montre une tachycardie supraventriculaire avec bloc atrioventriculaire 2/1. Après traitement par adénosine, le rythme cardiaque revient à 72/min et la TA à 114/82 mmHg.

Les gaz du sang montrent une franche élévation de l’acide lactique (50,4 mg/dl pour une normale comprise entre 4,5 et 19,8). La glycémie est à 2 g/l, la céatininémie à 19 mg/l, les protides sanguins à 85 g/l, la calcémie à 108 mg/l.

La radiographie de thorax montre une cardiomégalie et l’échocardiographie objective une hypokinésie globale avec une fraction d’éjection à 40-45 %.

Le diagnostic retenu est celui de béribéri humide avec encéphalopathie de Gayet Wernicke. Le patient est traité avec une dose initiale de thiamine de 100 mg I. V. Dans les heures qui suivent, son état mental commence à s’améliorer ; au bout de quatre jours, en dehors d’acouphènes résiduels, on observe un retour à l’état fonctionnel antérieur.

À la sortie de l’hôpital, on instaure un suivi psychiatrique étroit pour la dépression et l’anorexie. Au bout d’un mois, tous les symptômes neurologiques ont disparu et le patient a pris 4,1 kg. En juin 2010, il est dans un étatstable et n’a pas été réhospitalisé.

« Le déficit en thiamine, rappellent les auteurs, est considéré comme rare dans les pays développés mais on le rencontre chez les sujets alcooliques, anorexiques, porteurs de troubles psychiatriques, présentant une insuffisance cardiaque et les patients qui ont subi un by-pass gastrique. Des observations et des études sur les complications de l’encéphalopathie de Gayet Wernicke montrent qu’on peut facilement passer à côté. Une série montre dans une population pédiatrique montre que le diagnostic n’a été porté qu’à l’autopsie chez 13 patients sur 31 (41,9 %). »

L’anorexie chez l’homme est rare, poursuivent les auteurs, mais plus fréquente chez ceux qui ont une maladie psychiatrique. Une étude comparant les hommes et les femmes atteints d’anorexie montre que les hommes ont un début plus tardif que les femmes, avec une apparition différée des symptômes. « Il faudrait penser à un déficit en thiamine chez tout patient à risque de malnutrition, y compris ceux qui ont des troubles psychiatriques. », soulignent les auteurs, qui rappellent l’intérêt de la thaimine.

Robin Quesenberry Olsen, Joanna Regis. Lancet du 16 octobre 2010, p. 1362.

Dr EMMANUEL DE VIEL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8842