AVANT DIX-HUIT MOIS, c’est-à-dire avant la maîtrise de la déambulation, la constatation d’une solution de continuité osseuse relève schématiquement de quatre contextes distincts : un traumatisme obstétrical, une maltraitance, une fragilité squelettique à identifier, un incident/accident de maladresse de l’enfant. La plupart du temps, ces fractures ont un bon pronostic et donc de faibles exigences thérapeutiques. Le rôle du médecin, confronté à ce dégât squelettique, ira au-delà du simple constat pour lui substituer une démarche d’enquête médicale et/ou sociale. C’est pourquoi le médecin de famille ou le pédiatre conservent une place essentielle dans la prise en charge de ce dommage corporel du nouveau-né.
Bien que rendues rares du fait des progrès accomplis par la gynécologie obstétrique moderne, les fractures obstétricales n’ont pas disparu, leur incidence atteignant environ 1,5 pour 1 000 naissances. Certains facteurs de risque accompagnent ces fractures : une césarienne, une présentation du siège, un faible poids de naissance… Les fractures d’os long sont en général diaphysaires et facilement diagnostiquées : perception d’un craquement en salle d’accouchement, caractère algique du nouveau-né à la mobilisation, radiographie évocatrice… Les localisations diaphysaires les plus fréquentes sont la clavicule, le fémur et l’humérus. Les fractures en zone épiphysaire traversant un cartilage de croissance sont plus rares et plus difficiles à détecter en raison du caractère cartilagineux peu ossifié de ces régions. Le traitement de ces fractures obstétricales, plus particulièrement en période néonatale se limite à des dispositifs d’immobilisation plutôt sommaires car ces fractures se consolident en général en deux semaines environ.
L’obsession de la maltraitance.
Le dilemme auquel se trouve confronté l’urgentiste en présence d’un nouveau-né ayant une fracture est de déterminer si elle est accidentelle ou si elle résulte d’une maltraitance.
À côté des brûlures, contusion des parties molles et ecchymoses diverses, la fracture est l’un des stigmates les plus fréquents de la maltraitance. Avant un an, on estime qu’une fracture sur trois est non accidentelle.
La déontologie médicale prévoit de faire du médecin le défenseur de la santé de l’enfant lorsque cette dernière n’est pas préservée par l’entourage. L’obligation du secret professionnel est même levée dans de telles circonstances.
Le médecin doit être attentif face à certains facteurs de risque, plus particulièrement sociaux (jeunesse des parents, monoparentalité avec grossesse non désirée, etc)
Certains signes doivent donner l’alarme : défaut de suivi pédiatrique, retards d’acquisitions psychomotrices, caractère craintif ou triste du nourrisson.
Une démarche diagnostique précautionneuse.
Au service d’accueil d’urgence où est amené l’enfant porteur d’une fracture avant dix huit mois une démarche diagnostique fouillée doit permettre de ne pas ignorer le caractère non accidentel du dégât squelettique : motif de consultation « banalisée » par l’accompagnant, délai prolongé entre les symptômes et la consultation, explications à forte variabilité selon la version, par les accompagnateurs, du mécanisme de survenue, recours répété, dans les antécédents, au service des urgences au détriment du médecin de famille ou du pédiatre…
Un examen complet de l’enfant est alors effectué à la recherche de lésions cutanées ou de douleurs à la mobilisation des membres ou du tronc.
Avoir l’hospitalisation facile.
La suspicion d’un environnement de négligence, a fortiori de maltraitance impose de proposer aux parents une hospitalisation. L’enfant court parfois un danger mortel et l’avis d’une commission de protection de l’enfance est indispensable. Le refus d’hospitalisation de la part des parents renforce parfois de tels soupçons. Une fois hospitalisé l’enfant fera l’objet d’un bilan d’imagerie complet (membres, gril costal, crâne…) qui, en cas de découverte d’un syndrome de Silverman, identifie la maltraitance (fractures multiples, de chronologie différente, topographies évocatrices…)
Des examens d’imagerie plus poussés permettent parfois de détecter des fractures supplémentaires passées inaperçues : échographie, scintigraphie, IRM…
Une approche pluridisciplinaire.
Des entretiens doivent être menés avec l’environnement familial étendu de l’enfant, le médecin de famille ou le pédiatre habituel. La tenue du carnet de santé doit être vérifiée.
Au terme de l’évaluation, selon le degré de suspicion et suivant l’ampleur du danger couru par l’enfant deux niveaux de signalement auprès des autorités administratives ou judiciaires nécessitent d’être transmis : « risque de danger » par la diffusion d’une information préoccupante en direction du président du Conseil général ou « en danger », qui impose alors le signalement judiciaire auprès du procureur de la République.
Les fractures de fragilité osseuse.
Elles constituent un diagnostic différentiel de la maltraitance ayant parfois donné lieu à des affaires fortement médiatisées. Les sources de fragilité osseuse à cet âge sont certes relativement rares mais réclament d’être identifiées.
L’ostéogenèse imparfaite, affection génétique autosomique dominante altérant la synthèse du collagène de type I est responsable non seulement d’une fragilité osseuse avec ostéopénie mais également de désordres des tissus de jonctions squelettiques (ligament, tendons…).
Les dysplasies métaphysaires, les pathologies du métabolisme phosphocalcique et en particulier certains rachitismes ainsi que la prématurité représentent autant d’autres situations de fragilité osseuse à identifier par un bilan radiologique puis biologique, adapté à chaque enfant en fonction de l’étiologie retenue.
Un pronostic favorable.
Ces fractures de l’enfant avant dix-huit mois, accidentelles ou non, évoluent après immobilisation (plâtre ou attelle) favorablement après quatre à six semaines. Une surveillance ultérieure plus ou moins prolongée sera nécessaire si la zone de croissance est atteinte. Un éventuel cal vicieux, en région diaphysaire, aura plutôt tendance à se corriger naturellement avec le temps.
La fracture de l’enfant avant dix-huit mois, bien que traitée par le chirurgien, dépasse le cadre de la chirurgie orthopédique pure et demande l’implication d’une équipe pluridisciplinaire autour de l’enfant. Chaque intervenant devra à la fois faire preuve de vigilance et de circonspection afin, avant tout, de préserver un enfant en danger tout en évitant d’accuser à tort les parents pour une fracture strictement accidentelle.
D’après la Conférence d’enseignement du Dr Alice Fassier, Bron.
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