LE QUOTIDIEN - Déclarer « Vive le Nutella » comme vous le faites dans votre livre, n’est-ce-pas un peu provocateur pour le responsable d’une unité de nutrition ?
Pr PATRICK TOUNIAN - Effectivement. Mais à travers cette provocation, nous avons voulu dire : « Arrêtons de diaboliser le Nutella, les Mac Do, les bonbons. » Je pense que notre livre permet de délier les langues parce que les gens en avaient assez qu’on leur dise « Faites pas ci, faites pas ça ». Je suis ébahi par le nombre de gens qui nous remercient. Ce livre avait un double objectif : respecter la vérité scientifique, même si elle n’est pas politiquement correcte, et exercer mon devoir envers mes patients, qui est de les rasséréner et de diminuer leur souffrance, notamment celle des obèses.
Vous racontez que plusieurs enfants ont subi des violences physiques parce qu’ils ne parvenaient pas à atteindre les cinq portions quotidiennes de fruits et légumes. Est-ce la réalité de votre consultation?
Je n’y croyais pas lorsqu’un collègue nous a raconté ça la première fois. Mais c’est une chose que j’ai vue moi-même et surtout qu’on m’a rapporté à plusieurs reprises : c’est une vérité. Les gens ont tellement peur de mal faire en alimentant leurs enfants – ils sont persuadés que s’ils ne mangent pas de légumes, ils manqueront de vitamines, ils auront un cancer, des maladies cardio-vasculaires – que ça les angoisse. L’angoisse entraîne l’agressivité et se manifeste par des sévices corporels. On fait croire des choses fausses : la maltraitance, ce n’est pas de donner du gras ou du sucre aux enfants ; c’est de leur interdire de manger des bonbons, ou d’aller dans des fast-foods. Toutes les études scientifiques démontrent qu’il n’y a aucun lien entre la consommation de sucre et l’obésité chez l’enfant.
Ce changement de comportement face à l’alimentation est-il récent ?
Indéniablement. Au début de ma pratique – je fais ce métier depuis vingt ans –, les parents s’inquiétaient parce que leurs enfants mangeaient mal, pas assez et ne grossissaient pas suffisamment. Aujourd’hui, c’est l’inverse : on s’inquiète parce que son enfant mange trop, ce qui n’est pas vrai. C’est le principal primum movens de cet affolement et, à cela, on ajoute du catastrophisme autour, par exemple, des sucres ajoutés, de l’huile de palme. Ce dernier exemple est extraordinaire. En effet, détruire la forêt amazonienne pour y cultiver des palmiers, c’est désastreux. Mais au-delà de cet argument réel, on fait croire que l’huile de palme est très mauvaise pour la santé. L’huile de palme contient de l’acide palmitique, un acide gras saturé, ce qui n’est certes pas habituel dans une huile. Mais il faut rappeler que c’est le deuxième acide gras le plus fréquent dans le lait maternel : 25 % des acides gras du lait de mère sont des acides palmitiques. Alors, soit la nature s’est complètement trompée, soit on fait croire que c’est dangereux pour la santé. C’est ce que nous dénonçons, de la même manière pour les acides gras trans ou pour le bio : on fait croire que c’est meilleur pour la santé alors que c’est surtout bien pour l’environnement.
Quels sont les chiffres de l’obésité infantile aujourd’hui et dans quelle direction allons-nous ?
En France, aujourd’hui, de 15 à 20 % des enfants sont en surcharge pondérale. Cette prévalence stagne depuis 10 ans, comme dans tous les pays industrialisés, parce que l’obésité est une maladie constitutionnelle en grande partie génétique, révélée par un environnement favorable (abondance de nourriture, diminution de l’activité physique). Tous les enfants qui étaient prédisposés ont été recrutés. Ça ne bouge plus. En revanche, dans les pays qui ont encore des régions très rurales, la prévalence de l’obésité continue de croître : elle s’arrêtera quand le fin fond des campagnes sera aussi industrialisé.
Vous dénoncez une certaine forme de dictature nutritionnelle : quel message voulez-vous adresser aux pédiatres et aux généralistes, qui sont en première ligne face à l’angoisse des parents, voire à la détresse des enfants ?
Apporter de la sérénité : il faut déculpabiliser les parents. Il y a des règles à respecter : en aucun cas nous ne prônons un quelconque laxisme. Ces règles sont simples : manger diversifié, assurer les apports en produits laitiers suffisants pour le calcium, assurer les apports en fer (lait infantile, viande), en acide gras essentiel (poisson gras). Mais pour le reste, détendons-nous. Manger des frites, des bonbons, ça ne fait de mal à personne. C’est l’excès qui fait du mal. Le rôle du médecin est, avant tout, de s’informer et son devoir, de ne pas angoisser les parents.
Vous regrettez que les messages sur l’alimentation confondent toutes les situations : en surpoids ou pas, enfant ou adulte. Que suggérez-vous en terme de communication ?
La solution, c’est d’ailleurs une proposition que nous allons faire pour le PNNS (programme national Nutrition Santé), c’est de mieux informer. L’obésité est le problème principal aujourd’hui. Les gens doivent savoir pourquoi un enfant devient obèse : ce n’est pas parce que ses parents font n’importe quoi ou parce que l’enfant est plus gourmand ou plus paresseux. Un enfant devient obèse car il a une prédisposition à l’être. Quand on saura que c’est une maladie, on regardera différemment les enfants obèses. Autre exemple : les fruits et légumes. Serge Hercberg (spécialiste d’épidémiologie de la nutrition, coordonnateur de l’étude Nutrinet) le dit lui-même : les enfants ne sont pas obligés d’en manger cinq par jour. Ça ne veut pas dire qu’ils ne doivent pas en manger. Il faut bien penser qu’on ne mange pas pour sa santé mais pour se nourrir et se faire plaisir. On fait beaucoup d’adultomorphisme également quand on dit qu’il ne faut pas manger de gras à cause du cholestérol : ça n’est pas vrai. L’hypercholestérolémie chez l’enfant (un pour 500) est un problème, pour le coup, 100 % génétique, où l’environnement n’intervient pas. Enfin, il ne faut pas oublier que la plupart des enfants ne font pas attention à ce qu’ils mangent : ils se régulent d’eux-mêmes, naturellement. L’objectif est de garder un poids constant.
« L’Alimentation de vos enfants », Fabiola Flex et Patrick Tounian, Éd. Denoël, coll. « Impacts », 196 pages, 17 euros.
IL FAUT DÉCULPABILISER LES PARENTS
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024