La mauvaise réputation…

Il faut (mieux) utiliser les morphiniques chez l’enfant

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Publié le 15/12/2020
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Alors que les morphiniques restent des antalgiques essentiels dans les douleurs nociceptives aiguës de l’enfant, ils restent encore sous-prescrits dans certaines situations. S’ils ne sont pas dénués d’effets secondaires, les craintes reposent en grande partie sur des représentations qui ne sont pas toujours fondées. Pour les remettre à leur juste place, le médecin doit parfaitement connaître les indications et les contre-indications, et pour cela bien distinguer douleur aiguë et chronique, connaître les facteurs de risque de complications et travailler avec des protocoles dûment validés.
Il faut rechercher les facteurs de risque susceptibles de majorer les effets secondaires

Il faut rechercher les facteurs de risque susceptibles de majorer les effets secondaires
Crédit photo : phanie

Les morphiniques traînent derrière eux l’imaginaire de la drogue, avec son cortège, la dépendance, l’altération de la conscience, etc. Une réputation qu’ils ne méritent pas toujours. Cependant on ne peut nier leurs effets secondaires — constipation, globe vésical, vomissements, prurit, etc. — dont certains potentiellement graves, comme le risque de dépression respiratoire ou de sédation.

Accidents plus que mésusage

D’autres risques comme celui d’accidents domestiques sont réels, mais pourraient être facilement évités en ne laissant pas les médicaments à portée des enfants. Une revue de la littérature sur près de 900 000 intoxications médicamenteuses chez l’enfant a montré que la très grande majorité était liée aux antalgiques — principalement les opioïdes et les antihistaminiques — et que 93 % sont accidentelles.

Mais la crise des opioïdes aux États-Unis a relancé la crainte du mésusage. En France, parmi les opioïdes les plus consommés, le tramadol arrive largement en tête, suivi par la codéine, l’opium, devant la morphine et l’oxycodone. Le mésusage concerne surtout les adolescents ; le risque de dépendance est augmenté lors de prescriptions inadaptées et/ou prolongées de morphine.

Une galénique et des AMM hétérogènes

En pédiatrie, les médecins se confrontent aussi à des galéniques qui ne sont pas toujours adaptées à l’enfant, augmentant le risque d’erreur de prescription ou de préparation, surtout à domicile. De plus, les AMM sont très variables selon le type de morphinique : aucune limite d’âge pour la morphine injectable, 6 mois pour la morphine à libération immédiate et les microgranules à libération prolongée, 6 ans pour les comprimés LP, 2 ans pour le fentanyl transdermique, 7 ans pour l’hydromorphone, etc.

Des indications précises

Tous ces risques ne doivent pas faire oublier les conséquences d’une douleur non calmée : augmentation de la morbidité et de la mortalité à court terme après un geste chirurgical par exemple, risque de troubles cognitivocomportementaux et de développement de douleurs chroniques à plus long terme.

Les morphiniques sont efficaces sur les douleurs nociceptives : douleurs aiguës intenses, traumatiques, post-chirurgicales ou après brûlures par exemple d’une part, et douleurs prolongées sévères, d’origine cancéreuse ou non, après échec des autres thérapeutiques d’autre part.

Il n’existe pas de critère strict pour le délai à partir duquel on parle de douleur prolongée ou chronique chez l’enfant. Dans cette dernière, la pathologie à l’origine de la douleur devient secondaire ou a disparu, contrairement à la douleur prolongée dont la cause première est toujours active.

La morphine n’a pas globalement pas d’indication dans la douleur chronique non cancéreuse, ni dans les céphalées en particulier primaires, ni dans la douleur neuropathique.

Améliorer la tolérance

Pour limiter les effets secondaires, il est recommandé de privilégier la voie orale : l’action est moins rapide mais tout aussi efficace et pour moins d’effets secondaires graves que la voie injectable. La titration est de règle, en administrant de petites doses à intervalle régulier jusqu’au soulagement de la douleur, après une dose de charge per os ou IV. Il existe des protocoles de surveillance bien codifiés.    

Avant la prescription, il faut rechercher les facteurs individuels susceptibles de majorer les effets secondaires. Le risque de dépression respiratoire ou de sédation est augmenté par l’association à d’autres molécules sédatives, l’existence d’une insuffisance respiratoire ou de troubles de conscience. Dans ces cas, il faut adapter la posologie et renforcer la surveillance.

De même, des troubles vésicosphinctériens préexistants, un handicap moteur, ou une immobilisation accroissent le risque de constipation ou de globe vésical. Tout comme les vomissements et le prurit, ces risques doivent être prévenus, avec la prescription systématique de laxatifs, d’antiémétiques, etc.

La prescription IV doit toujours être accompagnée par les modalités de recours à la naloxone en cas d’effets secondaires majeurs.

Limiter les risques de mésusage et de dépendance

Pour éviter la survenue d’une dépendance, il faut analyser avant la prescription les éventuels facteurs de risque, les éléments émotionnels, passer un contrat avec l’enfant sur les objectifs à atteindre. La durée de prescription doit être la plus courte possible, avec des réévaluations régulières.

Il faut savoir arrêter le traitement, en réduisant les doses par palier de 30 à 50 %, de façon très progressive. L’arrêt peut cependant être plus rapide si le traitement a été instauré récemment. Une hospitalisation pour sevrage peut s’avérer nécessaire si le traitement a été prolongé.

Exergue : Pas d’indication dans la douleur chronique non cancéreuse, ni dans les céphalées en particulier primaires, ni dans la douleur neuropathique

Avec nos remerciements à la Dr Justine Avez Couturier, neuropédiatrie, consultation douleur enfant, CHU de Lille 

Barbara Tourniaire. Codéine, tramadol, morphine, faut-il en avoir peur ? Actes des journées nationales de la douleur de l’enfant Unesco, 2018

https://pediadol.org/wp-content/uploads/2019/03/LIVRE-DES-ACTES-ATDE-20… 

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr