Les enfants ont très tôt conscience des différentes règles de bonne pratiques alimentaires édictées par leurs parents, les professionnels de santé et les médias. C’est l’un des principaux constats de l’étude intitulée « La consommation enfantine d’aliments ludiques entre plaisir, risque et éducation » (1) menée en France entre 2006 et 2010 sur les « ludo-aliments » (2) auprès d’enfants de 4 à 12 ans en milieu scolaire et dans les centres socio-culturels urbains, péri-urbains et ruraux. « Dès l’âge de 4 ans, certains enfants que nous avons interrogés étaient, par exemple, capables de répéter le message du PNNS « 5 fruits et légumes par jour » qu’ils avaient entendu à la télé. Beaucoup se sentent ainsi concernés par leur alimentation et leur santé. Ils connaissent les risques éventuels de la surconsommation de certains produits sur leur croissance ou leur poids. Cette dimension importante de la norme induit chez eux une certaine inquiétude, le sentiment qu’il faut se contrôler et surveiller son alimentation », souligne Nicoletta Diasio, anthropologue et professeure à l’université de Strasbourg, qui a dirigé l’enquête.
L’intériorisation du devoir d’autocontrôle et de restriction apparaît également à l’école primaire. « Par exemple, dès l’âge de 9 ans, certains enfants nous ont affirmé qu’ils avaient abandonné la collation de 10 heures, considérée comme une pratique dédiée aux petits qui ne savent pas attendre pour manger et qui ne peuvent pas contrôler leur appétit », note Nicoletta Diasio.
Affirmer l’enfance.
L’étude montre toutefois que le besoin de surveiller son alimentation est constamment mis en tension avec l’obligation de s’amuser et de prendre du plaisir, caractéristiques principales de l’enfance. « La majorité des enfants interrogés pensent que leur jeune âge les autorise à certaines transgressions alimentaires. Bonbons, chips, snacks… la consommation de ces aliments leur permet de se faire reconnaître par leurs pairs (amis et camarades de classes). Évidemment, le fait que les enfants déclarent aimer les bonbons et détester les légumes ne signifie pas qu’au quotidien, ils ne mangent pas de légumes. Seulement, ils peuvent avoir du mal à l’avouer devant leurs camarades », précise Nicoletta Diasio.
Dans ces conditions, les enfants semblent pris dans un système d’injonctions paradoxales. Les snacks, sodas et autres sucreries constituent ce qu’ils sont censés aimer pour faire partie de leur groupe de pairs et représentent en même temps ce dont ils doivent apprendre à se méfier. Cela implique une certaine ambivalence vis-à-vis des normes et des messages nutritionnels qui insistent sur la nécessité de se surveiller mais qui sont, parfois, ressentis comme étant trop injonctifs et répétitifs.
Des adolescents soucieux des normes alimentaires.
Les adolescents font également preuve d’une réflexivité importante sur leurs pratiques alimentaires. S’ils s’adonnent régulièrement à la consommation d’aliments-plaisirs avec leurs groupes d’amis (sandwichs, burgers, sucreries…), ils craignent l’embonpoint et ont une vision très négative de l’obésité. Ils tentent alors d’alterner ceux-ci aves les aliments sains. C’est ce que démontre l’étude AlimAdos (3), qui a suivi plus de 2000 jeunes de 12 à 19 ans et 500 familles -entre 2006 et 2011- sur le terrain (au domicile parental, dans les cantines scolaires, dans la rue) et par le biais d’entretiens. « Avec cette étude, réalisée en Provence Alpes-Côte d’Azur et en Alsace auprès d’adolescents d’origines diverses, nous nous sommes rendus compte qu’il y a une pluralité d’adolescents qui auraient besoin d’une pluralité de discours de santé publique et non de messages nutritionnels uniques et universels comme c’est le cas actuellement. Par ailleurs, à cet âge, le groupe des pairs conditionne certes fortement ce que l’on va manger mais l’influence de la famille (parents et grands-parents) est également très importante », indique Véronique Pardo, anthropologue à l’OCHA (Observatoire CNIEL des Habitudes Alimentaires).
Les chercheurs impliqués dans cette étude se sont notamment penchés sur la manière dont les adolescents perçoivent leur alimentation et sur ce qui leur fait honte en la matière. « Les jeunes ont le souci de se fabriquer un corps performant. Le terme « gras » a d’ailleurs, très souvent, une connotation négative chez ceux que nous avons interrogés. Un grand nombre d’entre eux l’associe à ce qui est « dégoûtant, mou, gélatineux (viandes grasses) et transparent (matière grasse fondue dans les jus et bouillons…) » dans l’assiette. En revanche, ils sont très attachés aux petits plats de leur grand-mère qu’ils ne décrivent pas comme « gras » même s’ils sont parfois un peu lourds. Dans leur esprit, il y a donc un bon et un mauvais gras en fonction du type de plat, du lieu de consommation et des personnes avec qui on le mange », assure Véronique Pardo.
Lorsque l’on est adolescent, il faut donc avoir un corps ferme, être dans la norme. Tout ce qui est gras et mou fait honte. « Cette même honte est exprimée vis-à-vis de ce qui est mangé au domicile parental, notamment chez les jeunes dont les familles sont issues de l’immigration. À l’extérieur, beaucoup affirment avoir honte des manières de table de leurs familles. Par exemple, lorsque parents et enfants mangent sans assiette ni couverts, directement dans le même plat. Tout ce qui est trop opposé à la modernité et à la culture occidentale leur fait honte. Car cela les exclut et les différencie des normes de conduites alimentaires édictées par leurs pairs », conclut Véronique Pardo.
(1) Cette étude a été coordonnée par Inès de la Ville de l’université de Poitiers et réalisée en collaboration avec d’autres universités (Paris 13, Toulouse, Tours, Dijon et Strasbourg) comprenant 6 équipes interdisciplinaires (sociologues, ethnologues, psychologues, spécialistes du marketing et de la communication).
(2) Les "ludo-aliments" sont des produits alimentaires qui font une référence explicite à la culture enfantine parce qu’ils contiennent un jouet (certaines boîtes de céréales pour enfants par exemple ou les œufs-surprise…) ou que leur packaging comprend des dessins ou des messages dédiés aux enfants.
(3) AlimAdos est une étude qualitative des comportements alimentaires des adolescents menée par des équipes françaises pluridisciplinaires (anthropologues, sociologues et anthropologues biologistes) des universités de Marseille et de Strasbourg, du CNIEL, de l’OCHA et du CNRS.
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