Évaluer les bénéfices pour la mère et l’enfant de l’allaitement ? : « C’est compliqué !, répond le Pr Turck. Aucune étude scientifiquement irréprochable ne peut être menée sur le devenir des nourrissons allaités ou nourris avec une préparation pour nourrissons (lait « 1er âge ») : vous voudriez randomiser les bébés pour décider d’un type d’alimentation ou de sa durée ? Ce n’est pas éthique et c’est une chance ! Restent les études d’observation, moins puissantes scientifiquement. Elles donnent des arguments évidents en faveur des bénéfices santé de l’allaitement dans les pays en développement (ne pas allaiter y augmente très fortement la mortalité) mais seulement une tendance à un effet bénéfique dans les pays industrialisés ». Ainsi, sont mis en avant, chez la mère, moins d’infections du post-partum, une perte de poids plus rapide, une diminution du risque ultérieur de cancer du sein et de l’ovaire. Pour le bébé, pendant l’allaitement et les 6 mois qui suivent le sevrage : moins de diarrhées aiguës, moins d’infections respiratoires et ORL, une protection transitoire, jusqu’à l’âge de 2-3 ans, vis-à-vis de l’eczéma et de l’asthme si l’allaitement est exclusif et dure au moins 3 mois pour les enfants à risque d’allergie (ayant 1 parent au 1er degré allergique). Ainsi un bébé allaité est moins malade et sa mère qui travaille aura moins besoin de s’absenter. Plus tard, le risque de surpoids dans l’enfance et l’adolescence et de diabète de type II à l’âge adulte est moindre. Au risque de choquer, le Pr Turck explique que : « les études d’observation donnent des pistes mais sont sujettes à des critiques méthodologiques », et se pose la question : « faut-il absolument démontrer que l’allaitement soit meilleur que les préparations pour nourrissons ? Le choix du type d’alimentation (allaitement, biberon ou les deux) relève de la liberté individuelle. En France, les professionnels de santé respectent ce choix avec bienveillance. Si le lait maternel est naturel et particulièrement adapté aux bébés, les laits de substitution employés en respectant l’hygiène sont une alternative convenable. Quel que soit le choix, les mères alimentent avec tendresse leur bébé pour qu’il grandisse rassasié, heureux et en bonne santé. Comme on apprend aux mères à utiliser les biberons, ne peut-on soutenir celles qui souhaitent allaiter sans être immédiatement suspecté de vouloir les confiner à la maison et compromettre leur projet professionnel ? L’absence d’aide conduit trop de femmes arrêter pensant, à tort, qu’elles n’ont pas assez de lait ou, pire encore, que leur lait est de mauvaise qualité ».
L’allaitement maternel en France : héritage des féministes ?
En matière d’allaitement maternel, la France se distingue du reste de l’Europe. Chez nos voisins européens, plus de 90 % des nouveau-nés sont allaités à la naissance. La proportion de bébés encore au sein à l’âge de 4 mois est de 65 % en Suède et en Suisse et de 27 % au Royaume Unis. En France, selon les résultats préliminaires de l’étude de l’Institut national de veille sanitaire (InVs) « Épiphane » réalisée de 2011 à 2013, l’allaitement maternel concerne à la naissance 69 % des nourrissons (60 % sein exclusif ; 9 % sein et biberon) puis décroche rapidement : à la fin du 1er mois, ils ne sont plus que 54 % à être nourris au sein (35 % sein exclusif ; 19 % sein et biberon). Ce phénomène s’accentue ensuite selon d’autres sources avec à six semaines de vie, 15 % des nourrissons allaités.
Certains avancent l’héritage des mouvements féministes français, qui à la différence de leurs homologues européens, se sont élevés contre la maternité et l’allaitement, sources de perte de liberté. L’allaitement n’a-t-il pas été qualifié de « servitude épuisante » par Simone de Beauvoir ? Qui donc allaite en France en 2 013 ? Une minorité de femmes. L’allaitement a tendance à augmenter avec l’âge, la multiparité, le niveau d’éducation et la catégorie socioprofessionnelle de la femme. Il est fréquent dans certaines populations émigrées à forte culture d’allaitement. En revanche, chez les mères jeunes et dans les catégories socioprofessionnelles défavorisées, l’alimentation au biberon est solidement ancrée, favorisé par l’univers rassurant, renouvelé de mère en fille, des tétines et biberons gradués. L’alimentation au biberon impose pour les familles un surcoût (environ 500 € les six premiers mois, 1 500 € au total en un an), surcoût dont l’impact n’est pas à négliger dans les populations en difficulté financière.
De nombreuses conventions, peu d’actions
Sera-t-il un jour politiquement correct de promouvoir l’allaitement maternel ? Le droit à l’allaitement dépend aujourd’hui d’initiatives individuelles, du dévouement de soignants. Parmi les freins, on peut souligner certes l’absence de graduation des seins, mais aussi les initiatives trop peu nombreuses de formation des pédiatres et professionnels de santé aux problématiques de l’allaitement. Peu de maternités possèdent le label « hôpital amis des bébés », qui témoigne de l’attention des équipes soignantes à l’accueil du nouveau-né, en incluant à ce projet l’allaitement si c’est le souhait de la mère. La France a signé de multiples conventions internationales rappelant les responsabilités des gouvernements pour assurer l’information, la promotion, la protection et le soutien de l’allaitement, notamment la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (1 989) et la Déclaration d’Innocenti (1 990), mais elle est restée loin derrière d’autres pays d’Europe. En juin 2010, le Pr Dominique Turck a remis à leur demande aux autorités de Santé un « plan d’action pour l’allaitement maternel », sans réponse à l’heure actuelle. Pourtant, le sujet émotionnel de l’allaitement peut être abordé sans prosélytisme ni culpabilisation. Le Pr Turck appelle de ses vœux les instances politiques à prendre des mesures, comme cela se fait ailleurs en Europe, pour cadrer l’information pendant la grossesse, protéger les femmes qui souhaitent allaiter et travailler, instaurer une consultation d’allaitement pendant le premier mois de vie, là où le décrochage de l’allaitement menace, et contribuer à limiter l’impact du coût de l’allaitement dans de nombreuses familles en situation précaire. Les femmes ont des droits : celui de ne pas allaiter leur bébé, mais aussi celui de l’allaiter dans de bonnes conditions et pendant la durée de leur choix.
D’après un entretien avec le Pr Dominique Turck, Département de pédiatrie, hôpital Jeanne de Flandre, CHU de Lille et Faculté de médecine de Lille, INSERM U995.
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