En unités de soins intensifs les prématurés sont soumis à, en moyenne, 10 gestes médicaux douloureux par jour, et 30 % d'entre eux subissent une intervention chirurgicale. « Or de plus en plus de données montrent que cette exposition à la douleur peut avoir un impact persistant, tout du moins chez les prématurés qui constituent la population la plus étudiée », explique Suellen Walker (Londres).
Un phénotype d'hypo/hypersensibilité
« L'hospitalisation des nouveau-nés en soins intensifs affecte précocement leur sensibilité périphérique mais aussi leur sensibilité centrale comme en témoignent des modifications de l'ECG. Et cette altération persiste dans l'enfance, résume S Walker. Globalement ces modifications sont de type hypo/hyperalgie avec un seuil de sensibilité thermique diminué. Toutefois on n'observe pas de modification du seuil de sensibilité mécanique. Dans le même temps la sensibilité à une douleur nociceptive prolongée est augmentée. Ce qui évoque un profil de type neuropathique d'hypo/hyper sensibilité. À l'IRM fonctionnelle, la réponse à un stimulus douloureux est d'ailleurs altérée. Plus les procédures douloureuses ont été nombreuses, plus la structure et les connectivités cérébrales sont modifiées ».
Qu'en est-il à l'âge adulte ? Le suivi longitudinal sur plus de 20 ans de la cohorte EPICure, une cohorte de prématurés extrêmes (moins de 26 semaines) nés dans les années 1995 au Royaume Uni, plaide pour une persistance de ces modifications à l'âge adulte (1,2). «Avec l'âge, le seuil de sensibilité thermique diminue. Mais à 19 ans comme à 11 ans la sensibilité thermique reste toujours plus faible chez les prématurés par rapport aux contrôles dans cette cohorte ». À tel point qu'à l'âge de 19 ans on arrive parfois à la limite de détection chez certains sujets du groupe prématurés… « Mais on observe des différences entre les sexes. À 19 ans l'hypoalgésie est surtout marquée chez les hommes. A contrario l'hypersensibilité à un stimulus nociceptif est plus prononcée chez les femmes ». Les femmes présentent aussi un score de dramatisation face la douleur plus important que les hommes. En revanche dans les deux sexes les douleurs quotidiennes ne sont globalement ni plus fréquentes ni plus intenses chez les anciens grands prématurés que chez les contrôles. Toutefois les douleurs musculo-squelettiques sont plus fréquentes et tendent à avoir davantage de répercussions sur les activités quotidiennes.
Une question débattue
Ces modifications de la sensibilité somatomotrice chez le jeune majorent-elles le risque de douleurs chroniques à l'âge adulte ? « La question reste très débattue », selon S Walker. La douleur est une expérience à la fois sensorielle et émotionnelle qui met en jeu non seulement la sensibilité à la douleur mais aussi les réponses comportementales, très impliquées dans les douleurs chroniques.
Dans une cohorte britannique d'enfants nés en 1958 avant la 37e semaine de gestation, 12 % des sujets ont des douleurs musculosquelettiques étendues à l'âge de 45 ans. La comparaison de près de 300 prématurés à plus de 7 000 contrôles suggère un léger surrisque (RR = 1,26 ; [0,96-1,67]). Il est néanmoins non significatif par rapport aux contrôles (3).
Dans une cohorte norvégienne plus récente, ce surrisque n'est pas retrouvé. L'analyse a porté sur les douleurs chroniques non spécifiques de cause inconnue rapportées à l'âge de 13-18 ans. Ces douleurs devaient persister depuis plus de 3 mois à raison d'au moins une fois par semaine. Aucune association entre douleurs chroniques et prématurité n'a pu être mise en évidence chez les 400 prématurés nés avant la 37e semaine comparés aux 7 000 contrôles (4). «Est-ce le reflet d'une évolution de la prise en charge de la douleur des nouveau-nés en soins intensifs ? Il est difficile de conclure », commente S Walker.
D'après la présentation de Suellen Walker (Londres)
(1) Walker SM et al. Pain 2009;141:79-87
(2) Walker SM. IASP 2016.
(3)Littlejohn C. et al. Eur J Pain 2012;16:134-9
(4)Iversen JM et al. Eur J Pain 2015;19:567-75
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