Faut-il dépister systématiquement l'embolie pulmonaire (EP) chez les patients admis à l'hôpital pour une exacerbation de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ? La réponse semble être oui, au vu des dernières données publiées dans la revue « JAMA » par les pneumologues du CHRU de Brest.
Leur étude, financée par un programme hospitalier de recherche clinique et menée parmi 740 patients admis à l'hôpital à la suite d'une exacerbation de BPCO, est la plus importante jamais réalisée sur le sujet. Elle conclut à une prévalence globale de 5,9 % d'EP, de 11,7 % parmi les patients chez qui une embolie était suspectée lors de l'admission et, surtout, de 4,3 % parmi ceux dont la complication n'était pas envisagée. « Ce dernier taux est le message le plus important à retenir », analyse le Pr Francis Couturaud, chef du département de médecine interne, vasculaire et pneumologie du CHRU de Brest, et premier auteur de l'étude. « C'est presque un patient sur 20 susceptible d'être atteint d'une EP à l'entrée aux urgences que l'on aurait manqué si on n'avait pas appliqué un algorithme diagnostique complet », poursuit le pneumologue.
Il n'existe actuellement aucune recommandation en faveur d'une recherche systématique de l'EP en cas d'exacerbation des symptômes d'une BPCO. Pour le Pr Couturaud, ces nouveaux résultats sont de nature à bouger les lignes. « Les recommandations actuelles sur le diagnostic d’embolie portent sur la population générale et quelques sous-groupes comme les femmes enceintes et le cancer ; mais aucune recommandation n’est disponible chez les patients atteints de BPCO, précise-t-il. Dans les trois mois qui suivent une exacerbation, le taux de mortalité est entre 7 et 8 %. Dans notre étude la mortalité de patients qui ont une embolie à l'entrée est de 25 % contre 5 % chez les autres patients ! D'un point de vue pronostique, le diagnostic de l'embolie est donc très important ». Selon les données du PMSI, les exacerbations de BPCO provoquent plus de 80 000 hospitalisations chaque année, et 16 000 décès.
Une combinaison d'examens
Pour leurs travaux, les médecins du CHRU de Brest ont mis à contribution sept hôpitaux français dans le cadre du réseau français de la thrombose veineuse « F-CRIN INNOVTE », dirigé par le Pr Francis Couturaud. Le diagnostic d'EP était fondé sur le score de Genève (qui prend en compte l'âge, le rythme cardiaque, les antécédents médicaux et d'opération, ainsi que des signes cliniques tels qu'une douleur unilatérale, une hémoptysie, des douleurs à la palpation veineuse profonde et un œdème unilatéral), le niveau de D-dimères, un angioscanner thoracique et un écho-doppler veineux réalisé moins de 48 heures après l'admission. Les patients ont tous été suivis pendant trois mois.
Une méta-analyse avait montré que des patients admis à l'hôpital pour aggravation inexpliquée de leurs symptômes sont, dans 16 % des cas, victimes d'une EP. Dans une analyse post-mortem rétrospective, l'EP était responsable du décès chez 21 % des patients admis pour exacerbation de leur BPCO. Ces chiffres sont plus élevés que ceux retrouvés dans l'étude prospective française, mais les récents résultats sont plus fiables, compte tenu du faible effectif des études qui composent la méta-analyse (aucune ne dépassait les 200 patients).
Par ailleurs, les chercheurs brestois n'ont pratiqué quasiment aucune sélection des patients qui entraient dans l'étude. « Nous avons étudié une population très représentative de celle qui se présente aux urgences pour exacerbation de BPCO », explique le Pr Couturaud.
Un algorithme de diagnostic fiable
Les exacerbations de BPCO se définissent par une aggravation brusque des symptômes. Les causes majeures sont les infections bronchiques et la pollution aérienne, mais plusieurs études font état d'une forte fréquence d'EP. Pour le Pr Couturaud, il est d'autant plus important de vérifier la présence d'une embolie que les symptômes qui lui sont associés (dyspnée, toux, expectorations…) peuvent être confondus avec ceux d'une surinfection bronchique.
Les outils diagnostiques employés dans la population générale sont suspectés de ne pas être pertinents chez les patients BPCO. « Les scores cliniques ont une rentabilité moyenne car de tels patients ont déjà en temps normal un niveau de risque intermédiaire, détaille le Pr Couturaud. Les angioscanners sont parfois difficiles à interpréter à cause de nombreux artefacts, quant aux taux de D-dimères, on a des seuils validés dans la population générale, mais pas dans la population BPCO. »
Dans l'étude publiée dans le « JAMA », ces différents examens utilisés en combinaison, n'ont toutefois pas été mis en défaut. Sur les 670 patients chez qui une maladie thrombo-embolique n'a pas été diagnostiquée dans les 48 premières heures, seulement 0,7 %, soit cinq patients, ont fait une embolie au cours des trois mois de suivi. « On est en dessous des seuils de 2 à 3 % de diagnostics manqués fixés par les sociétés savantes », indique le Pr Couturaud.
Les médecins brestois ont inclus un écho-doppler veineux des membres inférieurs dans leur algorithme diagnostique. « Cela nous a permis de trouver 40 % de thromboses veineuses associées chez les patients ayant une embolie, et surtout 10 % de thromboses veineuses profondes isolées qui nous auraient échappé sinon, explique le Pr Couturaud. D'autres études seront nécessaires pour vérifier l'intérêt de l'association écho-doppler et angioscanner. »
F Couturaud et al. JAMA, 2021;325(1):59-68. doi:10.1001/jama.2020.23567
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