Ne pas confondre déprime et dépression

La nécessité d’un diagnostic médical

Publié le 05/04/2012
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Crédit photo : S. Toubon.

LE STATUT de la maladie a été contesté dès l’Antiquité où la notion de mélancolie constituait déjà un sujet qui opposait la médecine et la philosophie. Avec le temps, le débat s’est déplacé entre médecine et religion : dérèglement et mollesse de l’âme au IVe siècle et, plus tard, la dépression comme péché capital car elle prive le pécheur de la recherche du bien. Au Moyen-Âge, le désespoir est considéré comme un manque d’espérance en la grâce de Dieu, ce qui entraîne une réprobation, une stigmatisation et même une diabolisation des maladies mentales et, en particulier, de la dépression.

Le terme de dépression apparaît pour la première fois en 1660, à l’époque classique. Elle est attribuée à un abattement moral lié à la décadence de la société. Le terme de spleen naît cinquante ans plus tard décrivant un contexte de morosité, d’abondance, de sédentarité et de suralimentation. D’autres concepts encore, comme le « mal suisse » qui touchait les mercenaires helvètes qui s’éloignaient de leurs montagnes, ont aussi été décrits. Au XIXe siècle, la dépression réapparaît à la fois en médecine, en météorologie et en économie (la Bourse), prenant un sens dimensionnel. En 1869, la notion de neurasthénie intègre définitivement les formes dépressives distinctes de la mélancolie dans le champ médical.

À l’époque moderne, les neurosciences, les sciences humaines et sociales ainsi que les médias s’entrecroisent pour tenter de définir les contours de la dépression. Ainsi, plusieurs concepts se succèdent : le deuil et la mélancolie de Freud, en 1915, les états dépressifs, les dépressions endogènes et exogènes, la dépression réactionnelle et la dépression névrotique proposée en 1945 par Fenichel. L’introduction des antidépresseurs, en 1957, marque un tournant dans l’évolution de ces concepts, avec l’introduction de la dimension biologique dans la dépression. Parallèlement, les sciences humaines et sociales en décrivent les aspects sociaux et culturels.

Les critères diagnostiques.

La notion de seuil pathologique, très variable dans la dépression, est un concept important à prendre en considération pour distinguer les simples symptômes dépressifs – la déprime – du syndrome dépressif. La manière dont les patients expriment les symptômes est également très variable. Cette variabilité a motivé, à partir des années 1980, la définition des critères diagnostiques d’un épisode dépressif majeur (EDM) caractérisé dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, actualisé en 2000 (DSM-IV-TR) ainsi que dans la CIM 10. Dans ces critères sont pris en compte des facteurs tels que les symptômes, la durée, le retentissement et les critères d’exclusion du diagnostic sont précisés. Cette définition permet de mieux cerner les cas des patients qui se trouvent réellement dans la maladie et rend caducs les termes antérieurement utilisés, comme la neurasthénie, la dépression névrotique ou encore ce qui est appelé « la déprime ».

Malgré un polymorphisme très important dans l’expression de la maladie en fonction de l’âge, du sexe, de l’environnement, les critères diagnostiques permettent de distinguer l’épisode dépressif caractérisé. Ils sont très utiles à la validation des travaux de recherche qui font état de facteurs de vulnérabilité ou de protection, tels que la personnalité, l’environnement agressif ou précaire, l’histoire personnelle et familiale ou encore l’héritabilité. Par ailleurs, pour les médecins qui suivent les patients, la notion de rupture, de changement important, l’évaluation de l’état émotionnel actuel du patient ainsi que son évolution avec ou sans traitement sont des éléments importants pour le diagnostic de dépression.

De l’avis de la majorité des spécialistes, les critères diagnostiques, pris dans leur ensemble, permettent de poser le diagnostic de dépression majeure dans 90 % des cas.

Les critères du DSM-V, en cours d’élaboration, permettront probablement d’améliorer la performance de l’outil diagnostique en situation clinique car ils incluront d’autres critères et dimensions non considérés dans la version actuelle, comme le degré de souffrance psychique et morale, ce qui facilitera l’identification du seuil pathologique.

En pratique, il conviendrait de bannir le terme de déprime car ce terme n’est pas médical, il contribue à rendre le discours flou autour de la maladie. Par ailleurs, les situations dites de vulnérabilité comme le deuil, les troubles de l’adaptation ou les troubles de la personnalité sont des situations qui peuvent révéler des vulnérabilités d’origine génétique ou acquises. Ces situations doivent être différenciées d’une dépression caractérisée. À ce propos, il existe une controverse autour des EDM liés à un deuil. En effet, dans les critères DSM-IV, le deuil exclut le diagnostic d’EDM mais il devrait être introduit dans ceux du DSM-V en cours d’élaboration.

La dépression illustre bien que la médecine reste un art car son diagnostic ne correspond pas à des symptômes systématisés et univoques ou à la présence de marqueurs biologiques, d’où la nécessité d’une approche clinique qui, à son tour, requiert des connaissances scientifiques sur les neurosciences, les sciences humaines et sociales, mais aussi des connaissances cliniques centrées sur le sujet tels que sa personnalité, ses antécédents familiaux ou sa biographie. Les critères diagnostiques DSM-IV facilitent la démarche diagnostique et la définition des contours de la dépression et par là même, le traitement des patients qui en sont atteints.

D’après la présentation du Pr Pierre Thomas (CHU de Lille) dans le cadre du Forum sur la dépression organisé par le Quotidien du Médecin avec le soutien institutionnel des laboratoires Lundbeck

LE STATUT de la maladie a été contesté dès l’Antiquité où la notion de mélancolie constituait déjà un sujet qui opposait la médecine et la philosophie. Avec le temps, le débat s’est déplacé entre médecine et religion : dérèglement et mollesse de l’âme au IVe siècle et, plus tard, la dépression comme péché capital car elle prive le pécheur de la recherche du bien. Au Moyen-Âge, le désespoir est considéré comme un manque d’espérance en la grâce de Dieu, ce qui entraîne une réprobation, une stigmatisation et même une diabolisation des maladies mentales et, en particulier, de la dépression.

Le terme de dépression apparaît pour la première fois en 1660, à l’époque classique. Elle est attribuée à un abattement moral lié à la décadence de la société. Le terme de spleen naît cinquante ans plus tard décrivant un contexte de morosité, d’abondance, de sédentarité et de suralimentation. D’autres concepts encore, comme le « mal suisse » qui touchait les mercenaires helvètes qui s’éloignaient de leurs montagnes, ont aussi été décrits. Au XIXe siècle, la dépression réapparaît à la fois en médecine, en météorologie et en économie (la Bourse), prenant un sens dimensionnel. En 1869, la notion de neurasthénie intègre définitivement les formes dépressives distinctes de la mélancolie dans le champ médical.

À l’époque moderne, les neurosciences, les sciences humaines et sociales ainsi que les médias s’entrecroisent pour tenter de définir les contours de la dépression. Ainsi, plusieurs concepts se succèdent : le deuil et la mélancolie de Freud, en 1915, les états dépressifs, les dépressions endogènes et exogènes, la dépression réactionnelle et la dépression névrotique proposée en 1945 par Fenichel. L’introduction des antidépresseurs, en 1957, marque un tournant dans l’évolution de ces concepts, avec l’introduction de la dimension biologique dans la dépression. Parallèlement, les sciences humaines et sociales en décrivent les aspects sociaux et culturels.

Les critères diagnostiques.

La notion de seuil pathologique, très variable dans la dépression, est un concept important à prendre en considération pour distinguer les simples symptômes dépressifs – la déprime – du syndrome dépressif. La manière dont les patients expriment les symptômes est également très variable. Cette variabilité a motivé, à partir des années 1980, la définition des critères diagnostiques d’un épisode dépressif majeur (EDM) caractérisé dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, actualisé en 2000 (DSM-IV-TR) ainsi que dans la CIM 10. Dans ces critères sont pris en compte des facteurs tels que les symptômes, la durée, le retentissement et les critères d’exclusion du diagnostic sont précisés. Cette définition permet de mieux cerner les cas des patients qui se trouvent réellement dans la maladie et rend caducs les termes antérieurement utilisés, comme la neurasthénie, la dépression névrotique ou encore ce qui est appelé « la déprime ».

Malgré un polymorphisme très important dans l’expression de la maladie en fonction de l’âge, du sexe, de l’environnement, les critères diagnostiques permettent de distinguer l’épisode dépressif caractérisé. Ils sont très utiles à la validation des travaux de recherche qui font état de facteurs de vulnérabilité ou de protection, tels que la personnalité, l’environnement agressif ou précaire, l’histoire personnelle et familiale ou encore l’héritabilité. Par ailleurs, pour les médecins qui suivent les patients, la notion de rupture, de changement important, l’évaluation de l’état émotionnel actuel du patient ainsi que son évolution avec ou sans traitement sont des éléments importants pour le diagnostic de dépression.

De l’avis de la majorité des spécialistes, les critères diagnostiques, pris dans leur ensemble, permettent de poser le diagnostic de dépression majeure dans 90 % des cas.

Les critères du DSM-V, en cours d’élaboration, permettront probablement d’améliorer la performance de l’outil diagnostique en situation clinique car ils incluront d’autres critères et dimensions non considérés dans la version actuelle, comme le degré de souffrance psychique et morale, ce qui facilitera l’identification du seuil pathologique.

En pratique, il conviendrait de bannir le terme de déprime car ce terme n’est pas médical, il contribue à rendre le discours flou autour de la maladie. Par ailleurs, les situations dites de vulnérabilité comme le deuil, les troubles de l’adaptation ou les troubles de la personnalité sont des situations qui peuvent révéler des vulnérabilités d’origine génétique ou acquises. Ces situations doivent être différenciées d’une dépression caractérisée. À ce propos, il existe une controverse autour des EDM liés à un deuil. En effet, dans les critères DSM-IV, le deuil exclut le diagnostic d’EDM mais il devrait être introduit dans ceux du DSM-V en cours d’élaboration.

La dépression illustre bien que la médecine reste un art car son diagnostic ne correspond pas à des symptômes systématisés et univoques ou à la présence de marqueurs biologiques, d’où la nécessité d’une approche clinique qui, à son tour, requiert des connaissances scientifiques sur les neurosciences, les sciences humaines et sociales, mais aussi des connaissances cliniques centrées sur le sujet tels que sa personnalité, ses antécédents familiaux ou sa biographie. Les critères diagnostiques DSM-IV facilitent la démarche diagnostique et la définition des contours de la dépression et par là même, le traitement des patients qui en sont atteints.

D’après la présentation du Pr Pierre Thomas (CHU de Lille) dans le cadre du Forum sur la dépression organisé par le Quotidien du Médecin avec le soutien institutionnel des laboratoires Lundbeck

 Dr JESUS CARDENAS  Dr JESUS CARDENAS

Source : Le Quotidien du Médecin: 9111