Dépendance, mésusage, suicide. Dans un travail publié récemment, l’Académie de médecine tord le cou aux principales idées reçues concernant les antidépresseurs. Tout en reconnaissant que les prescriptions peuvent être optimisées…
Pour les sages de la rue Bonaparte, « l’efficacité des antidépresseurs sur les symptômes émotionnels dépressifs ou anxieux est désormais bien établie ». Pourtant, « ces molécules font l'objet d'une défiance, voire d'un rejet, qui retarde le repérage de ces troubles et leur prise en charge par une prescription judicieuse », pointent les Prs Jean Pierre Olié et Marie-Christine Mouren dans un rapport à « décharge » rédigé au nom de l’Académie de médecine. Alors qu’actuellement, en France, une maladie dépressive sur deux n'est ni correctement diagnostiquée ni traitée, l’Académie dénonce en bloc les préjugés concernant les effets indésirables des antidépresseurs, leur mésusage « fréquent » ou encore leur consommation dite « record ».
« Les Français sont les plus gros consommateurs d’antidépresseurs»
« Il est couramment admis et périodiquement ressassé que les Français consomment trop d’antidépresseurs », souligne le document. Mais cette assertion « omet de prendre en compte le fait que les Français consomment davantage en terme de soins en général que les pays comparables » et méconnait « le fait que les prescriptions d’antidépresseurs sont en augmentation dans les pays comparables dont la consommation talonne, voire dépasse désormais celle qui est observée en France ». Selon une étude récente, la France ne serait ainsi plus qu’en 5e position au palmarès des prescriptions. Et des données de la CNAM sur les prescriptions médicamenteuses françaises pour l’année 2011 pointent une tendance à la « baisse ou au ralentissement des volumes de prescription de différentes classes thérapeutiques » dont les antidépresseurs.
« Le mésusage des antidépresseurs est fréquent »
Concernant le mésusage des antidépresseurs, les auteurs du rapport tendent à relativiser. « Plusieurs enquêtes se sont penchées sur l’adéquation entre prescription d’antidépresseurs et pathologies traitées », rapporte le Pr Olié et, globalement, « ces enquêtes sont plutôt rassurantes ». Avec, cependant, quelques bémols, comme le souligne le Pr Jean Louis Terra (CH Le Vinatier, Lyon). « Je vois par exemple beaucoup de prescriptions d’antidépresseurs pour des endeuillés, témoignent ce spécialiste. Or le deuil non compliqué n’est pas une maladie et n’est pas une bonne indication aux antidépresseurs. » Les troubles anxieux prêtent aussi volontiers à des prescriptions inadaptées car « il faut vraiment que ces troubles soit généralisés pour relever des antidépresseurs ».
À l’inverse, certaines dépressions authentiques ne sont pas traitées ou le sont à l’économie comme le souligne le Dr Sebbah, généraliste à Marseille et co-auteur d’une étude de la Drees sur « la prise en charge de la dépression en médecine générale ». Dans ce travail, 28% des généralistes interrogés ne prescrivent pas d’antidépresseurs face à un cas virtuel de dépression sévère.
Cette « inertie thérapeutique » serait particulièrement vraie chez le sujet âgé et pour ce que le Pr Terra appelle les « dépressions compréhensibles ». Selon plusieurs études américaines, ces dépressions qui surviennent chez des personnes pour qui « tout va mal » auraient tendance à être banalisés, considérées comme normales et seraient au final sous-traitées. Or « une des premières causes de non-réponse au traitement est l’utilisation de posologies journalières insuffisantes », rappelait l’ANSM dans ses recommandations sur les antidépresseurs.
Par ailleurs, « la durée de traitement médicamenteux d’un épisode dépressif ne peut être inférieure à 4 mois », rappelle le rapport de l’Académie. Certains états mentaux pathologiques chroniques imposent même une prescription au long cours. Et d’insister sur l’importance de l’information des patients. « L’instauration d’un antidépresseur est rarement une urgence, commente le Pr Olié. Il faut donc bien préparer psychologiquement le patient afin qu’il comprenne que le traitement va durer longtemps. » Sous peine de rechute. Reste qu’environ la moitié des patients arrêtent leur traitement au bout d’un mois.
« Les antidépresseurs induisent des dépendances »
La peur de la dépendance n’est sans doute pas étrangère à ces arrêts prématurés. Or l’Académie est formelle : « dépendance signifie nécessité d’augmenter les doses pour un même résultat (effet tolérance) et syndrome de sevrage », ce qui n’est pas le cas pour les antidépresseurs. Un constat que partage le Pr Terra : « S’il peut y avoir une dépendance psychique – le patient s’étant attaché à son traitement et y voyant presque un objet contraphobique – il n’y a pas de dépendance physique et les antidépresseurs ne sont pas addictogènes ».
L’ANSM est un peu moins tranchée puisqu’elle pointait dans ses recommandations, le risque de syndrome de sevrage. Quoi qu’il en soit, « il est de toute manière recommandé d’arrêter progressivement les antidépresseurs », rappelle le Pr Olié.
« Les antidépresseurs favorisent le suicide »
Concernant l’augmentation du risque suicidaire à l’instauration du traitement, l’Académie relativise : « Le rôle éventuellement déclencheur de conduites suicidaires au moment de la mise en place d’un traitement antidépresseur est connu depuis l’origine de ces médicaments. Pour autant, la majorité des sujets déprimés qui se sont suicidés ne recevaient pas d'antidépresseurs ». Surtout, « toutes les études montrent en population générale une corrélation négative entre le volume de prescription des antidépresseurs et l’incidence des suicides », souligne le Pr Olié.
L’équation serait vraie msême chez l’adolescent : dans cette population, l’alerte portant sur le risque d’induction du suicide sous antidépresseurs lancée au cours des années 2000 « a conduit à une réduction de prescriptions d’antidépresseurs et à une augmentation des conduites suicidaires », souligne l’Académie. En terme de santé publique, « les antidépresseurs ont donc un effet protecteur », résume le Pr Olié. Et s’il existe bel et bien une période sensible en début de prescription, celle-ci ne doit ne pas faire surseoir au traitement. Elle impose, en revanche un suivi rapproché d’abord hebdomadaire puis mensuel, tel que le recommande d’ailleurs la HAS.
L’association systématique d’anxiolytiques en début de traitement est moins consensuelle. Alors que, selon l’étude de la Dress, plus de 50% des généralistes auraient tendance à pratiquer ce type d’associations, le Pr Terra appelle à la prudence.
« La dépression est une affaire de spécialiste »
La prescription d’antidépresseurs et, plus généralement la prise en charge de la dépression est-elle pour autant une affaire de spécialiste ? Non, répond globalement l’Académie en soulignant qu’actuellement « la majorité des prescriptions d’antidépresseurs sont effectuées par le médecin généraliste, en particulier chez les sujets âgés ». L’enquête de la Dress montre d’ailleurs que la plupart se sentent légitimes en la matière.
« La dépression est une maladie pour généraliste et il faut arrêter avec nos préjugés de spécialistes », martèle pour sa part le Pr Terra pour qui le recours au psychiatre s’entend surtout en cas de comorbidités associées.
De son côté, l’Académie prône le recours « aux médecins spécialistes en pédiatrie et/ou en psychiatrie » pour toute « primoprescription d’un antidépresseur chez les moins de 18 ans ». « Parce que le diagnostic de dépression est beaucoup plus difficile dans cette population », explique le Pr Olié, mais aussi « parce que derrière des symptômes dépressifs, il peut y avoir chez l’adolescent d’autres pathologies psychiatriques qui seraient de méconnaitre de de traiter par antidépresseurs. »
Enfin, l’Académie souligne aussi – à l’instar du Dr Sebbah – l’importance de la formation. « Repérer la symptomatologie et prendre les bonnes décisions thérapeutiques, savoir prescrire ou ne pas prescrire un antidépresseur, exige une formation spécifique qui n'est pas suffisamment dispensée actuellement ». L’accent est notamment mis sur l’utilisation des critères diagnostiques et des échelles d’évaluation de l’intensité des symptômes type Hamilton ou MADRS. À ce titre, « la réalisation d’une échelle d’Hamilton peut faire l’objet d’une cotation spécifique », précise le Dr Sebbah.