DANS LE TRAITEMENT des fractures vertébrales ostéoporotiques, le recours à une vertébroplastie s’est beaucoup développé ces dernières années. Cette technique de radiologie interventionnelle consiste en l’injection percutanée de ciment acrylique PMMA dans le corps vertébral, visant à stabiliser la fracture et à avoir une action antalgique. L’intervention est réalisée sous anesthésie locale ou générale, avec une installation radiologique permettant de faire de la fluoroscopie de haute résolution et contraste de face et de profil, sans mobiliser le patient.
La validité de l’indication remise en cause.
Bien que largement pratiquée et ayant fait l’objet de recommandations de la part de plusieurs sociétés savantes de radiologie, les vertébroplasties réalisées pour les fractures vertébrales ostéoporotiques récentes n’avaient, jusqu’à l’année dernière, fait l’objet que d’études ouvertes. En août 2009, la publication par le New England Journal of Medicine de deux essais anglo-saxons contrôlés randomisés contre placebo, a remis en cause la validité de l’indication dans les fractures vertébrales ostéoporotiques.
La première étude, menée par Kallmes et coll., est un essai multicentrique ayant évalué l’efficacité de la vertébroplastie contre une intervention placebo sur les scores de douleur (échelle EVA) et de handicap (questionnaire modifié Rolland-Morris RDQ) chez 131 patients souffrant de fractures vertébrales ostéoporotiques douloureuses depuis moins de un an. À un mois, aucune différence significative n’a pu être mise en évidence entre les deux groupes sur les deux critères principaux de l’étude. Notamment, l’amélioration moyenne de la douleur sur l’échelle EVA était de 4,6 points ± 3,0 dans le groupe vertébroplastie contre 3,9 ± 2,9 dans le groupe placebo. Parmi les critères secondaires, les auteurs rapportent cependant une tendance à un meilleur taux d’amélioration cliniquement notable de la douleur dans le groupe vertébroplastie (64 % contre 48 %, p = 0,06), ainsi qu’un pourcentage de patients ayant choisi de bénéficier de l’autre bras thérapeutique après 1 mois, significativement plus important dans le groupe placebo (43 % contre 12 % ; p < 0,001). Si les auteurs concluent à l’absence de supériorité de la vertébroplastie sur la technique placebo dans cette indication, ils nuancent cependant les résultats en relevant plusieurs limites méthodologiques et engagent à entreprendre des essais complémentaires avant de pouvoir formellement conclurent.
Buchbinder et coll., les auteurs de la deuxième étude, dont les résultats sont similaires, sont plus tranchés dans leurs conclusions. Leur essai a été mené en double aveugle chez 78 patients présentant une à deux fractures vertébrales ostéoporotiques douloureuses de moins de 12 mois, avec un suivi de 6 mois. Aucun changement de bras thérapeutique n’était possible. L’amélioration moyenne de la douleur globale à 3 mois, critère principal de l’étude, n’était pas significativement différente de celle du groupe placebo et relativement modeste (respectivement 2,6 ± 2,9 et 1,9 ± 3,3). Aucun des critères secondaires n’est apparu en faveur de la vertébroplastie.
Des limites méthodologiques.
Ces résultats ont surpris la communauté radiologique et rhumatologique, car ils vont à l’encontre des études ouvertes préexistantes et surtout des constatations cliniques des équipes médicales qui utilisent la vertébroplastie avec un effet antalgique souvent rapide et spectaculaire. Faut-il alors se fonder sur ces deux études et abandonner la pratique de la vertébroplastie dans les fractures vertébrales ostéoporotiques ?
Plusieurs critiques peuvent être formulées concernant les travaux précédents. S’il s’agit pour la première fois d’essais contre placebo, ils ne sont pas pour autant exempts de défauts méthodologiques. Tout d’abord, les résultats des deux essais ne sont pas aussi cohérents qu’il n’y paraît au premier abord. Dans l’étude de Kallmes et coll., l’absence de supériorité de la vertébroplastie semble plutôt liée à un effet placebo particulièrement important, avec un bon effet antalgique dans les deux groupes, alors que dans l’étude de Buchbinder et coll., le bénéfice antalgique est beaucoup plus modeste de celui rapporté jusqu’à présent. La taille des effectifs est également limitée et les critères de recrutement peuvent être critiqués. Le délai de 12 mois d’évolution de la fracture peut paraître trop important et le caractère récent est apprécié de façon imprécise, avec des critères radiologiques (IRM) inexistants ou mal précisés. Par ailleurs, dans l’étude Kallmes et coll., la technique de vertébroplastie n’est pas bien détaillée. Dans celle de Buchbinder et coll., en revanche, elle n’est pas optimale : l’abord bipédiculaire n’est pas systématique, l’aiguille utilisée est de petit calibre (obligeant certainement à injecter le ciment sous forme trop fluide) et la quantité moyenne de ciment injecté est faible.
Devant ces incertitudes et ces limites méthodologiques, la réalisation d’études complémentaires se justifie ; d’autant que si de nouvelles études cliniques ne viennent pas contredire ces deux essais randomisés, les autorités de santé risquent de limiter l’accès à ce traitement. Il est donc important et urgent de participer à une étude randomisée multicentrique prospective française (étude STIC kyphoplastie) en cours d’inclusion. Cette étude est subventionnée par le ministère de la santé et conduite dans la plupart des CHU de France, y compris dans certains DOM-TOM (en Martinique, par exemple), par des équipes de rhumatologues, de chirurgiens orthopédistes et de radiologues. Cet essai a pour objectif de comparer la vertébroplastie au traitement médical conventionnel et à la kyphoplastie. Différents protocoles compareront ces techniques chez des patients souffrant de fractures vertébrales douloureuses évoluant depuis moins de 6 semaines (STIC OSTEO -6) ou plus de 6 semaines (STIC OSTEO +6).
D’après un entretien avec le Pr Jean-Denis Laredo, chef du service de radiologie à orientation ostéo-articulaire, hôpital Lariboisière, Paris.
Kallmes DF et coll. N Engl J Med 2009 ;361:569-79.
Buchbinder R et coll. N Engl J Med 2009;361:557-68.
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