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Dossier

Congrès français de rhumatologie

Moderato en rhumato

Publié le 12/01/2018

Sans parler de machine arrière, le récent congrès français de rhumatologie a mis l’accent sur les surdagnostics et le recours excessif aux biothérapies dans la spondyloarthrite. Pour l’algodystrophie, les nouvelles recommandations ouvrent grand la porte à la mobilisation précoce. Quant à la PR, les rhumatos restent prudents vis-à-vis des régimes “miracles”, seule la perte de poids ayant réellement fait ses preuves.

Spondyloarthrite : mollo sur les biothérapies

[[asset:image:12250 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["CREDIT PHOTO : CNRI\/SPL\/PHANIE"],"field_asset_image_description":["Dans la spondyloarthrite, 30% des malades sous anti-TNF sont hors AMM."]}]]

La prévalence de la spondyloarthrite est de 0,3 % en France et le délai moyen de diagnostic est de sept ans, ce qui témoigne de la difficulté du diagnostic, souvent méconnu, mais aussi facilement porté par excès. Sur 20 personnes HLA B27+ à la naissance, une seule aura une spondyloarthrite. La recherche d’HLA B27 devant des lombalgies banales ou des sacro-iliites, beaucoup plus souvent d’origine mécanique qu’inflammatoire, peut donc conduire à des excès diagnostiques si la clinique n’est pas assez prise en compte.

Les nouvelles recommandations de la Société française de rhumatologie (SFR), présentées lors de son récent congrès (Paris, décembre 2017), soulignent d’emblée ces difficultés diagnostiques et vont dans le sens d’un allégement thérapeutique. L’objectif est d’obtenir et maintenir une rémission ou une faible activité (“treat to target”).

Les AINS en première ligne Le concept de fenêtre d’opportunité thérapeutique (un traitement précoce intensif est associé à une meilleure évolution à long terme) semble s’appliquer aux formes périphériques mais son efficacité n’est pas démontrée dans les formes axiales. Les mesures non médicamenteuses ont une place fondamentale avec, au premier chef, l’arrêt du tabac. Comme l’a précisé le Pr Daniel Wendling (Besançon), « le tabagisme est un facteur d’évolution péjorative sur le plan fonctionnel et structural, et dans le rhumatisme psoriasique il est également associé à une moindre réponse thérapeutique ». Des programmes spécifiques d’auto-exercices sont recommandés dans tous les cas, de même que la kinésithérapie dans les formes sévères, axiales en particulier.

Le traitement pharmacologique de première ligne repose sur les AINS, jusqu’à la dose maximale tolérée, dans les formes axiales comme périphériques. S’ils sont efficaces, ils doivent être poursuivis à la demande pour contrôler les symptômes. « La prescription continue à dose maximale n’est pas préconisée du fait des risques d’effets secondaires », souligne le Pr Wendling. La corticothérapie générale n’a pas de place dans la plupart des cas, notamment dans les formes axiales. Des infiltrations peuvent en revanche être envisagées pour les arthrites et enthésites.

En cas d’arthrite périphérique résistante à au moins deux classes différentes d’AINS, à dose maximale pendant au moins 15 jours chacun, le deuxième palier fait appel aux traitements de fond conventionnels (méthotrexate, léflunomide, sulfasalazine), même si le niveau de preuve reste modeste. En cas d’échec, une biothérapie peut être proposée par anti-TNF alpha, voire anti-IL23 ou anti-IL17. En revanche, dans les formes axiales et enthésitiques isolées, les traitements de fond conventionnels n’ont pas d’efficacité. Les anti-TNF (ou l’anti-IL17) peuvent être proposées en cas de résistance aux AINS. Cependant, dans les formes axiales non radiographiques, sans inflammation biologique et IRM, les biothérapies ne sont pas indiquées, « sauf cas particulier » à discuter en RCP.

Il est important d’insister sur ces recommandations, alors que la France a la progression la plus importante au monde de l’utilisation d’anti-TNF dans la spondyloarthrite et que 30 % des malades commencent un traitement anti-TNF hors AMM.

Incertitudes sur l’algodystrophie

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La présentation clinique du syndrome douloureux régional complexe (SDRC), anciennement algodystrophie, est souvent déroutante, sa physiopathologie mal comprise et le traitement difficile, tant la littérature est pauvre dans ce domaine. Aussi n’est-il pas étonnant que les premières recommandations françaises sur le sujet, élaborées par la SFETD (Société française d’étude et de traitement de la douleur) en association notamment avec la SFR, reposent essentiellement sur un consensus d’experts. Le SDRC reste un diagnostic d’élimination qui se fait avant tout sur la clinique, les critères de Budapest ayant une sensibilité « acceptable ». Les examens complémentaires (radio, scanner, IRM), utiles pour le diagnostic différentiel, n’ont aucun intérêt dans le suivi. Enfin, les arguments sont minces en faveur des scintigraphies, « pourtant réalisées larga manu », déplore le Dr Anne Béra-Louville (Lille).

Au chapitre de la prévention, les auteurs estiment « raisonnable » de prescrire de la vitamine C (500 mg/j pendant 50 j) après fracture de poignet, étant donné le faible coût et l’innocuité de ce traitement. Aucune recommandation ne peut être faite sur les techniques anesthésiques. En revanche, mobilisation précoce et réadaptation sont les éléments centraux du traitement. Devant une diminution de la mobilité articulaire et de l’utilisation d’un membre, la réadaptation fonctionnelle doit être systématique, réalisée par un kinésithérapeute de ville en cas d’atteinte légère ou modérée, et par des équipes multidisciplinaires en centre de réadaptation ou de la douleur dans les cas les plus sévères.

Le groupe de travail a choisi d’abandonner la règle de la non-douleur, car il semble impossible de mobiliser sans faire mal. En revanche, il faut éviter d’aggraver les symptômes par une rééducation trop intensive qui ignorerait la douleur, et toujours prescrire des antalgiques.
En association, il est possible d’essayer des techniques cognitives. La consultation d’un psychologue peut être nécessaire, notamment en cas d’état de stress post-traumatique, de troubles psychiatriques associés, de suspicion de troubles factices ou de retentissement majeur sur la qualité de vie.

La piste de la neurostimulation La place des médicaments est limitée. Les biphosphonates sont les plus étudiés, mais le niveau de preuve est faible en faveur de ces médicaments, qui peuvent entraîner des effets secondaires rares, mais graves. Le groupe de travail évoque néanmoins la possibilité d’une cure unique de pamidronate dans les SDRC avec scintigraphie osseuse positive évoluant depuis moins d’un an. En cas de troubles sensoriels, les auteurs estiment pertinent d’envisager un médicament indiqué dans les troubles neuropathiques (anti-épileptique, antidépresseur). Malgré l’absence de données dans la littérature, opioïdes mineurs et paracétamol peuvent être proposés pour faciliter la réadaptation. Il en est de même pour les patchs de lidocaïne, très bien tolérés, en cas d’allodynie importante au cours de la réadaptation.
Quelques études observationnelles ont montré des résultats positifs de la neurostimulation transcutanée, méthode simple et peu coûteuse. La stimulation médullaire est recommandée par la HAS dans les SDRC rebelles chroniques. Une étude montre une amélioration de la douleur, mais pas des capacités fonctionnelles. « Nous recommandons cette technique en cas de prédominance de la composante douloureuse neuropathique, a déclaré le Dr Béra-Louville, après un an d’évolution, et non six mois, comme le préconise la HAS ». Aucune preuve n’existe en faveur d’autres traitements, qu’il s’agisse de bains écossais, AINS, corticoïdes, opioïdes majeurs ou drainage lymphatique.

PR : maigrir, le seul régime miracle

La polyarthrite rhumatoïde (PR) n’échappe pas à la vogue des régimes, bien que les arguments scientifiques soient maigres dans ce domaine. Trois grandes cohortes prospectives (cohorte européenne Epic, cohorte danoise et Nurse Health Study) ont donné des résultats disparates. « Si l’on considère les aliments solides, il n’y a pas d’effets négatifs démontrés, résume le Pr René-Marc Flipo (CHRU de Lille). En revanche, une meilleure alimentation serait associée à un moindre risque. » Aucun essai randomisé n’a montré l’intérêt d’une alimentation dépourvue de produits laitiers, de viande ou de gluten sur l’évolution de la PR. Quelques études indiquent l’efficacité potentielle d’un régime sans gluten sur la fibromyalgie. « 20 à 25 % des PR ont une composante fibromyalgique, sur laquelle le régime sans gluten pourrait peut-être agir », suggère le Pr Flipo, tout en notant que d’après certaines analyses, ces régimes auraient essentiellement des effets subjectifs chez les personnes anxieuses et dépressives. En revanche, plus d’une vingtaine d’études contrôlées et trois méta-analyses indiquent l’efficacité clinique des suppléments d’oméga-3, « mais cette efficacité est modeste, précise le Pr Flipo, et le double aveugle est impossible du fait de l’odeur que donnent ces suppléments ». Ainsi estime-t-il plus intéressant d’encourager la consommation de fruits, d’huile d’olive et de poissons, plusieurs études montrant une petite efficacité du régime méditerranéen.

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Le jeûne en question Dans un essai incluant 30 patients, 15 jours de jeûne faisaient aussi bien que 15 mg/j de corticoïdes sur les critères cliniques, mais seule la corticothérapie avait des effets sur le syndrome inflammatoire biologique. Par ailleurs, le bénéfice du jeûne s’estompe dès la reprise de l’alimentation. Une méta-analyse ancienne de quatre études contrôlées montre un effet significatif du jeûne suivi d’un régime végétarien à 3 mois.
La perte de poids est, toutefois, un facteur confondant majeur. « Très longtemps, nous avons ignoré le fait que la moitié, voire les deux tiers des malades atteints de PR sont en surpoids ou obèses. Or, toutes les études montrent que le surpoids augmente le risque et diminue la réponse au méthotrexate et aux anti-TNF. » Une analyse récente de la Nurse Health Study montre un risque de PR multiplié par 3,5 si les anticorps ACPA sont positifs, mais par 23 s’il y a également un surpoids ou une obésité ! Lutter contre la surcharge pondérale est donc une mesure phare de prévention et d’optimisation du traitement.

Dr Isabelle Leroy

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