La prescription d'opiacés a considérablement augmenté au cours des deux dernières décennies pour diverses douleurs aiguës et chroniques, notamment articulaires, rachidiennes, postopératoires et dentaires. Le nombre élevé de prescription suscite des inquiétudes en raison du niveau de preuve limité d'efficacité à long terme, des risques accrus d'effets indésirables et d’une surmortalité liée à cette utilisation prolongée. Deux récentes publications d’une équipe de chercheurs canadiens apportent un éclairage édifiant sur les indications de ces prescriptions et sur la mortalité due à leur utilisation.
Un besoin d'optimiser les prescriptions
Une première étude de population a concerné plus de 650 000 sujets démarrant un traitement opiacé pour une indication « douleur » [1]. Dans cette population, 12 % des indications étaient des douleurs « musculo-squelettiques ». Pour ces douleurs rhumatologiques (articulaires ou rachidiennes), la durée de prescription était la plus longue parmi toutes les indications : plus d’un tiers d'ordonnances initiales d'une durée supérieure à 7 jours. Les doses prescrites n’étaient pas les plus élevées par comparaison aux autres indications (douleurs postopératoires notamment) mais 20 à 25 % des sujets ayant des douleurs rhumatologiques ont reçu des doses quotidiennes supérieures à 50 mg d’équivalent morphine. L’essentiel des prescriptions concerne des opiacés à libération immédiate : codéine en association pour plus de la moitié, oxycodone pour près d’un quart et tramadol chez seulement un patient sur huit. Ces données descriptives soulignent la nécessité d’optimiser les prescriptions du premier opiacé. Les doses élevées et les prescriptions initiales de longue durée sont associées à un risque plus important d’effets indésirables et d’utilisation à long terme.
Des conséquences mortelles
Dans une autre étude de la même équipe de l’Ontario, les auteurs ont évalué la contribution de la prescription ou non d’opiacés dans une cohorte de 2 833 patients dont le décès a été rapporté aux opiacés [2]. Tous les patients décédés ont eu une analyse toxicologique post mortem permettant d’établir précisément le profil de consommation d’opiacés. Ces données ont été croisées avec les données de prescription d’ordonnances dites actives (celles dont la durée chevauche la date du décès) et d’ordonnances récentes (celles délivrées dans les 30 à 180 jours précédant le décès). Un tiers des décès liés aux opiacés concernaient des personnes traitées activement avec un opiacé sur ordonnance, ce qui signifie par conséquent qu’un défaut de prescription active était constaté chez près de 2/3 des sujets, plus fréquemment chez les jeunes et les hommes. Parmi les sujets ayant une prescription active au moment du décès, une preuve toxicologique post mortem d'un opiacé non prescrit était identifiée chez plus d’un sujet sur trois, le plus souvent le fentanyl. Parmi les sujets n’ayant pas de prescription au moment du décès, le fentanyl a été détecté chez 20 % des sujets décédés en 2013, près de 50 % en 2016…
Il apparaît donc clairement que la prescription de dérivés opiacés a un effet significatif sur la mortalité, dû en partie à un détournement d’utilisation ou à l’usage associé de dérivés illicites. La tendance inquiétante d'une implication accrue du fentanyl sans ordonnance en 2016 correspond à la récente diffusion du fentanyl illicite sur le marché. Ces considérations sont importantes à prendre en compte par le rhumatologue au moment d’une prescription de dérivé opiacé surtout dans le cas de douleurs chroniques où le mésusage et la dépendance risquent d’avoir un impact mortel…
[1] Pasricha SV et al. Clinical indications associated with opioid initiation for pain management in Ontario, Canada: a population-based cohort study. Pain 2018;159(8):1562-8
[2] Gomes T et al. Contributions of prescribed and non-prescribed opioids to opioid related deaths: population based cohort study in Ontario, Canada. BMJ 2018 Aug 29;362:k3207
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