Les besoins en vitamine D

Renforcer les apports surtout chez l‘adolescent

Publié le 18/11/2010
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PAR LE Pr MICHEL VIDAILHET*

TRÈS RAPIDEMENT après la découverte de la vitamine D, l’étude américaine d’Eliot (1923-1925), comparant 116 nourrissons bénéficiant d’un ensoleillement important et d’huile de foie de morue à 100 nourrissons témoins, montre un bénéfice évident : 4 % de rachitisme discret dans le groupe d’intervention contre un tiers d’enfants rachitiques chez les témoins. Dès 1934, les laits et laitages ont été enrichis en vitamine D aux États-Unis, ce même enrichissement n’ayant été assuré dans les pays d’Europe de l’Ouest qu’à partir de 1977, alors que la France est restée opposée à cet enrichissement, même limité aux laits infantiles. Devant une prévalence très élevée du rachitisme (17 % et 12 % des jeunes enfants hospitalisés à Lyon et Marseille à la fin des années 1950), une circulaire officielle a précisé, à deux reprises, en 1963 et 1971 (1), les règles : de 1?000 à 1 500 UI/j chez le nourrisson normal, selon son exposition au soleil, 2 500 UI/j si sa peau est très pigmentée, 1 500 UI/j chez le prématuré, prévention quotidienne jusqu’à 2,5 ans, hivernale de 2,5 à 6 ans, le cas échéant par dose de charge trimestrielle ou semestrielle. Si la chute de la prévalence du rachitisme a été spectaculaire, elle reste excessive : 1,7 % des hospitalisés à Lyon, 0,5 % à Rouen, 0,4 % à Nancy, en 1988-1990.

La découverte à la fin des années 1960 du rôle de réserve de la 25 (OH) D permet de disposer d’un marqueur sensible et spécifique du statut vitaminique D. Elle a permis une enquête chez les nourrissons de 8 à 10 mois dans 10 villes françaises en 1988-1990. En mars, 50 % des enfants de Lisieux Nancy, Paris, Rouen, Tarbes et Vannes avaient des concentrations de 25 (OH) D < 10 ng/ml (25 nmol/l), 14 % ayant même des valeurs inférieures à 6 ng/ml. Seule la ville de Nîmes, la plus méridionale et la mieux ensoleillée, gardait des valeurs satisfaisantes en fin d’hiver. Ces résultats conduisent à décider, par circulaire ministérielle du 13 février 1992, un enrichissement des laits infantiles à raison de 400 à 600 UI/l. Cela a entraîné un effondrement de la prévalence du rachitisme. En 2005, une enquête par courriel a montré la quasi-disparition des rachitismes du nourrisson et une diminution des hypocalcémies dans les services de pédiatrie. Si la situation s’est considérablement améliorée chez le nourrisson, il n’en va pas de même après 18 mois où les recommandations ministérielles de supplémentation hivernale sont mal suivies, avec une diminution des taux de 25 (OH) D qui vont en décroissant de 18 mois à 6 ans et des valeurs inférieures à 10 ng/ml chez 6 % des enfants (2). A l’adolescence, période de croissance et de minéralisation osseuses maximales, plusieurs études ont donné des résultats préoccupants. Dans l’une d’elles, la 25 (OH) D était inférieure à 10 ng/ml dans 24 % des cas, et les taux étaient effondrés, inférieurs à 6 ng/ml, dans 9 % des cas (3). Cette situation est d’autant plus préoccupante que les apports calciques à cet âge sont souvent très insuffisants, en particulier chez les filles (4).

Les études conduites chez l’adulte ont abouti à remettre en cause la validité du seuil de 10-12 ng/ml, en dessous duquel apparaît le risque de rachitisme. Le seuil désormais admis à l’âge l’adulte est la valeur à partir de laquelle apparaît la meilleure freination de la sécrétion de parathormone (PTH). Il est beaucoup plus élevé, à 30 ng/ml (5). L’application de ce nouveau seuil à l’enfant et l’adolescent est l’objet de discussion, la signification d’une augmentation de la PTH en période de croissance n’ayant pas nécessairement de valeur péjorative.

Indépendamment de ce seuil de 25 (OH) D, les besoins sont difficiles à déterminer en raison du rôle majeur de la photosynthèse cutanée et des variations induites par la saison, la latitude, la pollution atmosphérique, l’habillement, les durées d’exposition au soleil et de facteurs génétiques comme la pigmentation et les polymorphismes du récepteur de la vitamine D. Les teneurs très basses en vitamine D des aliments les plus riches expliquent le niveau très faible des apports alimentaires qui sont de 1,8 ± 1,1 µg/j de 4 à 9 ans et de 2 ± 1,1 µg/j chez l’adolescent (4), loin des « apports nutritionnels conseillés » (ANC) qui sont de 5 µg/j à ces âges.

En hiver et au printemps, de 30 à 50 % des enfants d’Europe du Nord et de 17 à 35 % de ceux vivant dans des pays de latitude moins élevée, comme la France, ont des concentrations de 25 (OH) D inférieures à 12 ng/ml ; il serait donc légitime d’assurer en période hivernale chez ces enfants, surtout aux adolescents, un supplément de vitamine D de 5 à 10 µg/j (6), soit quotidiennement, soit par dose de charge trimestrielle de 80 000 à 100 000 UI en deux prises, l’une en novembre, l’autre en février.

Pour le nouveau-né, il est nécessaire que soient assurés durant la grossesse des taux de 25 (OH) D satisfaisants, au moins durant le dernier trimestre, par un apport quotidien de 400 UI de vitamine?D3 ou une dose de charge de 80 000 UI au début du 7e mois ; cela permet d’assurer un meilleur statut vitaminique D au fœtus et de limiter les risques d’hypocalcémie néonatale.

Chez le nourrisson, bien que les ANC, conformes à la circulaire ministérielles (1) (de 27 à 37,5 µg/j), soient très supérieurs aux « apports adéquats » retenus aux États-Unis, l’expérience française, vieille de plus de 40 ans, montre que ces apports sont bien tolérés et n’induisent pas de taux excessifs de 25 (OH) D (7). De plus, il apparaît qu’un apport supérieur à 10 µg/j la première année de la vie, diminuerait le risque de survenue d’un diabète de type 1 (8).

* Hôpital d’Enfants, Vandœuvre-lès-Nancy

(1) Circulaire n°140 du 6 janvier 1971. Ministère de la Santé et de la Sécurité sociale. Act Soc Hebdo 1971; 767: 15-16.

(2) Mallet E et coll. Arch Pediatr 2005;12: 1797-803.

(3) Duhamel JF et coll. Arch Pediatr 2000; 7: 148-53.

(4) AFSSA. Étude individuelle nationale des consommations alimentaires 2 (INCA 2) 2006-2007. http://www.afssa.fr.

(5) Chapuy MC et coll. Osteoporosis Int 1997; 7: 439-43.

(6) Rizzoli R et coll. Bone 2010;46: 294-305.

(7) Vervel C et coll. Arch Pediatr 1997 ;4 : 126-32.

(8) Harris SS. J Nutr 2005 ; 135 : 323-5.


Source : Bilan spécialistes