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Dossier

Eular 2019

Rhumato, est-ce-qu'on en fait trop ?

Publié le 06/09/2019
Rhumato, est-ce-qu'on en fait trop ?

rhumato
PIXOLOGICSTUDIO/SPL/PHANIE

Alors que les thérapies ciblées vont de succès en succès en rhumatologie, le congrès européen de la discipline (Eular, Madrid, 12-15 juin) a été l’occasion d’interroger les pratiques. Sans faire machine arrière, les spécialistes pointent le risque de surenchère diagnostique ou thérapeutique dans certaines pathologies comme la spondylarthrite, la PR, le rhumatisme psoriasique et même l’hyperuricémie.

Spondylarthrite : les experts alertent sur le risque de surdiagnostic

Du fait de définitions assez mouvantes des maladies et des progrès de l’imagerie, la rhumatologie est propice au surdiagnostic. Ce d’autant qu’avec l’avènement des thérapies ciblées, le paradigme actuel est de traiter « vite et fort » même si les formes modérées ne deviennent pas obligatoirement sévères en l’absence de traitement.

L’exemple le plus typique est celui de la SpA (spondylarthrite ankylosante). En 1984, le diagnostic nécessitait un critère radiologique (sacro-iliite bilatérale de grade ≥ 2 ou unilatérale de grade 3 à 4) associé à au moins un signe clinique, ce qui mettait à 9 ans en moyenne le délai entre les premiers symptômes et le diagnostic. Les ressources thérapeutiques étaient alors limitées aux AINS et/ou corticoïdes. Avec les anti-TNF, on a disposé d’un traitement efficace, dont le bénéfice était d’autant plus important qu’il était instauré précocement. Parallèlement, le développement de l’IRM a mis en évidence des lésions inflammatoires sacro-iliaques et rachidiennes non objectivables à la radiographie, ce qui a amené à définir une SpA axiale non radiographique, forme précoce de SpA axiale. « Les nouveaux critères diagnostiques de SpA donnent un rôle prépondérant à l’IRM ainsi qu’aux symptômes rapportés par le patient, et cette notion de SpA non radiologique a entraîné une augmentation de l’incidence des formes légères et modérées. Ainsi, on ne retrouverait pas moins de 25 % de SpA axiales non radiographiques chez les lombalgiques, alors que la prévalence du HLAB27 est très basse dans ces populations et qu’on observe aussi des lésions inflammatoires à l’IRM chez des sujets sains, s’insurge le Pr Robert B. Landewé (Pays-Bas). » Aux USA, la prévalence de la SpA devrait doubler en 10 ans. Des études de cohorte commencent à repérer des cas de surdiagnostic/surtraitement. « On ne peut nier l’existence des formes non radiologiques, mais le diagnostic requiert patience, expertise clinique et reconnaissance des différents patterns de la maladie », conclut le rhumatologue qui conseille aux médecins : « Keep calm and think smart. »

>PR et rhumatisme pso : pas de thérapies ciblées d’emblée !

Parmi les 6 recommandations mises à jour à l’occasion du congrès européen de rhumatologie, celles sur la polyarthrite (PR) et le psoriasis articulaire (PsA) étaient particulièrement attendues. Alors que les nouvelles molécules vont de succès en succès, la Ligue européenne contre le rhumatisme (Eular, European League Against Rheumatism) insiste sur la place que doivent garder les traitements conventionnels.

Dans le PsA, elle s’oppose aux recommandations américaines de 2018 en rappelant que le traitement doit débuter par des AINS, et en cas d’échec par les DMARDs (disease modifying anti-rheumatic drugs) conventionnels (méthotrexate – MTX – en cas d’atteinte cutanée associée, sulfasalazine, leflunomide) et non par un anti-TNF d’emblée. En fait, une étude de 2018 met clairement en évidence la supériorité des anti-TNF sur le MTX en première ligne, mais pour des questions de coût, les Européens préfèrent donner d’abord une chance au MTX. Parallèlement aux biothérapies par anti-IL 12/23 (très efficaces sur les lésions cutanées) ou anti-IL 17, prennent place des thérapies ciblées anti-JAK et une petite molécule, l’inhibiteur de la phosphodiesterase-4. « Pour la première fois est aussi abordée dans le PsA la possibilité d’une désescalade thérapeutique », remarque le Pr Laure Gossec (La Pitié Salpêtrière).Dans la PR, le MTX reste le traitement de première intention. « Il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’une pathologie chronique, rarement curable avec souvent un traitement à vie. Il est parfois nécessaire de recourir à des traitements dirigés contre plusieurs cibles, mais aussi d’impliquer le choix du patient et la notion de coût dans les décisions thérapeutiques », souligne le Pr Josef Smolen (Autriche). Ce n’est qu’en cas d’échec de l’association méthotrexate/corticoïdes que sont envisagées les biothérapies ou les inhibiteurs de JAK, désormais au même niveau. Petit changement de cap, après échec d’un anti-TNF, on reconnaît maintenant qu’il est préférable de changer de famille thérapeutique plutôt que de passer à un autre anti-TNF. L’éventualité d’une désescalade thérapeutique se confirme, avec la possibilité de revenir aux traitements conventionnels en cas de rémission prolongée.


Enfin des espoirs thérapeutiques dans l’arthrose

Alors que les corticoïdes ne sont pas recommandés dans l’arthrose des mains en l’absence de preuve, la bien nommée étude Hope montre qu’une faible dose de prednisolone (10 mg) en améliore significativement la douleur et la fonction, et réduit la synovite à l’échographie.

Une étude marque aussi le retour du tanézumab, anticorps anti-NGF (nerve growth factor) qui avait été arrêté du fait d’un risque potentiel de destruction articulaire. L’essai de phase III a évalué une posologie plus faible. La douleur et le handicap fonctionnel de la gonarthrose et de la coxarthrose sont largement diminués, avec une meilleure tolérance à ces posologies et sans association d’AINS mais avec toutefois un surrisque de destruction articulaire dans 2.5 % des cas. « Il reste à déterminer quels patients pourraient en bénéficier », conclut le Pr Francis Berenbaum (Paris).

L’hyperuricémie isolée déboutée

La goutte a doublé en 20 ans. Elle est souvent associée à l’HTA, l’obésité (le risque de syndrome métabolique est multiplié par 3), l’atteinte rénale et constitue incontestablement un facteur de risque cardiovasculaire (CV) indépendant, favorisant l’athérosclérose ainsi que la surmortalité CV et globale, via la dysfonction endothéliale, le stress oxydatif et l’inflammation. « Ce risque doit être absolument évalué et considéré », insiste le Pr Edward Roddy (Royaume-Uni). Pourtant, « en pratique, la prise en charge de la goutte est insuffisante », s’irrite le Pr Mariano Andrés (Espagne). « Plus de la moitié des patients ne reçoivent pas d’hypo-uricémiants ou à la mauvaise dose, la recherche de cristaux n’est généralement pas faite et l’évolution de l’uricémie n’est pas suivie ». De plus, le febuxostat serait surprescrit, alors qu’à impact comparable à l’allopurinol en termes d’évènements CV, il augmenterait la mortalité CV et globale, chez les patients ayant des antécédents cardiovasculaires. Par contre, la colchicine pourrait être bénéfique sur le risque CV en diminuant l’incidence des infarctus du myocarde, mais pas les autres évènements CV en cas de maladie athéromateuse existante.

Faut-il pour autant traiter les hyperuricémies asymptomatiques dans l’optique de diminuer la morbi-mortalité cardio-vasculaire ? Si cela a été envisagé, désormais les rhumatos mettent la pédale douce. « Non seulement les traitements hypo-uricémiants ne montrent pas de bénéfice sur les comorbidités dans ce cas, mais ils pourraient augmenter le risque de maladies neurodégénératives », rapporte le Pr Miguel Lanaspa (USA). L’hypo-uricémie est associée à un risque accru d’apparition ou d’aggravation de la maladie de Parkinson, de démence (vasculaire ou non) et de maladie d’Alzheimer, même si des études plus récentes semblent indiquer le contraire. Aussi l’Eular recommande-t-elle de ne pas traiter l’hyperuricémie isolée et de ne pas maintenir une uricémie < 3 mg/dl au long cours.

En Bref

Le vaccin antigrippal plus « rentable » sous anti-TNF Une étude menée chez plus de 15 000 personnes traitées par adalimumab montre que le vaccin antigrippal n’est pas moins efficace chez ces patients. Au contraire du fait du risque infectieux accru sous anti-TNF, il suffit de vacciner 10 sujets pour éviter un cas de grippe, vs 71 chez les sujets sains.

PR : un traitement stimulant Une étude pilote suggère que la stimulation du nerf vague pourrait améliorer les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde en échec de plusieurs biothérapies ou traitements ciblés, via la modulation de l’inflammation.

De l’ordre dans l’ostéoporose Alors que dans l’ostéoporose, il semble logique – mais contraire aux recommandations – de commencer par un ostéoformateur avant de switcher pour un agent anti-résorption, une petite étude suggère l’inverse, montrant qu’un traitement par biphosphonate préalable au dénosumab réduit le risque de perte osseuse. 

Maia Bovard Gouffrant

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