Chez ce patient âgé de 23 ans, les symptômes ont débuté en novembre 2015, par des douleurs du poignet droit conduisant à la découverte sur les radiographies d'une lésion ostéolytique et soufflante de l’extrémité distale du radius, évoquant une tumeur à cellules géantes agressive (TCG) [figure 1].
La biopsie radioguidée réalisée en mars 2016 confirme cette suspicion diagnostique : prolifération densément cellulaire, comportant des cellules mononucléées à noyau arrondi ou ovalaire sans atypie, formant des plages mêlées d’un grand nombre de cellules géantes multinucléées, aspect très évocateur d’une TCG bénigne des os (figure 2).
Ce diagnostic de TCG conduit à discuter une intervention chirurgicale mais des difficultés techniques prévisibles sont mises en avant devant le caractère agressif de la lésion, amincissant considérablement voire interrompant par endroits la corticale distale du radius sur le scanner (figure 3) avec un risque d’éclatement lors du curetage, en particulier de la lame sous-chondrale. La réunion de concertation pluridisciplinaire conclut donc à l’opportunité de mettre en place un traitement pré-opératoire par dénosumab et de retarder la chirurgie à la fin de cette période après une nouvelle évaluation d’imagerie.
En l’absence de contre-indication, le patient reçoit donc une injection sous-cutanée de 120 mg de dénosumab à partir de début avril, à J1, J8, J15 et J28. Un contrôle de scanner fait à J30 confirme une nette réossification périphérique de la corticale du radius et de l’os sous-chondral de l’articulation radiocarpienne (figure 4). À noter la survenue d’une fracture spontanée du radius pendant cette période de traitement médical. Le patient est ensuite opéré à J45 : curetage-comblement par allo- et auto-greffe Le chirurgien insiste sur le fait que le traitement préalable a permis d’obtenir la formation d’une coque corticale solide ayant rendu son geste plus aisé et plus sûr pendant le curetage chirurgical.
Le matériel tumoral du curetage a fait l’objet d’une nouvelle étude histologique (figure 2). On constate une importante ossification métaplasique avec présence de cellules fusiformes (x4) et, en quelques rares secteurs, la persistance de quelques cellules géantes mêlées aux cellules fusiformes (flèches ; x16).
A 3 mois postopératoire le résultat fonctionnel et radiologique (figure 5) est excellent.
Une tumeur souvent récidivante
La TCG est une tumeur ostéolytique dont la nature est le plus souvent bénigne mais l’évolution volontiers localement agressive et récidivante, survenant habituellement chez des adultes jeunes. La localisation au radius distal représente environ 10 à 12 % de toutes les TCG. La TCG est caractérisée par la présence d’un grand nombre de cellules de phénotype ostéoclastique, réactionnelles à la sécrétion de grandes quantités de receptor activator of nuclear factor kappa-B ligand (RANKL) par les cellules stromales tumorales. Le traitement classique est chirurgical : curetage suivi d’un comblement par allo- ou autogreffe osseuse. Le dénosumab, puissant anticorps anti-RANKL, introduit une nouveauté très prometteuse dans le traitement.
Des résultats favorables
Cette utilisation est maintenant validée par une AMM, sur la base de données récentes. Une première étude ouverte de phase 2 (« preuve de concept) » a été conduite chez un nombre limité de patients ayant une TCG non résécable prise en charge de novo ou une TCG récidivante. Le dénosumab a été évalué sur l'ostéolyse induite par la tumeur (1). Le schéma thérapeutique comportait 4 injections sous-cutanées rapprochées (J1, J8, J15 et J28) puis une injection mensuelle de 120 mg. Trente patients parmi les 35 ont eu une réponse favorable avec une régression tumorale (20 analysés en histologie et 10 en radiologie). Sur les biopsies après traitement, les auteurs (2) notent, comme dans notre observation, une diminution de plus de 90 % du contingent de cellules géantes. Il existait aussi une diminution de la cellularité tumorale et une augmentation de la quantité de tissu fibro-osseux ou d’os nouvellement formé. Ceci semble indiquer que les cellules stromales de la tumeur se différencient vers un phénotype ostéoblastique non prolifératif avec une réduction de l’ostéolyse aux marges de la tumeur. Ceci rend bien compte de nos constatations post-dénosumab sur les radiographies et lors du curetage chirurgical.
Un essai plus vaste a évalué le dénosumab chez 282 patients répartis en 3 cohortes (3) : 170 patients ayant une TCG inopérable (sacrum, rachis, localisations multiples, métastases pulmonaires) ; 101 patients avec une TCG opérable mais au prix d’une morbidité sévère (résection articulaire, amputation, hémipelvectomie) ; 11 patients de l’essai précédent. Le schéma thérapeutique initial était toujours le même. Chez les patients non opérables, 96 % d’entre eux n’ont pas de progression tumorale sur un suivi médian de 13 mois. Dans le second groupe (chirurgie prévue mais précédée du traitement par dénosumab), 74 % n’ont finalement pas été opérés avec un délai médian de suivi de 9,2 mois. Pour les 26 patients qui ont été opérés, 16 ont eu une intervention moins invasive que prévu, 9 ont eu l’intervention prévue et un seul une intervention plus lourde que prévu. Une réponse favorable en imagerie est aussi notée chez 72 % des patients. De plus, une amélioration des douleurs est rapportée dès la première semaine chez plus de la moitié des patients des deux cohortes à chaque visite entre le 2e et le 30e mois de suivi (4). Parmi les 70 patients qui utilisaient des antalgiques morphiniques au départ, 40 % ont réduit la consommation ou la puissance des antalgiques sous traitement par dénosumab.
Préciser la durée du traitement
Quelques données récentes doivent en effet inciter à la prudence. Un cas de sarcome de haut grade a été rapporté chez une jeune femme opérée à deux reprises d’une TCG et traitée par dénosumab en seconde intention en raison d’une seconde récidive (5). Le sarcome a été constaté un an après le début du dénosumab et malgré une évolution initialement favorable des douleurs et de l’aspect radiologique au début du traitement. Une récidive rapide d’une TCG après arrêt du dénosumab a aussi été rapportée (6). Une TCG du radius distal chez une jeune femme a été traitée par dénosumab en raison du caractère très expansif de la tumeur rendant très risqué un geste chirurgical conservateur. Le traitement a amélioré les douleurs, préservé la fonction du poignet et densifié la lésion lytique avec constitution d’une coque périphérique épaisse. L’arrêt du traitement au bout de 2 ans a été rapidement suivi d’une reprise évolutive massive, sans transformation sarcomateuse, conduisant à une amputation de l’avant-bras.
D’autres études sont donc indispensables, indépendantes du laboratoire fabriquant le dénosumab, pour préciser la durée de l’inhibition tumorale du dénosumab et par conséquent la durée durant laquelle le traitement doit être poursuivi pour obtenir un effet sur le long terme voire définitif (7).
Hôpital Lariboisière (Paris)
(1) Thomas D et al. Lancet Oncol 2010;11:275-801
(2) Branstetter DG et al. Clin Cancer Res 2012;18:4415-24
(3) Chawla S et al. Lancet Oncol 2013;14:901-8
(4) Martin-Broto J et al. Acta Oncol 2014;53:1173-9
(5) Aponte-Tinao LA et al. Clin Orthop Relat Res 2015;473:3050-5
(6) Matcuk GR Jr et al. Skeletal Radiol 2015;44:1027-31
(7) Balke M et al. Lancet Oncol 2013;14:801-2
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