Un homme de 73 ans est revu en consultation en urgence pour un déficit du membre inférieur droit. Il est transplanté rénal en raison d’une maladie de Berger, avec une insuffisance rénale résiduelle modérée et un traitement immunosuppresseur, comportant notamment une petite dose de prednisone depuis de nombreuses années.
En raison d’une gonarthrose, il a eu une arthroplastie totale du genou droit en 2014 avec un excellent résultat. Ces dernières années, il était suivi pour des douleurs lombaires et radiculaires en rapport avec un canal lombaire étroit et rétréci par des lésions discales et arthrosiques étagées. Les douleurs se sont majorées dans le courant de l’année 2019. Des infiltrations rachidiennes lombaires n’ont pas permis d’améliorer significativement la situation douloureuse et la gêne à la marche. De plus, une boiterie de Trendelenburg est récemment apparue, avec un déhanchement manifeste à la marche, l’obligeant à utiliser une béquille. Un discret déficit de force musculaire est également constaté, coté à 4 sur le moyen fessier gauche, sans autre anomalie des territoires radiculaires L5 distal ou S1. Ces évolutions ont conduit à une nouvelle évaluation d’imagerie. L’IRM lombaire réalisée début 2019 révélait déjà la présence d’une sténose canalaire marquée en L4-L5, avec une disparition quasi complète du sac dural en regard de lésions arthrosiques protubérantes (Figure 1 ci-dessus). Une décision de libération canalaire limitée à l’étage L4-L5 est prise en RCP.
Un déficit moteur du quadriceps et du psoas
Sa fille nous contacte mi-janvier alors qu'il était au Portugal : sa jambe droite a fléchi alors qu’il descendait quelques marches. Dans les jours suivants, il reste très gêné par l'absence de tout verrouillage de son genou, ce qui l'oblige à béquiller.
A l’examen, le problème semble venir d'un déficit moteur quasi complet du quadriceps, partiel du psoas, avec disparition du réflexe rotulien, ce qui évoque une aggravation de la compression radiculaire satellite de son canal lombaire rétréci. La mobilisation passive de sa prothèse de genou n’est pas douloureuse.
Le patient est hospitalisé, traité par prednisone à 1 mg/kg/jour en attendant la nouvelle imagerie. Celle-ci est superposable à celle de janvier. Surtout, l’examen de son genou révèle une ecchymose sus-patellaire qui fait suspecter une rupture tendineuse quadricipitale. Cette rupture est objectivée à l'échographie. La radiographie est sans anomalie sur la prothèse mais on voit une tuméfaction des parties molles dans la région supra-patellaire du genou droit correspondant à l’hématome secondaire à la rupture tendineuse (Figure 2 ci-dessous).

L’indication d’une suture du tendon quadricipital est portée. L’intervention (à J16 de la rupture) découvre une rupture oblique du tendon quadricipital laissant un fragment latéral de 8 cm de long toujours inséré sur la patella. Les berges tendineuses sont rapprochées sans problème et suturées. Les suites opératoires sont simples. Le patient reste immobilisé genou en extension dans un plâtre cruropédieux pour 6 semaines. La discussion de la chirurgie lombaire reprendra dans un second temps…
Cruralgie paralysante ou rupture du tendon ?
L’antécédent de canal lombaire rétréci symptomatique et sévère a conduit à évoquer la situation la plus grave : cruralgie paralysante nécessitant une prise en charge et un traitement urgent. C’est bien ce que nous enseignons à tous nos étudiants !
Le déficit du quadriceps et l’abolition du réflexe rotulien plaidaient en ce sens. Mais le déficit de fonction d’un muscle peut aussi être dû à une rupture de son tendon et, si le tendon est rompu, pas étonnant de ne pas obtenir la réponse réflexe correspondante ! La fragilisation tendineuse chez un patient sous corticoïde au long cours est plus que classique et le mouvement de flexion forcée sur la prothèse en faisant un faux-pas sur une marche explique une traction excessive sur ce tendon fragile. La mobilisation indolore de la prothèse était faussement rassurante… il aurait suffi de demander au patient d’enlever son pantalon pour observer l’ecchymose sus-rotulienne… ce que nous enseignons aussi à nos étudiants !
L’appareil extenseur du genou est composé du quadriceps avec son tendon, de la rotule et du tendon rotulien. La rupture d’un de ces trois éléments interrompt la continuité de l’appareil extenseur. L’examen clinique objective un déficit d’extension active complète du genou et une impossibilité de verrouiller le genou en charge, d’où une impotence majeure.
Les radiographies du genou face-profil et défilé fémoro-patellaire permettent de distinguer une rupture du tendon quadricipital devant une tuméfaction des tissus mous suprapatellaires. L’échographie, voire l’IRM, confirment et précisent le diagnostic.
La rupture du tendon quadricipital survient principalement chez les hommes de plus de 40 ans (1). Le traumatisme est le plus souvent une brusque contraction réflexe excentrique du quadriceps, avec le pied ancré au sol et le genou fléchi, par exemple en se rattrapant après avoir trébuché sur une marche ou un trottoir (2). Le patient décrit typiquement une violente douleur au niveau du genou puis une impotence fonctionnelle du membre inférieur. Parmi les facteurs de risque associés à une fragilisation tendineuse, il faut rechercher une maladie systémique (lupus érythémateux, polyarthrite rhumatoïde, sclérodermie…), un diabète, une insuffisance rénale chronique, une obésité, une hyperthyroïdie, un traitement cortisonique local ou systémique.
Une complication sérieuse de l’arthroplastie
La rupture de l’appareil extenseur après une arthroplastie totale du genou est une complication rare mais sérieuse (3). La rupture se produit habituellement à l'insertion du tendon rotulien dans le tubercule tibial. Les déchirures du tendon quadricipital après arthroplastie totale du genou sont moins fréquentes. La chirurgie est généralement nécessaire, avec plusieurs options allant de la simple suture à la reconstruction par allogreffe de l'ensemble de l’appareil extenseur. Des méthodes intermédiaires sont néanmoins possibles : reconstruction à l'aide de tendons ou muscles voisins, implantation de ligaments synthétiques, réparation partielle d'une allogreffe.
Une étude de la Mayo Clinic fait état de 24 ruptures du tendon quadricipital sur une série de 23 800 arthroplasties totales de genou entre 1976 et 2002, soit une prévalence de près de 1/1000 (4). L’âge moyen des patients était de 70 ans. La rupture tendineuse est survenue en moyenne 32 mois après l’arthroplastie. Chez 2/3 des patients, comme chez le nôtre, la rupture était partielle. La suture tendineuse en première intention a été réalisée chez 9 des 23 patients, 7 bénéficiant d’une suture plus tardive et les autres d’un traitement orthopédique. La prévalence des complications postopératoires parmi ces patients n’est pas négligeable : 35% des patients de cette série ont eu besoin d'une deuxième opération et 12% ont eu une infection périprothétique profonde qui a entraîné la mort d'un patient et une amputation au-dessus du genou chez un autre patient. Ce taux élevé de complications est sans doute la conséquence des comorbidités associées chez ces patients. Le pronostic pourrait être meilleur dans les ruptures précoces, survenant dans les 3 mois après la prothèse, avec réparation chirurgicale (5).
Service de rhumatologie, Hôpital Lariboisière
(1) Duthon VB, Fritschy D. Ruptures de l’appareil extenseur du genou. Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 1544-8
(2) Benyass Y et al. Les ruptures traumatiques du tendon quadricipital : à propos de 3 cas. Pan Afr Med J 2015 ; 22 : 343
(3) Bonnin M et al. Extensor tendon ruptures after total knee arthroplasty. Orthop Traumatol Surg Res 2016 ; 102 (Suppl) : S21-31
(4) Dobbs RE et al. Quadriceps Tendon Rupture After Total Knee Arthroplasty. J Bone Joint Surg 2005 ; 87-A : 37-45
(5) Chhapan J et al. Early quadriceps tendon rupture after primary total knee arthroplasty. Knee 2018 ; 25 : 192-4
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