Choses vues et lues
De longue date, le vagin a suscité des phobies et inspiré les auteurs. Ausonius, un médecin bordelais du bas-Empire romain, au IVe siècle, qui se piquait plus de poésie lyrique que de nomenclature anatomique, a laissé des descriptions fantasmatiques sur ce « coin reculé, où conduit un étroit sentier, une fente qui luit. De sa masse s’exhale une puanteur horrible. De ses sombres profondeurs elle répand des exhalaisons qui blessent les narines. Les cavernes creuses ont retenti et gémi. »
Dans Terrasse à Rome, le graveur Meaume, au XVIIe siècle, a représenté l’ermite Antoine en face d’une femme qui symbolise la tentation, justement à l’entrée d’une caverne, les jambes largement ouvertes, Antoine, se tenant (ou retenant) le sexe devant l’entrée de la grotte à l’obscurité secrète.
Plus près de nous, le romancier Pascal Quignard, dans « Le Sexe et l’effroi », évoque l’ « immense abîme sans forme et noir » du sexe féminin, c’est « une grotte comme lieu évoquant la peur. L’homme y perd la sécurité. Le sombre, l’horrible, la turpitude et l’indétermination spatiale signifient une absence de forme et de lumière provoque une certaine terreur. »
Cette phobie du vagin est-elle purement masculine, angoisse de l’homme devant le non-visible, le non-limité et le non-sécurisant du sexe de la femme, cette « grotte originaire où le chasseur d’ours est réabsorbé dans la nuit elle-même » ? Pas exclusivement : à New-York en 1996, la pièce de l’Américaine Eve Ensler, « Les monologues du vagin » jouée ensuite avec un immense succès dans 130 pays, dont la France, donne la parole à des femmes qui, sur un mode d’humour potache, font parler leur sexe. Et là encore, nous entendons des mots qui disent la honte et la peur du vagin, interrogeant son histoire, ses peines, ses joies, ses blessures.
Les femmes victimes de violence racontent leurs phobies : « Mon vagin village vivant, humide et irrigué. Charcuté puis incendié. Je n’y touche plus maintenant. Je n’ose plus lui rendre visite. » Phobie du vagin...
Paroles de cliniciennes
« Ce sont bien sûr d’abord les hommes qui, à la consultation, verbalisent leur peur du sexe féminin, constate le Dr Catherine Solano, sexologue et andrologue, consultante à l’hôpital Cochin : en moyenne, il mesure 8 cm de profondeur au repos, 12 cm en cas d’excitation, et 4 cm de large, mais les hommes en ont peur comme d’un trou sans fond. Ils craignent que leur pénis ne parvienne pas à emplir le vagin imaginé comme très profond, très grand, magique. L’image de la grotte secrète n’est pas fausse. La peur du sang accentue cette phobie, surtout chez les garçons plutôt doux et caressants qui assimilent l’écoulement des règles à l’idée de douleur, d’accident, de maladie. Et je ne parle pas du saignement de la première fois, lors de la déchirure de l’hymen. Il y a encore la phobie liée à la puissance du vagin, capable de transformer un spermatozoïde et un ovule en enfant. Le sexe féminin donne la vie et ce don peut être ressenti comme effrayant pour l’homme, il déclenche un processus phobique. »
« Ne parlons pas de peurs carrément psychiatriques, ajoute la sexo-psychothérapeute Muriel Baccigalupo, comme celle du vagin denté qui va croquer et avaler le pénis. Chez la femme aussi, on trouve des scénarios délirants autour du vagin, comme la hantise que les deux grandes lèvres sont tellement collées l’une à l’autre que la pénétration va déchirer le sexe, ou l’idée que les poils pubiens sont en fait des fils barbelés qui garantissent le vagin contre toute tentative de pénétration – et là on entre dans des séquences vaginiques. »
« La prise en charge va souvent impliquer les deux partenaires, recommande la psychologue et sexologue Michelle Boiron, et nécessiter une thérapie de couple : lui souffre d’une phobie du vagin et elle d’une phobie du pénis. » « Dans tous les cas, l’information et la formation sont indispensables autour cet espace creux que ni la femme ni l’homme ne voient, qui représente la grande inconnue de la sexualité, longtemps qualifiée par les psychanalystes de "continent noir". »
« Il faut traiter les angoisses féminines sur des petites lèvres trop grandes, asymétriques, trop foncées, des petits boutons blancs, des pertes blanches, tout ce qui est méconnaissance et alimente l’imaginaire, et il faut aussi rassurer les hommes qui n’osent pas verbaliser leurs phobies du vagin, indique Nathalie Dessaux, psychothérapeute et sexologue. Quitte à prescrire, dans un second temps, des rééducations du périnée, quand il y a des problèmes de tonicité musculaire. Mais les problèmes organiques passent après les troubles phobiques. »
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Illustrations tirées de « Sex Story », la première histoire de la sexualité en bande dessinée, aussi sérieuse que facétieuse, racontée par le Dr Philippe Brenot, responsable des enseignements de sexologie à Paris-Descartes, et illustrée par Laetitia Coryn (208 p., 24,90 €).
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