Soins de support

Stomies : premières recommandations collectives, la qualité de vie en ligne de mire

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Publié le 01/07/2022
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Face aux difficultés rencontrées par les patients stomisés, les acteurs impliqués sont engagés depuis 2019 dans une démarche collective d’amélioration du parcours de soins. Ils mettent sur la table une série de recommandations pour une prise en charge globale, de l’hôpital au suivi en ville, qui améliore la qualité de vie des 100 000 patients concernés en France.
Hors de l'hôpital, il y a peu de professionnels formés pour les soins

Hors de l'hôpital, il y a peu de professionnels formés pour les soins
Crédit photo : Phanie

Souvent taboue, la stomie est rarement un motif de consultation en ville. Les quelque 500 appels quotidiens de patients stomisés reçus par le fabricant d’appareillages Coloplast mettent pourtant en évidence les interrogations sans réponse auxquelles ils sont confrontés.

« À l’hôpital, le patient est chouchouté avec des prestations de soins au chevet. Mais une fois chez lui, il se retrouve bien souvent isolé. C’est pourtant lors du retour à domicile, avec la reprise des gestes du quotidien, qu’il saura si son appareillage est adapté ou si des problèmes cutanés apparaissent », rapporte auprès du « Quotidien » le Pr Guillaume Meurette, chirurgien viscéral au CHU de Nantes et président de la Société nationale française de coloproctologie (SNFCP).

Malgré les progrès réalisés, notamment dans la préparation des stomies et la performance des appareillages, le parcours de soins reste affecté, selon lui, par un « manque de coordination entre les différents acteurs, notamment en sortie d’hospitalisation », et par un « défaut d’information des soignants et des patients ».

« Certains stomisés à vie portent des dispositifs vieux de 5, 10 voire 15 ans, alors que de nouveaux produits plus performants, plus adaptés à leur morphologie sont disponibles », ajoute Cristina Romao, directrice des affaires économiques, réglementaires et publiques de Coloplast, regrettant que trop peu de professionnels de santé soient formés et identifiés par les patients comme source d’information. « En tant qu’industriel, on ne peut répondre qu’aux questions relatives aux appareillages. Ce n’est pas suffisant pour les patients », poursuit-elle, plaidant pour l’implication en ville des médecins, pharmaciens, infirmiers pour prévenir les complications de la stomie et informer sur les nouveaux dispositifs.

Une grande hétérogénéité des pratiques et de l'accès aux soins

Le difficile parcours des stomisés a motivé l'ensemble des acteurs impliqués dans la prise en charge - médecins, infirmières, pharmaciens, stomathérapeutes, associations de patients, fabricants et distributeurs - à se mettre autour de la table fin 2019 avec l’ambition d’optimiser les soins.

Au sein de la SNFCP, la réflexion portait alors sur la grande hétérogénéité des pratiques et de l'accès aux soins, explique le Pr Meurette. « Il y a un fossé entre un patient âgé en milieu rural, où les relais locaux (généralistes, pharmaciens) voient peu de stomisés et ne sont pas organisés en réseau, et un autre urbain, qui bénéficiera d’un parcours hyperbalisé avec une préparation, une éducation thérapeutique, un accompagnement par un stomathérapeutte, des sollicitations de prestataires, autant de sources d’information qui peuvent nuire au choix », détaille-t-il.

Pour la SNFCP, le contexte est aussi celui d’une réflexion autour de l’ambulatoire et de la réhabilitation améliorée en chirurgie, l’enjeu étant de « libérer plus rapidement le patient de l’hôpital, un vrai sujet pour les patients stomisés dans les années à venir ».

Baptisée Shield (Strategic Healthcare Initiative for Easier Life Days), cette démarche collaborative a abouti à une série de recommandations. « C’est un véritable livre blanc de la stomie pour des patients à suivre de façon chronique », estime le président de la SNFCP.

Comptes rendus de liaison à chacun des intervenants

Plusieurs obstacles ont été identifiés dans le parcours des 100 000 Français stomisés, de manière temporaire ou définitive (80 % de stomisés digestifs et 20 % de stomisés urinaires). En amont de l’intervention chirurgicale, la préparation de la stomie a démontré ses bénéfices sur la qualité de vie ultérieure du patient, mais cette étape « peut encore être améliorée », souligne le chirurgien. À la sortie d’hospitalisation, « aucun standard de prise en charge n’est défini », poursuit-il. Ensuite, la prévention des complications est pénalisée par un manque de professionnels formés.

« Parmi les pistes d’amélioration à apporter, trois nous sont apparues particulièrement essentielles, précise Cristina Romao. Une meilleure coordination des acteurs de santé de la sortie hospitalière au suivi en ville, un meilleur accès aux dernières innovations en matière d’appareillage et aux dispositifs qui ont prouvé une amélioration de la qualité de vie et un suivi personnalisé à domicile ».

Les recommandations Shield visent ainsi à définir les rôles de chacun et les contacts essentiels à fournir aux patients. Sur le plan médical, l’effort doit porter sur « la formation des chirurgiens aux règles de confection des stomies », via les sociétés savantes notamment pour des enseignements post-universitaires des médecins et des pharmaciens, détaille le Pr Meurette.

Pour la sortie d’hospitalisation, la communication avec les professionnels en ville réclame une uniformisation, avec une « transmission, via des ordonnances formalisées et des comptes rendus communiqués aux relais qui vont entourer le patient (généraliste, pharmacien, infirmière) », mais aussi avec un appui sur des stomathérapeutes, « trop peu nombreux », ou des infirmières spécialisées, poursuit le chirurgien.

Pour le suivi à plus long terme, il s’agit d’informer des nouveaux dispositifs « dans une démarche transparente vis-à-vis des fabricants et des distributeurs » et de mettre en place « des réunions de concertation pluridisciplinaires de recours pour faire face aux problèmes cutanés qui peuvent empoisonner la vie du patient », indique-t-il encore.

Un projet pilote au CHU de Nantes

Ces recommandations vont être mises en pratique dans un pilote avec le CHU de Nantes. Des discussions sont en cours pour impliquer d’autres hôpitaux, à Lyon notamment. L’objectif est de « structurer un réseau pour le bénéfice de la qualité de vie des patients et de dupliquer ce pilote si ça marche », explique Cristina Romao. « Avec ces recommandations, d’un coût raisonnable, on peut améliorer grandement la prise en charge des stomisés pour les 10 ans à venir », juge le Pr Meurette.

La dynamique est d’ores et déjà engagée, estime Cristina Romao. « La Haute Autorité de santé (HAS) s’est saisie du sujet et a publié en mars dernier une note de cadrage sur l’évaluation du repérage préopératoire du site de la stomie », ajoute-t-elle, citant également la parution prochaine dans « Gastrointestinal Nursing European Wound, Ostomy and Continence Supplement » d’un article d’une infirmière stomathérapeute, présidente de l’Association française d’entérostoma-thérapeutes (Afet), Danièle Chaumier.

Pour l’heure, les professionnels en ville peuvent déjà lancer le dialogue. « Interroger le patient sur sa qualité de vie, son quotidien avec son appareillage est un premier levier dont disposent les généralistes pour améliorer la qualité de vie », encourage le Pr Meurette. « C’est un sujet tabou qui touche à l’intime. C'est pourquoi tous les acteurs de santé doivent se saisir du sujet en ouvrant le dialogue avec le patient car il n’en parlera pas forcément de lui-même », appuie Cristina Romao.

Elsa Bellanger

Source : Le Quotidien du médecin