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Dossier

Installation, dépassements, paiement à l'acte…

Sur la santé, la gauche veut-elle changer les règles du jeu ?

Publié le 20/01/2017
Sur la santé, la gauche veut-elle changer les règles du jeu ?


Après la droite, la gauche… Dans la « primaire » du PS ou en dehors, la santé s'est fait aussi une vraie place dans les programmes et les débats. Et, pour la première fois, les candidats de gauche ne cachent plus leur impatience de changer les règles du jeu. Ce qui n'enthousiasme guère les syndicats de médecins libéraux… Le point à deux jours du premier tour.

Elle est passée d’un sujet de second plan à une vraie façon de se distinguer. La santé semble en effet pour l’instant un des thèmes importants de la campagne présidentielle 2017. Si François Fillon a ouvert le bal avec des propositions détonantes sur la Sécurité sociale, c’est au tour des candidats de gauche de répliquer. Le thème a certes été peu abordé lors des deux premiers débats télévisés de la primaire. Mais, sur les règles de l'exercice, la gauche semble vouloir néanmoins changer beaucoup de choses (voir aussi notre infographie sur les programmes respectifs des candidats de la primaire). Quitte à prendre quelques libertés avec les traditionnels piliers du libéralisme. En regard des propositions formulées, la gestion de Marisol Touraine paraît bien sage. Alors, réelle volonté de réformer la santé ou simple posture de campagne, le fait est que, à gauche, la santé inspire. Un peu surpris de tant d'attention, les représentants de la profession se félicitent que la santé soit enfin portée comme un enjeu politique, social et économique majeur, mais ils sont plus que partagés sur les mesures proposées par les différents candidats.

La liberté d'installation en question
Il faut dire que les différentes écuries n'hésitent pas à faire sauter certains tabous traditionnels. À commencer par la liberté d'installation. Pour remédier au manque de médecins dans les zones sous-denses, Benoît Hamon et Manuel Valls ont remis sur la table l’idée d’un conventionnement sélectif. Benoît Hamon retirerait le conventionnement aux médecins qui font le choix de s’installer dans des zones surdotées. Et comme en écho, Manuel Valls, a abondé dans le même sens lors d’un entretien au Parisien début janvier : « Au vu des difficultés actuelles, nous n’avons plus d’autres choix que de limiter la liberté d’installation en parallèle de mesures structurelles : fin du numerus clausus, réforme des études, etc. ».
Encore un revirement spectaculaire de la part de l’ex-Premier ministre dont le gouvernement, et notamment la ministre de la Santé, Marisol Touraine, s'étaient activement opposés ces dernières années aux (nombreuses) propositions de loi de députés suggérant la mise en place du conventionnement sélectif en zones sous-denses. Qui ne se souvient d'avoir vu le gouvernement faire front encore tout récemment lorsqu'un amendement au PLFSS 2017 s'était risqué sur ce terrain ? Tout juste, lors d’une rencontre organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), Benoît
Hamon s’est-il dit cependant ouvert au dialogue : « Il faudra en discuter avec les professionnels médicaux », a-t-il promis. Mais, même s'il n'est pas repris par tout le monde, le thème revient en force dans cette « primaire citoyenne ».

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De quoi générer – déjà – de sérieux anticorps côté médecins libéraux. « Pour instaurer ce genre de mesures, il faudrait déjà définir ce qu’est une zone sur-dotée, analyse Jean-Paul Hamon, président de la FMF. Or, on sait que même Paris a perdu près de 20 % de ses médecins au cours des cinq dernières années… ».
Moins frontal, Vincent Peillon suggère plutôt mettre à contribution 20 000 médecins remplaçants, qui seraient incités à exercer en zone sous-dotée « par des exonérations de cotisations et d’impôts ». Las… Là-dessus, il lui faut encore convaincre. « Il existe déjà des aides sur les cotisations sociales des remplaçants ; pour autant, les médecins dans ces zones-là ont toujours du mal à trouver des remplaçants. C’est une solution mais elle n’est pas suffisante », constate Claude Leicher, président de MG France. « Pour moi, ce n’est pas une solution inintelligente, confie cependant Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Inciter grâce à des mesures fiscales plutôt que de créer des mesures tous azimuts, pourquoi pas ? »

Numerus clausus, la solution miracle ?
Pour faire reculer les déserts médicaux, on trouve aussi les tenants de l'ouverture des vannes en fac de médecine. On préconise ainsi une augmentation du numerus clausus, voire sa suppression totale, comme le proposent Manuel Valls et Jean-Luc Bennahmias. Là encore, la proposition ne fait guère recette auprès des principaux  intéressés. « Nous sommes revenus à un numerus clausus proche de celui des années soixante-dix, constate Claude Leicher ; pour autant il n’y a pas de médecins disponibles aux bons endroits. L’accessibilité aux soins en termes géographiques n’est pas dépendante du numerus clausus mais un problème de conditions d’exercice ». « Il faut avoir une vraie réflexion sur le numerus clausus, poursuit Jean-Paul 
Ortiz. Un gros quart des médecins qui s’inscrivent à l’Ordre ont des diplômes de facultés non françaises, ça pose vraiment la question de la façon dont on gère ce numerus clausus. La proposition de Manuel Valls n’est pas du tout adéquate ». De plus, les effets escomptés ne seront visibles qu’à long terme, comme le fait remarquer Jean-Paul Hamon : « En imaginant foule d’étudiants en première année, il faudra attendre 10 ans avant qu’ils ne puissent envisager de s’installer, ce qui nous donne plus de médecins en France dans…
20 ans », prédit-il.

MSP, un modèle à pérenniser… ou à dépasser ?
Plus classique et beaucoup moins original : la multiplication des Maisons de santé pluriprofessionnelles. Sans surprise, les candidats de la gauche sont tous d’accord pour, non seulement pérenniser ce modèle, mais aussi concourir à son essor. Mais ils ne sont pas les seuls. Benoît Hamon propose ainsi d’encourager leur développement et d’aider davantage les praticiens dans leurs fonctions de comptabilité ou de secrétariat via des sociétés de services. Vincent Peillon propose lui aussi de poursuivre ce cap. Et dans ce concert de mêmes suggestions, c'est Emmanuel Macron qui se veut le mieux-disant : le candidat de
« En marche ! » a annoncé son intention de multiplier leur nombre par deux d'ici à 2022 !
Mais il y a plus transgressif. Arnaud Montebourg va en effet plus loin en envisageant la création de ce qu’il appelle des « dispensaires du XXIe siècle ». Ces derniers seraient intégrés aux actuelles MSP ou fonctionneraient en réseau avec elles. Les médecins y seraient salariés par la Sécurité sociale. Dans son programme, il ajoute que « les mairies et les départements seront sollicités pour mettre à disposition des locaux disponibles permettant la création de ce nouveau service public de proximité, qui pourra s'adosser à l'offre hospitalière la plus proche ».

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Une idée loin de faire l’unanimité auprès des professionnels, qui jugent cette initiative en dehors des réalités : « Ces structures, comme les MSP, coûtent des milliards aux collectivités et ne peuvent tenir qu’à coups de subventions », constate Jean-Paul Hamon. « C’est une vision du siècle dernier, renchérit Jean-Paul Ortiz. Il faut aujourd’hui se tourner vers la liberté entrepreneuriale », martèle le patron de la CSMF qui estime : « La solution des MSP est univoque. Une réponse plurielle est nécessaire. Certes, il faut des MSP, mais on peut aussi envisager des regroupements virtuels, des regroupements de spécialistes, etc. ». Claude Leicher préférant pour sa part envisager une distribution des moyens plus horizontale : « Il faudrait voir le coût que cela représente et si l’État peut mettre autant d’argent dans le système de santé ; acceptons plutôt de mettre des forfaits structure de même niveau dans les cabinets libéraux et les centres ou maisons de santé ».

Revoir le cadre de rémunération des médecins libéraux
Sans aller jusqu'au salariat, d'autres candidats affichent leur intention de revoir le cadre de la rémunération des médecins libéraux. Emmanuel Macron prône, comme Jean-Luc Mélenchon, la diminution de la rémunération à l’acte pour renforcer le paiement au forfait. L'ex-ministre de l'Économie compte en effet accorder une place de choix à la prévention dans la rémunération des praticiens, et donc via le forfait. Toucher au paiement à l'acte apparaît pourtant inenvisageable pour beaucoup de représentants de la profession : « Le paiement à l’acte protège le patient ; quand je vois comment certains salariés les accueillent, analyse Jean-Paul Hamon. Cette mesure est dans le programme d’un énarque qui n’a pas potassé la question ». Au SML, on ne laissera pas passer ça non plus : « Le forfait ne doit pas devenir majoritaire et, selon nous, il ne doit pas dépasser 20 % de la rémunération, sinon les médecins dépendent des caisses et sont dictés par des soucis économiques », prévient Philippe Vermesch.

Qui veut la peau du secteur 2 ?

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Autre marqueur de gauche : la régulation des honoraires libres. Depuis 5 ans, Marisol Touraine a innové en encadrant l'usage de ces derniers, via des dispositifs comme le CAS. Mais certains veulent aller plus loin. À commencer par celui qui était encore il y a un mois le chef du gouvernement. Manuel Valls propose désormais tout bonnement de supprimer le secteur 2. Pas franchement du goût des médecins de ville. « Nous serions d’accord si cela veut dire que le tarif sera en rapport avec la moyenne européenne ! », s’exclame Philippe Vermesch. « Les tarifs médicaux sont parmi les plus bas d’Europe, insiste aussi Jean-Paul Ortiz. En finir avec les dépassements, c’est en finir avec certaines spécialités, surtout dans certaines zones », avertit-il. Même Claude Leicher, pourtant président d’un syndicat de généralistes, peu concerné par le secteur 2, pense qu’il faut d’abord « réexaminer en totalité le coût de la pratique et la rémunération du travail avant de rediscuter des secteurs d’exercice. » Et d'expliquer : La distorsion de revenus entre ceux qui font des actes répétitifs, comme la radiothérapie, et ceux qui font des actes non répétitifs comme une intervention chirurgicale suivie est disproportionnée ».

Le sacro-saint chantier du TPG
Reste le dossier si controversé du tiers payant généralisé. Unanimement critiqué par les libéraux, il ne devrait pas être revu en cas de victoire d'un des concurrents de gauche à l’Elysée. Sur ce dossier emblématique pour le gouvernement actuel même les « frondeurs » du PS n'avaient rien trouvé à redire lors de la discussion de la loi de santé. On ne s'étonnera donc pas qu'il fasse l'unanimité parmi les candidats. Il faut se risquer hors primaire pour entendre quelques bémols. Et encore… Emmanuel Macron se montre toutefois le plus audacieux. Il a osé évoquer une « évaluation » du tiers payant, s'attirant d'ailleurs les foudres de Marisol Touraine. Pour un éventuel retour sur cette mesure phare du quinquennat Hollande ? Le candidat du mouvement En Marche !, qui a choisi de ne pas faire partie de la primaire, devra le repréciser avant le mois de mai. 
Toutes ces propositions sont donc loin de convenir aux représentants des médecins libéraux. Pour autant, tous semblent agréablement surpris que la santé soit un sujet assez central pour la majorité des plateformes. « Inespéré » pour Jean-Paul Hamon qui reste cependant très critique sur les propositions de la gauche. « La médecine libérale est en train de s’effondrer alors qu’elle doit rester le premier recours. Dans toutes ces mesures, il n’y a rien sur la modification des études, le parcours de soins, le fait que l’hôpital doit concentrer sur la prise en charge à l’intérieur de ses murs, » regrette toutefois le chef de file de la FMF.
Du côté de la CSMF, Jean-Paul Ortiz espère que le sujet sera débattu par tous les Français : « La santé est un thème majeur, c’est très nouveau et j’en suis ravi, confie-t-il. Beaucoup de propositions sont critiquables et je n’épargne là-dessus aucun candidat. François Fillon a eu le mérite de mettre le problème du rôle de la Sécurité sociale sur la table, il faut désormais en parler avec les Français ». Au SML, Philippe Vermesch regrette qu’aucun candidat ne veuille revenir sur le TPG et après avoir analysé les propositions des candidats, trouve que c’est Benoît Hamon qui se démarque « et semble connaître un peu plus son sujet ». Claude Leicher estime que le dialogue doit s’établir : « Même s’il y a beaucoup de propositions démagogiques, la santé est un sujet très discriminant est très important pour les Français. Le sujet est essentiel, discutons-en, échangeons même s’il y a des désaccords ».