Dans un entretien, la semaine dernière, le président de la République française avait estimé, avec son franc-parler habituel, que l'OTAN était « dans un état de mort cérébrale », ce qui lui avait valu une vive réaction de Mme Merkel. Elle estimait en effet que les problèmes de l'OTAN ne pouvaient être réglés par des déclarations lapidaires. De toute évidence, M. Macron n'a été invité à Berlin que pour s'expliquer. Il ne s'agissait pourtant pas, pour lui, de lancer un pavé dans la mare, comme la presse l'a écrit un peu vite, mais pour contribuer à la prise de conscience d'une triste réalité. Mme Merkel continue de penser qu'en diplomatie il faut avancer à pas feutrés, mais son partenaire français, dont on ne peut pas dire qu'il lui est hostile, souhaite que la crise de l'OTAN soit prise à bras-le-corps par les Européens.
L'OTAN va mal pour deux raisons : la première, c'est l'isolationnisme croissant de Donald Trump, qui refuse de prendre ses responsabilités de grande puissance. Pour présenter un tableau optimiste de la situation, il feint de voir en Vladimir Poutine un homme qui ne cherche pas à diviser l'Union européenne alors que sa manœuvre pour se poser en leader du continent est incontestable. M. Poutine se livre donc à diverses provocations militaires, parfois dangereuses, comme les vols menaçants d'avions de combat russes tout près des navires de guerres occidentaux, et à des actes, par exemple l'annexion de la Crimée, qui placent les membres de l'OTAN devant un dilemme : se résigner ou entrer en guerre. Comme il n'est pas question de se livrer à une escalade, la résignation est la seule échappatoire.
Il faut donc repenser la défense européenne : créer, malgré le Brexit, une force nucléaire dissuasive franco-britannique et exiger de l'Allemagne qu'elle consacre ses excédents budgétaires au renforcement de son armée. Mme Merkel n'est pas prête à suivre ce chemin qui la mettrait, en quelque sorte, sous la tutelle nucléaire de la France et de la Grande-Bretagne. Pas plus qu'elle n'a l'intention de redevenir la puissance militaire qu'elle fut autrefois dans les conditions que l'on sait et qui ont laissé d'amers souvenirs à ses compatriotes.
Mais aucun pays européen n'a vraiment le choix. La Pologne, les États baltes et l'Ukraine sont à portée de tir de Moscou et n'en mènent pas large. L'indifférence de Trump a rendu caducs des traités sur le contrôle des armements atomiques de part et d'autre, de sorte que la Russie construit un système de moyens offensifs capables d'éliminer ceux de l'OTAN. Bien entendu, Moscou ne se livrerait pas à une agression de ce genre sans courir le risque d'être rasée. On n'en est pas là. La bonne stratégie, c'est de renforcer la conviction russe qu'elle a tout à perdre dans un début de Troisième Guerre mondiale. C'est le principe même de la dissuasion. Oui, M. Trump, la dissuasion est coûteuse, mais elle a assuré la paix pendant près de 75 ans et on ne saurait s'en passer sans courir des risques incalculables.
L'Europe doit réorganiser sa défense
Ce lent retour à la guerre froide, dans une atmosphère très tendue, constitue un très grave danger pour le monde parce que, à un système d'équilibre des forces, a succédé un système déséquilibré. Mme Merkel le sait et le déplore, mais, affaiblie sur le plan de la politique intérieure, elle ne se croit pas autorisée à annoncer à ses concitoyens qu'il va falloir mettre la main à la poche.
La seconde raison de l'apathie de l'Organisation atlantique, c'est le rôle de la Turquie qui n'est plus que nominalement membre de l'OTAN. Ele veut, sous la direction de M. Erdogan, devenir le leader incontesté du monde musulman, de sorte qu'elle ne cesse de se livrer à des provocations intolérables comme son invasion du nord-est de la Syrie. Pour éliminer le chef de l'État islamique, Abou Bakr El Baghdadi, les hélicoptères américains sont partis d'Irak (pour un long voyage) alors qu'ils ont une base aérienne à deux pas de la cache du terroriste numéro un, à Incirlik, en Turquie. Celle-ci achète maintenant des armes russes, incompatibles avec le système d'armements de l'OTAN. N'est-il pas temps de régler ce genre de problème ? Seule l'Europe unie peut sérieusement organiser sa défense.