Oui, il s'agit d'une guerre dont les contrecoups ne vont pas disparaître du jour au lendemain, malgré les efforts financiers non négligeables du gouvernement pour accompagner la crise et malgré le zèle à peu près certain des travailleurs français pour relancer la machine. Le coût économique et social de la pandémie, avec le recul de 8 % du produit intérieur brut et la hausse colossale du déficit et de l'endettement, va forcément se traduire par un appauvrissement de la société française, les nantis, comme d'habitude, résistant mieux que les démunis. Les pouvoirs publics ont pris des décisions généreuses pour soutenir le niveau de vie des gens par des allocations substantielles. Cela ne veut pas dire que les entreprises, pour autant qu'elles bénéficient d'une aide financière, ne vont pas se retrouver exsangues, peut-être incapables de réembaucher.
Ce tableau d'une France accablée, qui bougera lentement et aura besoin d'un temps précieux pour retrouver ses marques, est plus que probable. Comme un raz-de-marée, la pandémie a balayé à la fois les travers de la société rebelle et agitée que nous connaissions et les acquis économiques gagnés par les réformes. Aussi critiques qu'ils restent de la gestion du pays, les syndicats vont perdre leur capacité de revendication. Nos dirigeants vont passer leur temps à trouver de l'argent et il ne leur faudra pas longtemps pour augmenter les impôts. Les projets individuels ou familiaux de loisirs seront abandonnés, ce qui ne contribuera guère à la reprise de l'hôtellerie et de la restauration. Il s'en suivra un désordre social qui ne ressemblera pas à celui des gilets jaunes mais pourrait gagner en intensité.
Ce qui amène à croire que les conditions de la reprise ne sont pas nécessairement réunies, que la lutte des classes, déjà réinventée par les gilets jaunes, va s'aggraver, que nous passerons, avant la reconstruction, à un temps de discorde et de pauvreté. Certes, on peut assouplir ce constat en prévoyant, comme après toute grande guerre, de nouvelles années glorieuses de croissance et de prospérité. Mais, pour y parvenir, il faudra d'abord choisir les voies du rebond économique, se mettre d'accord sur une croissance sans effets inégalitaires, et surtout, insérer le développement dans un système protecteur de la nature.
Une dépollution imposée par le virus
Beaucoup de spécialistes ont trouvé un lien, en effet, entre cette pandémie qui, en nous imposant une croissance négative, a fait de nos sociétés des entités moins destructrices de l'environnement. Ils y voient l'occasion historique de mettre en œuvre une méthode de développement qui fait du respect de la nature sa priorité. Mais avec le virus, nous n'avons eu que le choix de nous confiner : nous avons adopté un impératif qui a automatiquement réduit la pollution d'environ 40 %. Un résultat inespéré ! Demain, libérés du Codiv-19, qu'est-ce qui nous obligera à laisser notre voiture au garage, à réduire notre consommation d'électricité (alors que nous sommes censés produire plus), à taxer les émissions de gaz à effet de serre ?
Inversement, on nous dit que nous allons cohabiter plus longtemps que prévu avec le virus, ce qui signifie que nos efforts de production seront limités dès lors que nous devons protéger nos propres vies. La vérité s'impose : le Covid-19 ne nous a pas fourni l'exemple éclatant de la capacité du monde à diminuer la pollution, c'est l'abaissement de la pollution qui est seulement l'avatar de la pandémie. Nous risquons donc de replonger dans notre péché laïc : qu'importe le réchauffement de la planète pourvu que l'on ait la croissance. De ce point de vue, Donald Trump, Xi Jinping, Vladimir Poutine et d'autres ne prendront jamais le risque d'un chômage de masse pour respecter la nature. Survivre au virus est un devoir. Construire une société différente est une tâche ardue, même si elle n'est pas au-dessus de nos forces.