LE TON de ce début d’article est foncièrement pessimiste (pour le pouvoir) parce que, de toute évidence, après avoir su, mais à quel prix, confiner les crises causées par le mécontentement des Français, le président de la République arrive lassé, nerveux et vulnérable à ce moment des municipales transformées littéralement en une sorte d’immense enjeu politique. Mais on doit à la vérité de dire que l’exécutif va moins mal que les apparences le laissent croire. Rien, pour le moment, ne le conduit au désespoir : les grèves et manifestations traduisent une grogne à laquelle cèdent des millions de Français, mais elles n’ont pas, à ce jour, empêché le gouvernement d’imposer ses réformes l’une après l’autre ; et quoi qu’en disent les opposants, les semeurs de troubles sont encore plus fatigués que la majorité ; les tentatives pour bloquer le pays ont toutes échoué, même les efforts pour rationner l’approvisionnement en carburants ; les hôpitaux méritent certainement plus que ce que leur a concédé le pouvoir, mais ils fonctionnent : la France est l’un des pays qui résistent le mieux au coronavirus ; de slogan en slogan, les grévistes savent qu’ils n’ont rien obtenu et se demandent si, en définitive, ils vont obtenir quelque chose; les chiffres de l’emploi sont très encourageants, même s’ils n’ont pas augmenté la popularité du chef de l’État.
Cependant, l’opposition, et plus particulièrement la France insoumise, a réussi à imposer à M. Macron une alternative désagréable : s’il joue la patience, la réforme des retraites sera adoptée à la Saint glin-glin ; s’il veut passer au moyen de l’article 49/3 de la Constitution, qui permet d’adopter une loi sans vote, vous pouvez compter sur les hurlements de l’opposition qui sonnera le tocsin dans tout le pays. Le fait que tout ce drame à propos des retraites relève beaucoup de la communication que de la politique n’empêche pas que le résultat, pour l’Élysée, soit désastreux. Comme nous avons tenté de l’expliquer plus haut, le bilan des trois premières années du mandat de Macron n’est pas du tout négatif. Sans préjuger de l’issue de la crise actuelle, on peut même dire que le chef de l’État a mené un large bouquet de réformes sans déclencher une révolution et que, depuis qu’il est à l’Élysée, la France se porte mieux, quoi qu’en pensent Mélenchon et les gilets jaunes.
Dure vie politique
Aussi bien faut-il envisager que le président soit phagocyté par la guerre des retraites, qu’il soit réduit à ne faire qu’un mandat, qu’il arrivé épuisé au terme de ses cinq années de présidence de la République. Ce serait en quelque sorte la façon, pour lui, non seulement de payer son festival de réformes, sans précédent dans l’histoire de la République, mais de recevoir, si j’ose dire, le châtiment que méritent ses trop nombreuses erreurs de communication, son assurance et son arrogance. Mais le plus important n’est pas sa longévité politique et peut-être, après tout, faut-il qu’il succombe à l’indigestion de mesures nouvelles qu’il a partagées avec le bon peuple. Qui eût dit, il y a deux ans, que M. Macron se serait montré aussi volontariste, qu’il prendrait tant de risques, qu’il serait plus téméraire que courageux ? Il n’existe pas de vrai risque qui ne conduise pas à l’accident.
Chacun, selon son orientation politique regrettera ou se félicitera du succès ou de l’échec d’Emmanuel Macron, étant entendu que le sacrifice personnel est plus important pour le réformateur que pour les réformés que nous sommes. Mais nous vivons dans une démocratie et nous pouvons comprendre à la fois que ce pays doit changer à tout prix et que le chef d’orchestre peut être remplacé au bout de cinq ans. François Hollande et Nicolas Sarkozy n’ont fait, rappelons-le, qu’un seul mandat bien qu’ils aient essayé de provoquer les Français le moins possible. La vie politique est dure, mais c’est la vie.