LE QUOTIDIEN : Le 21 février, vous avez rendu au gouvernement un rapport sur les causes d’infertilité, réalisé avec Salomé Berlioux, présidente de l’association Chemins d’avenir. Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce travail ?
Pr SAMIR HAMAMAH : Aujourd’hui, en France, un couple sur quatre a des difficultés pour concevoir un enfant. Ce chiffre est en constante augmentation depuis trente ans, de 0,3 % par an chez les femmes et de 0,4 % chez les hommes. Au total, 3,3 millions de nos concitoyens sont concernés par l’infertilité, 6,6 millions si l’on ajoute les partenaires. C’est colossal.
Face à ces constats et dans le contexte de la révision des lois de bioéthique, Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, et Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles, nous ont missionnés pour travailler sur ce sujet. Notre objectif a donc été de dresser un état des lieux précis sur les causes de l’infertilité et sur les moyens existants pour la combattre, tout en formulant des propositions d’actions concrètes.
Comment avez-vous procédé pour dresser cet état des lieux ?
Nous avons rapidement constitué un groupe de travail, composé d’une vingtaine d’experts, avant de lancer les auditions à un rythme soutenu. Acteurs institutionnels, spécialistes de la fertilité, représentants du monde associatif et de la société civile, couples de patients et d’anciens patients… Plus de 130 personnes ont été auditionnées en quelques semaines, en présentiel ou en distanciel. Ce sont ces auditions qui nous ont permis d’identifier des actions prioritaires à mettre en œuvre pour répondre aux différentes causes de l’infertilité.
Cette étape n’a pas été facile, tant le sujet de l’infertilité demeure peu débattu, trop souvent ignoré voire tabou. C’est une question qui touche à la fois à l’individu, à la collectivité, à l’intime… et qui a des causes multiples !
Justement, quelles sont les principales causes de l’infertilité ?
Il y a des causes médicales, sociétales (recul de l’âge moyen du premier accouchement, longues études, priorité donnée à la carrière, petits appartements, difficulté pour trouver des modes de garde, etc.), des causes environnementales (perturbateurs endocriniens, nanoparticules, pollution, etc.) La tendance est inquiétante. Si l’on observe le taux de fertilité (nombre d’enfants par femme), tous les signaux sont au rouge : il est de 1,83 en France, 1,5 en Allemagne, 1,3 en Espagne, en Italie et au Portugal, 1,1 en Corée du Sud, 0,9 en Russie… Dans de nombreux pays, ce taux ne cesse de baisser. Pourtant, parce que ses causes sont multiples, parce que c’est un sujet politique, l’infertilité est longtemps demeurée un angle mort des pouvoirs publics. Par conséquent, la remise de ce rapport constitue une première étape importante pour essayer d’inverser la tendance.
Il y a d’ailleurs urgence, tant l’infertilité pose de défis inédits à l’ensemble du système de santé, en matière de prévention comme de prise en charge curative.
En effet. Depuis un certain temps, on pense que la procréation médicalement assistée (PMA) est la solution à tout. Or, on oublie de préciser que le taux de succès total est de 20 % ! En outre, chaque année, la prise en charge des couples infertiles représente un coût pour la collectivité de 600 millions d’euros. Ce n’est pas rien. Ne vaudrait-il pas mieux utiliser cet argent pour des actions de prévention ?
Mettre l’accent sur la prévention, c’est l’une des pistes formulées dans votre rapport. Pouvez-vous présenter vos recommandations ?
Pour engager une démarche active et coordonnée en France, nous avons formulé six grandes priorités, chacune pouvant ensuite se décliner en actions concrètes. Éduquer et informer à l’échelle collective ; à l’échelle individuelle ; former les professionnels de santé à la prévention de l’infertilité ; mieux repérer et diagnostiquer les causes de l’infertilité ; mettre en place une vraie stratégie de recherche ; enfin, créer un « Institut national de la fertilité », qui puisse incarner et porter ce plan national de lutte. À titre d’exemple, pour le premier axe, nous avons pensé à la création d’un logo reprotoxique, que l’on apposerait sur les produits qui contiennent des substances comme les perturbateurs endocriniens. Ce n’est pas quelque chose d’onéreux.
Ces propositions sont désormais dans les mains des pouvoirs publics. La prochaine étape — on espère d’ici l’été —, sera le lancement officiel de la stratégie nationale de lutte contre l’infertilité.
Exergue : L’infertilité est longtemps demeurée un angle mort des pouvoirs publics, alors que c’est un sujet politique
* Le Pr Samir Hamamah est chef du service Biologie de la Reproduction au CHU de Montpellier, Président du conseil national des universités en médecine et biologie de la reproduction et de gynécologie médicale, rapporteur du premier « plan national fertilité » Le rapport : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_sur_les_causes_d_infe…