Ce n'est pas avec l'intention d'en finir avec le réchauffement climatique, mais avec celle d'en finir avec le virus que sont dégagés les moyens de la lutte contre l'épidémie. On peut même ajouter que la bruque dépollution de l'air et des océans n'est pas durable et que, une fois l'épidémie contrôlée, l'humanité recommencera à polluer à tout-va. Mais l'exemple, ou la répétition générale, de ce que pourrait donner la diminution de la production vient d'être donné à des populations éberluées : des rues vides, des transports accueillants, le stress quotidien envolé, et surtout, une repossession du temps. La plupart d'entre nous vivent plutôt mal le confinement, et l'ennui ou la peur risquent d'induire une dépression. Mais personne ne peut nier que le rythme de vie lui-même a changé pour le mieux et que l'expérience, certes épouvantable, du virus présente néanmoins un aspect positif.
Aussi n'est-il pas question de revenir à l'âge de pierre. En revanche, on peut se demander si nous ne pourrions pas adopter quelques-unes des contraintes imposées par le virus. Un exemple : si nous mettions en place des horaires de travail décalés dans les grandes villes, et si nous misions sur le télétravail, la circulation y serait plus fluide. Tout, dans l'épidémie, montre que nos dogmes ont volé en éclats : le gouvernement néo-libéral que nous avons ne pense plus en termes d'équilibre budgétaire, il ne se bat plus contre les déficits, il va reporter la réforme des retraites, il va désormais diriger le pays au plus près des populations en souffrance. La révolution que les gilets jaunes n'ont pas obtenue va leur être livrée sur un plateau d'argent, non à la suite d'un rapport de forces social mais parce que l'épidémie a relativisé, et même modifié en profondeur, les impératifs mis naguère en avant par nos dirigeants.
Derrière l'épidémie, la crise économique
Le phénomène est d'autant plus intéressant qu'il est produit par des nécessités qui n'existaient pas. On peut militer en faveur de l'Union européenne pendant des décennies mais quand on sait que Prague a intercepté une cargaison de masques qui devaient être livrés à l'Italie, on voit bien qu'il y a des moments historiques où l'intérêt national compte plus que l'intérêt continental. En revanche, la Banque centrale européenne, sous la pression des gouvernements de l'UE, a fini par prendre les mesures monétaires indispensables pour empêcher l'effondrement des économies. Et donc, dans un avenir meilleur, il ne faudra pas jeter le bébé avec l'eau du bain. L'Allemagne, par exemple, semble avoir compris qu'on ne protègerait personne du virus si les pays européens vont vers la faillite, un taux de chômage élevé, la paupérisation de millions de personnes. Derrière la maladie, couve la crise économique et sociale. Et la bonne attitude consiste à inonder d'argent frais les systèmes à l'arrêt.
Cela devrait résulter en tout cas des prochains sommets européens qui feront le bilan de l'épidémie. Vous me direz à juste titre que le maintien de l'emploi et de la croissance sont en contradiction absolue avec la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique. Mais ce n'est pas tout à fait vrai : une catastrophe sanitaire a levé le voile sur une planète différente, qui fait une pause et prend un peu de repos. C'était l'image prémonitoire de ce que nous devons devenir. Dépenser sans compter pour survivre, certes, mais dépenser aussi pour ceux d'entre nous qui vivent si mal. Et ne plus jamais oublier que ce qui compte le plus, dans une société qui se respecte, c'est un système de santé qui fonctionne sans avoir besoin de supplier les pouvoirs publics de lui donner les moyens d'accomplir sa tâche, aussi rude soit-elle. Trop de pays aujourd'hui sont gouvernés par des hommes dont le seul rêve est nationaliste et qui ne songent qu'à la puissance des armes ou à leur influence géopolitique. La vérité est ailleurs, elle est dans le simple respect de la dignité humaine.