Un élément de cette tragédie aux effets pervers multiples, c'est le rôle joué par les talibans avec lesquels les Américains ont noué à Doha des relations étroites. Tout à coup, les ennemis de la veille sont devenus des interlocuteurs valables, et même des complices. Ils ont tenu parole en laissant partir tous ceux qui voulaient quitter l'Afghanistan et ils ne sont pour rien dans l'improvisation à laquelle se sont livrés les Américains, disposant pourtant de moyens exceptionnels, et forcés de renvoyer sur place des troupes fraîches pour finir le travail. C'était sans compter avec l'État islamique. Les talibans ont informé Washington, au moins avec deux jours d'avance, des attentats qui se préparaient contre l'aéroport de Kaboul. Mais rien n'a pu empêcher la foule de se presser contre les trois portes de cette enclave tenue par les Américains. D'où le nombre élevé des victimes.
Communication à l'occidentale, renseignements livrés aux États-Unis : même si les talibans ont déjà commencé à réprimer les velléités d'indépendance de la population afghane, ils apparaissent soudainement comme des esprits ouverts, par rapport à Daech et à Al Qaïda. Et il est vrai, même s'il est impossible de pardonner leurs crimes, qu'ils sont davantage des nationalistes que des terroristes engagés dans une guerre totale contre le monde non-musulman. Ces subtilités de tendances ne risquent pas d'impressionner le peuple américain, qui ne saurait distinguer entre cinquante nuances de terrorisme. Tout le monde dit d'ailleurs qu'il faudra juger les talibans selon leurs actes et non selon leurs paroles.
Le dommage causé à l'exécutif américain, qui caracolait sur une vague de popularité impressionnante, sera sans doute durable, d'autant que les élections de mi-mandat auront lieu dans quatorze mois, ce qui pourrait affaiblir les majorités dont Joe Biden bénéficie au Sénat et à la Chambre des représentants. L'évacuation de Kaboul a causé un tel choc, elle a donné lieu à des images si choquantes, elle a signé la déroute américaine avec une telle vigueur que la question se pose d'une résurrection possible de Donald Trump. Comme rien, en politique, n'est jamais impossible, on ne saurait récuser cette hypothèse sans l'examiner sérieusement. D'abord, Biden a le temps de se refaire une santé, avant les mid-terms et après. Ensuite, le pire des fiascos de la diplomatie américaine ne devrait pas inviter l'électorat américain à rappeler Trump. Biden a agréablement surpris son pays par la rapidité des mesures qu'il a prises au lendemain de son arrivée à la Maison Blanche, avec un retour à la prospérité, le recul du chômage, mais aussi l'accélération du désengagement des États-Unis du Moyen-Orient, qui n'est pas en soi une stratégie impopulaire.
Le culte de la personnalité
En outre, dans ce que Biden a déjà accompli, il y a quand même la condamnation du trumpisme qui, certes, n'est pas une idéologie, mais comporte une incohérence, un mépris des gens, des abus de pouvoir, des contradictions idéologiques, une ignorance de l'histoire, une incompétence consternante et enfin une accablante malhonnêteté fiscale. Même chez les républicains, on peut trouver mieux que Trump, pour autant que des candidats aient le courage de se dresser contre lui.
Il importe également de n'adresser à Biden que des critiques valables. Assurément, son évacuation de l'Afghanistan restera dans les mémoires comme un immense échec. Mais il n'a jamais rien fait d'autre que ce qu'il avait dit, conformément à une stratégie de recentrage de la diplomatie américaine sur l'Asie qui a été amorcée par Barack Obama et poursuivie par Donald Trump, n'en déplaise au camp républicain. Les alliés des États-Unis reprochent à Biden sa façon de faire mais pas ses objectifs. Les forces américaines, par exemple, auront totalement quitté l'Irak à la fin de l'année. C'est un plan qui confirme de précédents reculs, comme le refus d'Obama d'intervenir en Syrie.
Le problème majeur de l'Amérique n'est ni l'Afghanistan ni l'Irak, mais la lutte contre les inégalités et l'insécurité. Dans ces deux domaines, les démocrates semblent bien mieux placés que les républicains, obnubilés par le culte de la personnalité.
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