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Dossier

Aménagement du cabinet

Accessibilité, chantier inachevé

Par Amandine Le Blanc - Publié le 23/03/2018
Accessibilité, chantier inachevé

Accessibilité
Monet (Adobe Stock)

En dépit des grandes intentions annoncées dans une loi en 2005, de nombreux cabinets médicaux ne sont toujours pas accessibles aux personnes handicapées. Les praticiens reculent surtout face à la contrainte budgétaire, et nombre d’entre eux ont bénéficié de dérogations. Un épineux dossier, que les pouvoirs publics ne semblent pas pressés de rouvrir.

C’est une histoire sans fin ! La loi de 2005 prévoyait l’accessibilité des établissements recevant du public (ERP) dans un délai de dix ans. En 2015, le chantier était loin d’être abouti… Les trois ans de délai supplémentaire accordé aux ERP pour rentrer dans le rang n'ont rien changé. Théoriquement, les médecins dont les cabinets médicaux n'étaient pas aux normes avaient jusqu’à fin septembre 2015 pour déposer leur agenda d’accessibilité programmée (Ad’AP) prévoyant les travaux à réaliser sur trois ans.

Cabinets invendables

Dans quelques mois, toute la profession est donc censée être rentrée dans les clous… En réalité, on est loin du compte. C'est du moins ce que laisse à penser le silence des autorités. Difficile en effet d’obtenir des statistiques sur la question. Contactée par Le Généraliste, la délégation ministérielle à l’accessibilité explique ne pas disposer « de chiffres stabilisés relatifs aux cabinets médicaux, et a fortiori ceux des généralistes ». Voilà pour le discours officiel. Officieusement, il est probablement préférable pour les médecins de ne pas connaître ces chiffres, car depuis deux ans et demi, on décompte davantage de dérogations délivrées que de travaux engagés. « De nombreux cabinets se trouvent à l'étage de bâtiments d'habitation et une majorité d'entre eux ont sollicité une dérogation concernant la mise en accessibilité des parties communes au motif  du refus de la copropriété », explique la délégation ministérielle à l’accessibilité. Ce qui ne fait que repousser le problème. Ces dérogations peuvent être accordées si la copropriété s’oppose aux travaux, si les coûts sont disproportionnés, si le bâtiment est classé au patrimoine ou en cas d’impossibilité technique. Dans les deux derniers cas, la dérogation est liée au local, et donc cessible, sinon elle est attachée au médecin, et non transmissible. Auquel cas, presque impossible de revendre.

Le Dr Dominique Prat, qui exerce à Clamart, s’est retrouvé coincé au moment de prendre sa retraite. « J’avais obtenu facilement une dérogation pour refus de la copropriété, explique-t-il. Quand j’ai voulu prendre ma retraite, je me suis aperçu que je ne pouvais pas transmettre cette dispense. » Ce genre de situation risque de se répéter souvent dans les années à venir. « L’impossibilité de transmettre les locaux va poser problème, plus particulièrement dans l’hyper-centre-ville, estime le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Et comme c’est aussi là qu’on retrouve les personnes âgées, celles à mobilité réduite, les difficultés d’accès aux soins vont s'accroître. »

Des contraintes coûteuses...

En attendant, tous les médecins n’ont pas obtenu ni même demandé de dérogation. Certains se sont lancés sans attendre dans les travaux de mise en accessibilité. En région lilloise, le Dr Matthieu Calafiore exerçait dans un cabinet sur plusieurs étages, pas du tout adapté aux personnes à mobilité réduite. « Nous nous sommes renseignés sur le montant des travaux et nous nous sommes rendus compte que cela nous reviendrait aussi cher que de construire un nouveau bâtiment aux normes », souligne-t-il. Aussi, le choix a été vite pris de monter un nouveau projet de maison de santé pluridisciplinaire (MSP). Pour ces structures, l’accessibilité fait souvent partie intégrante du projet. « Ce n’est pas un prérequis, explique le Dr Pascal Gendry, président de la Fédération des maisons et pôles de santé, mais souvent la question de l’accessibilité s’intègre dans la réflexion architecturale du projet. C’est aussi un critère que l’on retrouve dans les questionnaires d’évaluation que les MSP proposent aux usagers. » Pour les nouvelles constructions, le critère d’accessibilité est de toute façon une obligation pour obtenir le permis de construire.

Nous avons eu un premier refus de permis de construire parce qu'il manquait 2% à notre pente

Dr Margot Bayart
Généraliste à Réalmont (Tarn)

Tout est loin d’être simple. À Réalmont, dans le Tarn, le Dr Margot Bayart se débat depuis des mois avec les travaux d’adaptation de sa MSP. « Nous étions déjà accessibles aux personnes à mobilité réduite mais pas selon les critères légaux. Nous avons décidé de nous engager dans un projet de maison de santé qui nécessitait la fermeture d’un préau, et donc un permis de construire », explique-t-elle. La généraliste a fait appel à différents bureaux d’études et de contrôle, notamment pour les questions d’accessibilité, à un maître d’oeuvre, etc. Au total, elle estime ces frais à environ 30 % du prix total des travaux. Le projet étant exclusivement libéral, les professionnels de cette MSP ne touchent aucune subvention pour financer la construction. « Nous avons eu un premier refus de permis de construire parce qu’il manquait 2 % à notre pente. Nous avons donc été obligés de demander une dérogation à la mairie pour construire une rampe sur la voie publique, ce qui équivaut à un coût supplémentaire de 8 000 euros », ajoute-t-elle.

...et « absurdes »

Déjà échaudés par cette obligation à leur frais, certains généralistes regrettent aussi un manque de souplesse de la réglementation. « À l’entrée, nous voulions mettre un interphone pour les personnes en fauteuil, mais on nous a répondu que c’était discriminant. Nous avons donc été obligés de mettre une porte coulissante pour 9 000 euros », raconte le Dr Jean- Paul Hamon, généraliste à Clamart. « L’absurdité des contraintes » en exaspère certains. Avec sa collaboratrice, le Dr Julie Mazet, généraliste à Monnetier-Mornex (Haute-Savoie), est locataire de la mairie dans un cabinet sur plusieurs étages : « La municipalité a été obligée de financer un ascenseur extérieur. Cela a coûté 80 000 euros et personne ne l’utilise jamais », note-t-elle.


Nous faisons le maximum pour accueillir tous les patients. On se déplace si besoin

Dr Julie Mazet
Généraliste à Monnetier-Mornex (Haute-Savoie)

Face à l’ampleur de la tâche, beaucoup de généralistes ont donc décidé de mettre le dossier accessibilité en stand-by. « Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ! Et au moindre tracas, je dévisse et je prends ma retraite ! », lance le Dr Dominique B sur legeneraliste.fr. « Je comprends qu’un certain nombre de mes collègues fermeront leurs cabinets plutôt que de les rendre accessibles s’ils ont une pression trop importante. Il faut de l’adaptabilité, sinon certains vont jeter l’éponge », enchérit le Dr Bayart. Personne ne s’oppose à l’esprit d’une loi sur l’accessibilité, mais certaines conditions continuent d’irriter bon nombre de médecins. « Un commerce ou un musée qui va devoir se mettre en accessibilité peut ensuite augmenter ses prix pour compenser. Pour nous médecins, les tarifs sont bloqués, cela devient donc un impôt discriminatoire, estime le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML-S. On peut comprendre que les médecins soient en stand-by, car force est de constater que nous n’avons pas l’argent pour le faire. » Le Dr Julie Mazet affirme aussi que les médecins apprécient peu d’être montrés du doigt. « Nous faisons le maximum pour accueillir tous les patients, on se déplace si besoin. Par ailleurs, beaucoup d’autres structures ne sont pas du tout aux normes. » Mais pour l’association des paralysés de France, le dossier doit avancer. « La possibilité de dérogations est normale. La loi est raisonnable, donc tout le monde doit l’être. On constate une résistance quasi scandaleuse à déposer des Ad’Ap », estime Nicolas Mérille, conseiller national accessibilité à l’APF.

Même si une partie des médecins ont déposé leur Ad’Ap ou obtenu une dérogation, tout le monde n'a pas engagé de travaux. « Des procédures de sanction ont été entamées mais aucune n'a abouti à l'émission de titres de perception, les contrevenants s'étant manifestés et étant entrés dans le dispositif », explique ainsi la délégation ministérielle à l’accessibilité. Un nouveau modèle de Cerfa simplifié pour la mise en accessibilité devrait bientôt paraître, de quoi peut-être convaincre les derniers réfractaires. C’est ce qu’espère en tout cas l’APF. Dans les ministères concernés, personne ne semble pressé de rouvrir ce dossier avant la fin des trois ans impartis pour les travaux. Les partisans de cette loi peuvent se consoler en constatant que tous les médecins ne considèrent pas la mise en accessibilité comme de l’argent jeté par les fenêtres. « Nous entendons beaucoup dire cela, mais je ne suis pas d’accord, souligne le Dr Calafiore. Des patients vus seulement en visite jusqu’ici viennent désormais au cabinet. Cela ne s’est pas fait en un claquement de doigts, tous n’étaient pas ravis au départ. Mais lorsque nous leur expliquons que nous avons fait les travaux exprès, ils changent d’avis. »

L’enjeu sera ensuite d’identifier les établissements accessibles, une dimension « essentielle » pour les associations. D’ores et déjà, les communes de plus de 5 000 habitants doivent indiquer sur leurs sites Internet la liste des ERP accessibles. L’Île-de-France et les Pays-de-la-Loire travaillent aussi à des expérimentations d’annuaires des cabinets accessibles. 

Quelles normes ?

Un cabinet médical doit aujourd’hui offrir un accès en autonomie aux personnes présentant un handicap. Si les bâtiments existants peuvent bénéficier d’une dérogation, tous les nouveaux doivent intégrer les normes accessibilité dès la construction et permettre « dans des conditions normales de fonctionnement, à des personnes handicapées, avec la plus grande autonomie possible, de circuler, d'accéder aux locaux et équipements, d'utiliser les équipements, de se repérer, de communiquer et de bénéficier des prestations en vue desquelles cet établissement ou cette installation a été conçu. Les conditions d'accès des personnes handicapées doivent être les mêmes que celles des personnes valides ou, à défaut, présenter une qualité d'usage équivalente », précise le code de la construction et de l’habitation. Depuis un décret de mai 2006, les sept zones clés de l'accessibilité du bâti concernent l'entrée, l'accueil, les zones de circulation, les cabines (s’il en existe), les sanitaires, le parking et la signalétique. Les ascenseurs doivent respecter les dimensions pour accueillir un fauteuil roulant. La signalisation doit aussi permettre à un usager malvoyant ou ayant des difficultés de compréhension d'identifier aisément le cabinet dans le bâtiment vers lequel il veut se diriger. Une signalétique en relief, en braille ou sonore à destination des visiteurs aveugles peut également être mise en place.


Dossier réalisé par Amandine Le Blanc