Douleur

Les antalgiques souffrent de sous-prescription

Publié le 17/11/2017
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Chez les personnes âgées, la prise en charge de la douleur a longtemps souffert d’a priori, comme un moindre ressenti de la souffrance ou les dangers de la morphine. Malgré le manque de données sur les antalgiques chez les seniors, ceux-ci doivent bénéficier de traitements efficaces, incluant si nécessaire des opiacés.
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Crédit photo : Fotolia / sebra

Ce n’est que depuis 2006 que le plan douleur mentionne spécifiquement la souffrance physique chez les sujets âgés. Or, la douleur chronique concerne la moitié des personnes vivant à domicile, et jusqu’à 80 % de celles qui résident en institution, avec une prévalence élevée et longtemps sous-estimée de la composante neuropathique.

De manière générale, la douleur est sous-traitée. On la considère encore trop souvent comme inhérente à l’âge, et on la sous-évalue du fait de son expression généralement atypique, a fortiori chez des patients peu communicants ou avec des problèmes psychiatriques. Et chez les plus âgés atteints de troubles importants de la cognition, il faut se rappeler que les médicaments tels que les benzodiazépines ou les antidépresseurs peuvent interférer avec l’expression et l’évaluation de la douleur.

L’importance de la pharmocinétique

Globalement, les antalgiques sont les mêmes que ceux prescrits au sujet plus jeune, qu’il s’agisse des antalgiques purs ou des molécules utilisées dans les douleurs neuropathiques comme les antidépresseurs, les antiépileptiques… sous réserve de bien respecter les conditions d’administration. « Par contre, certains médicaments comme les anti-inflammatoires ou certaines benzodiazépines sont potentiellement inappropriées chez le sujet âgé, du fait de leur iatrogénie et interactions. Ces traitements doivent être réservés à des indications extrêmement limitées et en l’absence d’alternative », avertit le Pr Gisèle Pickering (centre de pharmacologie clinique, Clermont-Ferrand).

La crainte d’effets secondaires et d’interactions médicamenteuses chez ces personnes plus vulnérables, volontiers polypathologiques et polymédicamentées constitue aussi un obstacle à la prescription d’antalgiques. Le vieillissement modifie la pharmacocinétique des médicaments : le ralentissement du transit augmente leur délai d’action, la diminution du métabolisme hépatique et de l’élimination rénale allonge leur durée de vie et leur concentration, d’où des effets indésirables à doses plus faibles que chez les sujets jeunes. Il est indispensable de vérifier en premier lieu la fonction rénale, dont l’altération peut amener à modifier la fréquence d’administration et la posologie des traitements. Il faut privilégier les molécules à demi-vie courte, plutôt celles qui sont hydrosolubles, et commencer par des doses faibles qu’on augmentera progressivement.

Hiérarchiser les traitements

Avant toute prescription, on s’assurera de l’absence de traitements concomitants exposant à des interactions majeures. Par exemple, les anticoagulants/antiplaquettaires contre-indiquent les anti-inflammatoires ou les psychotropes. De leur côté, les benzodiazépines potentialisent les effets indésirables des antidépresseurs ou des opioïdes, avec un risque majeur de chutes, de somnolence et de troubles cognitifs. « Avant de prescrire un antalgique, et tout particulièrement un opiacé, il faut se poser la question de la “déprescription”, un concept qui nous vient du Canada, et qui insiste sur l’importance de hiérarchiser les traitements pour ne garder que ceux qui sont indispensables », insiste le Pr Pickering.

Opioïdes faibles et forts

Faut-il continuer à suivre la progression classique des antalgiques suivant les trois paliers de l’OMS ? La question fait l’objet de nombreuses discussions, en particulier sur la nécessité du palier intermédiaire – du fait d’un rapport bénéfice/risque incertain des opioïdes faibles chez les personnes âgées. En soins palliatifs, on aura tendance à passer du palier 1 au 3 directement. « Il ne faut pas être frileux avec les opioïdes, et ne pas avoir peur de prescrire de la morphine, à condition de savoir le faire et d’expliquer pourquoi aux patients », poursuit la spécialiste. Cependant, avec les opioïdes forts il est indispensable d’être très vigilant chez le sujet âgé. Il faut débuter par les posologies les plus faibles pour atteindre une efficacité optimale, en vérifiant l’absence de co-prescriptions qui majoreraient la somnolence. Il faut anticiper les effets indésirables (nausées, vomissements, constipation...) et prescrire d’emblée des médicaments permettant de les éviter pour améliorer la compliance. Il n’y a pas vraiment de contre-indication à la morphine. Il faut toutefois la prescrire en cas de réelle nécessité, ont rappelé les recommandations de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) sur la prescription des opioïdes forts dans la douleur chronique non cancéreuse (2016). Ces recommandations visent principalement à lutter contre la sous-utilisation de la morphine dans certaines douleurs nociceptives, et à éviter les abus et prescriptions inadaptées comme pour les douleurs neuropathiques, la fibromyalgie ou les migraines où elle est peu efficace
 

Peu de dépendance, mais une mauvaise observance

Les opiacés suscitent toujours la crainte d’entraîner une dépendance. On est loin de la situation des USA, qui connaissent une explosion de la prescription d’opioïdes (4,6 % de la population mondiale consomme 80 % de la production !). En France, avec les opioïdes forts prescrits par voie orale, la dépendance psychique est rare et longue à apparaître, sauf en cas de terrain prédisposé, à repérer auparavant. Les abus médicamenteux ne concernent pas seulement les opiacés forts, mais aussi, à un moindre degré, le paracétamol, le tramadol, la codéine et surtout les benzodiazépines. Ils sont exceptionnels avec les antiépileptiques.

Contrôler la reconduction Chez le sujet âgé, il s’agit plus d’une mauvaise observance ou d’erreurs dans la prise du médicament que de détournements volontaires, comme chez les adultes plus jeunes. Le mésusage est plus souvent lié à la consommation de boîtes restant dans la pharmacie personnelle du patient, et le médecin devra veiller à ne pas reconduire systématiquement sur l’ordonnance les antalgiques de palier 1 ou 2 sans les encadrer précisément. Pour éviter abus médicamenteux et autoprescriptions erratiques, il est important – mais souvent difficile – de faire accepter au patient que dans certains cas, et en particulier dans les douleurs neuropathiques, on va pouvoir diminuer très fortement la souffrance, mais qu’un fond douloureux peut persister.

 

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr