Le démantèlement des programmes américains de financement de la lutte contre les maladies infectieuses et le retrait du pays de l’OMS sinistrent déjà la santé mondiale. Sans aides à la prévention, au dépistage et à l’accès aux traitements, la morbidité et la mortalité liées aux infections vont empirer à court et long termes.
Au premier jour de son second mandat présidentiel, Donald Trump a émis des ordres exécutifs annonçant le gel du Plan d'urgence pour la lutte contre le sida/VIH (Pepfar) et le démantèlement de l’agence des États-Unis pour le développement international (Usaid). Le pays a aussi achevé son retrait de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), enclenché à la fin du précédent mandat de Trump. « Il y a un effet de sidération, tout est arrivé très rapidement », témoigne le Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l'ANRS – Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE). Après le choc, vient le constat glaçant des conséquences à court et long terme dans la lutte contre les maladies infectieuses.
Le Pepfar finançait les traitements du VIH mais c’est l’Usaid qui rendait opérationnelle leur distribution
Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l'ANRS – Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE)
D’après plusieurs scientifiques (1), les coupes budgétaires américaines vont « créer un fossé considérable dans la capacité de l’OMS à répondre efficacement aux crises de santé mondiales, aux urgences et aux flambées épidémiques. » L’éradication de la poliomyélite est « l’un des programmes les plus vulnérables de l’OMS, (qui est) gravement menacé sans le soutien des États-Unis ». De nombreuses autres maladies infectieuses sont concernées telles que choléra, mpox, tuberculose, arboviroses ou encore paludisme.
Une dérogation a été délivrée pour les services d’assistance vitale mais elle est concrètement inopérante. « Le Pepfar finançait les traitements du VIH mais c’est l’Usaid qui rendait opérationnelle leur distribution. Les programmes d’urgences vitales ne sont pas réalisables sans l’Usaid », explique le Pr Yazdanpanah.
Pour une poignée de dollars
Les modélisations de l’impact de l’arrêt du Pepfar ou de l’Usaid se multiplient. Quelle que soit la méthodologie, de la plus conservative à la plus exhaustive, les résultats sont toujours alarmants. Une étude menée par le Pr David Paltiel (2), professeur de santé publique à Yale (États-Unis), calcule les économies que les États-Unis font en arrêtant de financer ces programmes en Afrique du Sud (à hauteur de 20 %). « Pour chaque année de vie d’une personne vivant avec le VIH perdue, les contribuables américains économiseront 220 dollars, une somme marginale », se désole le chercheur.
En Afrique, les associations licencient par centaines, ferment leurs antennes et sont en incapacité de dispenser les traitements
Alors que plus de 90 % des financements internationaux dans la lutte contre le VIH provenaient des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, des Pays-Bas et de la France, les quatre pays européens ont eux aussi annoncé des coupes budgétaires significatives. Ainsi, les projections (3) estiment à 24 % la réduction totale des financements d’ici à 2026.
Les répercussions se font déjà ressentir
Un sondage de Sidaction, mené auprès de 15 de leurs associations partenaires en Afrique francophone directement affectées par la dissolution de l’Usaid qui finançait 5 à 70 % de leur budget, illustre l’ampleur des répercussions immédiates. Les associations licencient par centaines, ferment leurs antennes, sont en incapacité de dispenser les traitements, etc. Trois quarts (73 %) des associations constatent un retentissement sur la prise en charge des enfants vulnérables. Deux tiers signalent des ruptures de produits : pour la prévention (préservatifs, gels, Prep), pour la mesure de la charge virale (40 %) et pour le dépistage (30 %).
Nous menons actuellement des discussions avec le Congrès américain, et nous disposons de plusieurs arguments qui pèsent dans la balance
Marie-Ange Saraka-Yao, directrice générale de la mobilisation des ressources et de la croissance à l’Alliance du vaccin (Gavi)
Au Kenya, des premiers retours du terrain rapportent que l’arrêt des financements a déjà altéré la capacité des organisations de la société civile de réaliser leurs actions de vaccination. Les cliniques mobiles ont été suspendues, le risque de pénurie de vaccins augmente, l’argent manque pour former les travailleurs et les organisations peinent à faire le suivi épidémiologique des programmes de vaccination. La Gavi, l’Alliance du vaccin, surveille d’ailleurs de près les remontées de terrain sporadiques pour adapter les interventions.
L’Alliance du vaccin a plusieurs cordes à son arc
L’Alliance du vaccin veut garder espoir. « Nous sommes évidemment inquiets, mais nous menons actuellement des discussions très importantes avec le Congrès américain, qui nous a toujours soutenus, et nous disposons de plusieurs arguments qui pèsent dans la balance », révèle Marie-Ange Saraka-Yao, directrice générale de la mobilisation des ressources et de la croissance à l’Alliance.
« La Gavi n’est pas un modèle de charité mais d’investissement responsable. Un dollar investi dans la vaccination, c'est 54 dollars de retour sur investissement », précise-t-elle. Aujourd’hui, 40 % des financements proviennent des pays récipiendaires (contre 10 % au début de l’Alliance) et la part des pays à hauts revenus va continuer à diminuer. En effet, les pays bénéficiant des aides ajustent leur participation selon leurs revenus jusqu’à être autonome pour la vaccination et sortir de l’Alliance. « Nous sommes très proches de la souveraineté vaccinale de tous ces pays. Nous voyons le bout de la route et il serait vraiment dommage de rater le dernier kilomètre », plaide-t-elle.
D’ici à 2030, sans le Pepfar :
4,4 à 10,8 millions
d’infections additionnelles du VIH chez l’adulte et l’enfant (3)
770 000 à 2,9 millions
de décès liés au sida chez l’adulte et l’enfant (3) et 15,2 millions d’ici à 2040, sans le Pepfar ni l’Usaid (5)
500 000
enfants décédés du VIH (4)
1 million
d’enfants nouvellement infectés par le VIH (4)
2,8 millions
d’orphelins à cause du VIH (4)
2,2 millions
de décès additionnels de la tuberculose d’ici à 2040, sans le Pepfar ni l’Usaid (5)
(1) G. Yamey et al., N Engl J Med, 2025, vol 392 n° 15
(2) R. Aditya et al. Ann Intern Med, 2025, 178:457-46
(3) D. Brink et al. The Lancet HIV, 2025. DOI : 10.1016/S2352-3018(25)00074-8
(4) L. Cluver et al. The Lancet, 2025,.DOI : 10.1016/S0140-6736(25)00401-5
(5) J. Stover et al. Social Science Research Network, 2025, The Lancet preprint. DOI : 10.2139/ssrn.5199076)