Les coupes budgétaires amorcées par les États-Unis vis-à-vis des programmes de santé mondiale et de recherche ont rapidement été dénoncées par la communauté scientifique, à grand renfort d’éditoriaux publiés dans les plus grandes revues scientifiques (Nature, Science, The Lancet, New England Journal of Medicine, Journal of the American Medical Association). Mais une fois le constat posé, comment faire ?
Pour le Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l'ANRS-maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE), le modèle actuel « de dépendance aussi importante à un seul pays » était de toute façon à revoir. « Le fait qu’un certain nombre de pays du Sud ne se soient pas organisés après vingt ans de Pepfar, c’est un problème », ajoute-t-il. Plusieurs chercheurs africains dénoncent ce même point (1) : « Les gouvernements africains ont insuffisamment investi dans leurs systèmes de santé. »
Si le Pepfar a apporté transparence, cohésion et structure, le programme avait aussi des inconvénients pour la gestion externe des chaînes d’approvisionnement, des services cliniques, des systèmes de données. Malgré le couperet américain, la situation devient « une opportunité de réinventer la réponse au VIH, en y donnant un rôle dominant aux gouvernements, communautés et organisations africaines », avancent les chercheurs. Et d’ajouter : « Cette transition peut poser les fondations de systèmes robustes et plus résilients, capables de faire face aux défis actuels et futurs (1). »
À court terme, des sacrifices sont à prévoir
D’autres experts exhortent à renforcer l’Organisation mondiale de la santé (OMS) face aux « multiples crises de santé transcendant les frontières » (2). L’agence onusienne faisait déjà face à des difficultés pour financer son programme 2025-2028 avant même le retrait des États-Unis. Pour tenter de compenser ce départ, « les organisations philanthropiques comme la Fondation Bill et Melinda Gates et d’autres pays donateurs pourraient s’investir pour soutenir la stabilité financière de l’OMS », proposent-ils.
Une enquête de l’association Aides montre que près de 80 % des Français estiment que le pays doit jouer un rôle majeur dans la lutte mondiale contre le VIH/sida au niveau mondial. Ainsi, un peu plus d’un Français sur deux est « favorable à une augmentation de la contribution financière de la France au Fonds mondial ». Mais même en augmentant la participation des pays et organismes privés, « dans de nombreux pays, les subventions des États-Unis ne peuvent être remplacées » (3).
Les instituts de recherche ont l’habitude de prioriser les projets
Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS-MIE
Face à ce déficit budgétaire, il faudra faire des choix. « C’est quelque chose que les instituts de recherche ont l’habitude de faire en priorisant certains appels à projet en fonction de l’influence des recherches sur la vie des populations ciblées, l’urgence ou des probabilités de réussite, rappelle le Pr Yazdanpanah. Tout ne pourra pas être sauvé ». C’est là que les modélisations et prédictions aident les gouvernements à « évaluer différentes stratégies d’investissement et optimiser l’allocation de ressources » (1).
Reconstruire des réseaux de surveillance des épidémies
Au-delà des coupes budgétaires, les États-Unis arrêtent plus largement leurs collaborations internationales, incluant le partage des données épidémiologiques des Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Le silence des CDC met en péril la surveillance épidémique pourtant primordiale pour identifier une flambée par exemple d’influenza aviaire, et instaurer au plus vite une réponse globale et coordonnée.
Contre cela, plusieurs initiatives de coopération mondiale s’amorcent ou se renforcent telles que le réseau international Strive d’essais cliniques sur les maladies infectieuses, ou le partenariat européen BeReadyNow, coordonné par l’ANRS-MIE, destiné à la préparation aux futures épidémies et pandémies liées aux pathogènes émergents et ré-émergents. L’European CDC et l’Africa CDC ont récemment consolidé leur collaboration pour harmoniser la surveillance des maladies infectieuses, le partage de données et la réponse à des épidémies.
Une force de la Gavi tient dans ses partenariats avec le secteur privé dans les innovations technologiques. Par exemple, la délivrance de vaccins par drone, avec la société Zipline et la Fondation UPS, permet d’atteindre des zones reculées et de diminuer le coût de distribution de 43 %. De son côté, l’ANRS-MIE évalue l’intérêt de drones pour acheminer rapidement les échantillons pour le diagnostic du VIH chez les nourrissons dans son projet AIR-POP.
Se passer des États-Unis dans la lutte contre les maladies infectieuses émergentes ne se fera donc pas sans difficultés. Mais à terme, une nouvelle voie pour la santé mondiale est possible.
(1) W. Mutale et al., The Lancet HIV, 2025. DOI : 10.1016/S2352-3018(25)00071-2
(2) G. Yamey et al., N Engl J Med, 2025, vol 392 no 15
(3) E. Sibanda et al., The Lancet HIV, 2025. DOI : 10.1016/S2352-3018(25)00076-1
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