Depuis 2017, le DMP est déployé à titre expérimental dans neuf départements. Inutilisable pour certains, avancée majeure pour d'autres : 18 mois plus tard, les médecins qui l'ont mis à l'épreuve sont divisés.
« Pour moi, le bilan de l'expérimentation est négatif. » Sans détour, le Dr Jean-Louis Bensoussan livre un témoignage à charge. Et pour cause, en 18 mois, le généraliste de Castelmaurou (Haute-Garonne) n'a pas réussi à tirer pleinement parti du DMP en raison d'une incompatibilité avec son logiciel métier. « Je pouvais ouvrir des dossiers pour mes patients mais ni y verser des documents, ni en récupérer », témoigne le secrétaire général de MG France. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé. « J'ai fait venir à trois reprises un technicien de la CPAM mais rien n'y a fait. » Découragé, le médecin a abandonné et appelle de ses vœux un outil compatible avec n'importe quel logiciel métier.
Quand bien même il aurait réussi à l'utiliser, le Dr Bensoussan n'est pas convaincu du bien-fondé de ce carnet de santé numérique : « Tout ce qu'on espère y voir apparaître figure déjà dans le dossier patient ». Seul intérêt pour lui, le carnet de vaccination, dont l'ajout au DMP est prévu par l'assurance-maladie d'ici à 2022. Pour tout le reste, le généraliste est clair : « Je n'en vois pas l'intérêt ».
Rémunérer les médecins traitants
Bien plus au nord, en Indre-et-Loire, l'atmosphère serait-elle plus propice au déploiement du DMP ? C'est ce que pourrait laisser penser le témoignage du Dr Jean-Pierre Peigné qui, lui, n'a eu à essuyer aucun dysfonctionnement technique. Au contraire, dithyrambique, le généraliste de Villeloin-Coulangé y voit même « quelque chose de nature à upgrader la santé publique ». En tant que responsable local de la CSMF, il s'est intéressé très tôt au projet. Pour lui, la clé de la réussite réside entre les mains des médecins traitants. « Quand la compilation de documents sera importante, l'outil sera impossible à utiliser à moins d'y trouver rapidement un sommaire, une synthèse que… seul le médecin traitant est habilité à réaliser », prévient-il.
Le désormais retraité appelle ses confrères à dresser consciencieusement – et pour chacun de leurs patients fragiles en priorité – un volet de synthèse médical précis. Grâce à cela, tous les professionnels de santé pourront accéder rapidement au résumé de ses antécédents médicaux sans se perdre dans une masse de documents. Si cette tâche peut se faire au fil de l'eau pour les patients sans antécédents majeurs, le médecin estime qu'il faut une trentaine de minutes pour compiler les informations d'un patient suivi de longue date ! C'est là qu'est l'os pour le Dr Peigné qui réclame une incitation financière pour les médecins qui « publient un volet de synthèse médicale structuré pour leurs patients fragiles ». « À qui peut-on demander de passer une demi-heure par patient gratuitement ? », s'interroge le médecin tourangeau qui envisage de donner ce travail aux futurs assistants médicaux.
Des progrès à faire à l'hôpital
Gastro-entérologue au CHU de Tours et au centre hospitalier de Loches (Indre-et-Loire), le Dr Jean-Pierre Barbieux juge l'outil assez peu adapté à la réalité du travail à l'hôpital. « Le DMP est d'abord conçu pour un médecin installé en cabinet, avec sa carte CPS toujours connectée », témoigne le gastro-entérologue. « À l'hôpital, les médecins passent moins de temps à proximité d'un ordinateur ». Pour autant, le médecin a fait l'effort de l'utiliser. « Beaucoup plus pour l'alimenter que pour consulter ce qui y est compilé », reconnaît-il toutefois. Et pour cause, faire basculer un document du logiciel de l'hôpital vers le DMP ne nécessite pas de carte CPS et peut être fait par une secrétaire.
Le Dr Jean-Pierre Barbieux reste optimiste et prédit un bel avenir à cet outil, pourvu qu'il réunisse les conditions de son essor à l'hôpital. « Mais on n'est pas dans la situation de blocage qu'on a pu connaître il y a quelques années », rassure-t-il.
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