La population vieillit, mais le corps médical aussi, prévient solennellement l’Ordre des médecins : il a adopté, lors de son récent congrès annuel, une stratégie pour « adapter la santé à l’allongement de la vie » et prévenir ainsi les effets « ciseau » causés par le nombre accru de patients âgés, souffrant de multiples pathologies, face à un nombre de médecins toujours plus faible. Même si ce sont aujourd’hui les pédiatres qui voient leurs effectifs fondre le plus rapidement en raison de leur âge – un quart d'entre eux auront pris leur retraite d’ici à 2025 - peu de spécialités échappent à ces évolutions, en dépit d’une légère augmentation du nombre total des médecins en exercice, qui a atteint 416 120 fin 2021, soit 7 000 de plus qu’un an plus tôt.
Le problème, c’est qu’il faut aujourd’hui 1,2 médecin pour remplir les fonctions d’un seul médecin « temps plein », salarié ou libéral, en raison du fort développement du temps partiel. En 2021, près d’un médecin sur trois travaillait moins de 30 heures par semaine, contre 4 % seulement en 2009. En outre, 13 % des médecins sont âgés de 60 à 65 ans, et 8,5 % du corps médical a dépassé les 65 ans, ce qui aggrave encore le problème de leur renouvellement.
Dans le même temps, le nombre total d’hospitalisations a augmenté de 50 % depuis 1991 et continuera à progresser, les séjours étant certes plus courts qu’autrefois, mais beaucoup plus fréquents. De même, les patients âgés réclament plus de temps non seulement pour leurs traitements, mais pour l’ensemble des actes et procédures liés à leur santé.
Dans ces conditions, l’Ordre, compétent sur le contenu des formations, réclame au moins 6 000 places de plus dans les Facultés de Médecine, mais veut aussi réorganiser le temps médical disponible au profit des activités purement médicales. Cela signifie moins de bureaucratie et d’administration et plus d’actes médicaux « spécifiques et irremplaçables » avec, comme en France, une meilleure coordination entre les médecins et les autres professionnels de santé et des délégations d’actes à l’hôpital et en ville. Toutefois, cette optimisation du temps médical ne suffira pas, à elle seule, à résoudre toutes les difficultés.
Pour la vice-présidente de l’Ordre fédéral, le Dr Ellen Lundershausen, le choix du temps partiel est une tendance lourde, surtout chez les jeunes, qu’il serait illusoire de chercher à inverser, d’autant que beaucoup de médecins abandonnent la profession parce qu’ils estiment ne plus avoir assez de temps pour leur vie personnelle. Il est néanmoins possible de mieux gérer l’activité des médecins en l’adaptant à chaque groupe de patients et de pathologies, affirme l’Ordre, qui se base pour cela sur un logiciel de calcul développé en 2018 par le syndicat des anesthésistes et la Société de médecine de soins intensifs, destiné à optimiser le temps de présence des médecins pour compenser leur nombre insuffisant.
Le Marburger Bund, qui réunit médecins hospitaliers et salariés, et constitue, avec 131 000 membres, le plus grand syndicat de médecins d’Europe, s’est enthousiasmé pour le projet et en a conçu une version adaptable à l’ensemble des spécialités médicales. Selon sa présidente, le Dr Susanne Johna, ce logiciel révolutionne le fonctionnement interne des services, en anticipant de manière beaucoup plus précise qu’avec les systèmes existants les besoins médicaux exacts de chaque unité. De plus, poursuit-elle, cet outil, adossé à des fichiers Excel, intègre une centaine d’activités non médicales auxquelles les médecins ne peuvent toutefois pas se soustraire comme par exemple, pour un chef de service, le fait de participer à l’élaboration de nouveaux locaux.
Le Marburger Bund souhaite donc non seulement généraliser cet instrument à l’hôpital, mais aussi l’élargir aux soins ambulatoires non hospitaliers, voire même à la médecine libérale. Les médecins hospitaliers représentant une grosse moitié du corps médical allemand, ils ont obtenu de l’Ordre qu’il ouvre, de manière expérimentale, le dispositif à l’ensemble du corps médical. Selon ses partisans, la mise en adéquation des disponibilités médicales et des besoins réels limitera les conséquences de la crise démographique, même si ce système ne remplace pas la mise en place d’autres mesures à moyen terme.
Toutefois, les médecins libéraux et leurs syndicats sont, eux, nettement plus réservés, et beaucoup voient dans cet outil un instrument de contrôle supplémentaire… surtout si les médecins doivent en confier le fonctionnement aux administrateurs. « Génial » pour les uns, « inadapté » à la médecine de ville pour les autres, le logiciel des anesthésistes n’a pas fini de faire parler de lui bien au-delà des murs de l’hôpital.
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