« D’un point de vue médical, un accouchement, il n’y a pas de mystère. Le bébé finit toujours par sortir », lance Isabelle Fruchart, devant la dizaine de femmes (et le compagnon de l’une d’elle !) venues ce samedi d’avril, au dernier atelier d’écriture du CALM, la maison de naissance adossée aux Bluets. Les jeunes mères et la sage-femme acquiescent d’un rire sonore. Pourtant, toutes sont réunies pour tenter de saisir, avec leurs mots et leurs histoires, le mystère de l’accouchement et l’expérience vécue de la mise au monde.
Assis sur des canapés, adossés à des poufs, attablés devant une tasse de thé ou café, un œil sur leur progéniture éveillée (la maison de naissance « comme à la maison » porte bien son nom), les participant(e)s partagent leur récit. Avec humour, lorsqu’il s’agit de décrire les effets laxatifs de l’huile de ricin. Les pensées impromptues qui fusent alors que la jeune femme ne réalise pas qu’elle est sur le point d’accoucher (se laver les cheveux, manger le gâteau au chocolat). Ou l’embarras du futur père face au gang des sages-femmes, qu’il tente de calmer en rangeant des feutres selon les couleurs de l’arc-en-ciel.
Avec émotion, lorsque l’écriture de la fille devenue mère renoue des liens qu’un cancer et la mort ont coupés entre la grand-mère et ses petits enfants, ou que sourd en filigrane le trop-plein d’amour face au « petit géant » qui vient de naître.
Et avec authenticité, lorsque pointe l’animalité, et que triomphe le lâcher prise. « Je suis animal. Puissante et vulnérable. Ma tête est coupée. Je ne suis qu’un corps », lis Alice. « Je suis femme animale. Maintenant je sais que je sais », raconte Marie, qui a réussi à vaincre l’angoisse de ne pas arriver à accoucher.
Animalité et sensation
L’animalité de l’accouchement est l’un des fils qu’Isabelle Fruchard a tiré de ces récits, incitant leurs auteurs à l’approfondir. C’est aussi ce qu’elle a cherché dans une lecture critique des récits d’enfantement en littérature – et qui nourrit son essai « Mise au monde, l’enfantement en littérature », qui paraît à l’occasion de la semaine mondiale de l’accouchement respecté (SMAR), du 16 au 20 mai.
« Dans la majorité des textes littéraires, l’animalité n’est pas assumée, d’où la souffrance », a-t-elle constaté en lisant une centaine de récits d’accouchement, du XIXe (Zola, Maupassant, Tolstoi) à nos jours. Quelques récits font exception : Parole de femmes, d’Annie Leclerc (« elle transcende la difficulté. Elle dit : ils ne m’auront pas »), Agnès Desarthe (« elle est sensorielle, dans le corps, elle ne juge pas. Elle ne prend pas la péridurale et récuse le médecin »), Marie Darrieussecq, Marie Desplechin, Camille Laurens, Julie Bonnie (« une chanteuse de rock devenue auxiliaire de puéricultture ») ou encore Denis Marquet (« Dans "père", il dit : ce que j’ai éprouvé est au-delà du goût et du dégoût, la vie elle-même qui se donne et ne demande pas mon avis »).
« Ce qui m’intéresse n’est ni la plainte larmoyante ni l’écriture avec la tête. Ce qui me touche, c’est d’être dans le corps », explique Isabelle Fruchart.
Et les médecins ?
Le blason du médecin n’est guère redoré. « Aucun auteur n’est content de comment cela se passe à l’hôpital. Mais tous sont dans la résignation ». Seul trouve grâce aux yeux des écrivains le médecin avant l’hôpital. « Dans "La joie de vivre" de Zola, l’enfant apparaît par l’épaule. Le médecin est attendu comme le Messie, et il sauve la mère et l’enfant ». « Le médecin ne saurait mieux faire qu’en étant en retrait, dans l’humilité face au corps qui en sait plus que lui ; sauf en cas de problème bien sûr », dit Isabelle Fruchart.
Sa démarche se veut artistique avant d’être militante, même si l'auteure s’indigne du fait « que trop souvent, on impose la péridurale, comme une manière de mettre la femme sous cloche, on dit à la femme : « allongez-vous, vous ne sentirez plus rien, je m’occupe de tout », sans qu’elle ait vraiment le choix ».
Le choix du CALM – où une sage-femme assure le suivi complet d’une grossesse, sans intervention d’un médecin – pour écrire sa pièce « tu enfanteras » s'est imposé comme une évidence. « Au CALM, vous accouchez sans médecin, dans une chambre mais vous êtes préparée, 2 heures par mois, et pas vingt minutes, avec des cours de yoga… C’est un endroit inspirant, au plus proche d'un acte auquel on a rarement accès », conclut-elle.
La SMAR : 17 mai à 19 heures, table ronde « Mon corps, mon bébé, ma décision » avec Catherine Dolto à l'hôpital Trousseau.19 mai à 19 heures, soirée « raconter l’enfantement », en clôture de la résidence d’écriture d’Isabelle Fruchart en présence de la romancière Agnès Desarthe. smar@mdncalm.org
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