LE QUOTIDIEN : Vous êtes, avec le Pr Régis Aubry et la représentante des patients Camille Thérond-Charles, « garants » du CNR santé. En quoi consiste votre rôle ?
Dr PHILIPPE DENORMANDIE : Nous sommes là, comme notre nom l’indique, pour garantir le fait que l’ambition définie par le ministre de la Santé dans la feuille de route du CNR soit respectée. Nous serons notamment particulièrement vigilants à trois critères : que toutes les parties prenantes aient bien participé, que les conclusions émergent du terrain, et non d’en haut, et enfin que l’on s’attache à répondre aux besoins des populations, au lieu de s’inscrire dans une approche fondée sur l’offre de soins qui a trop souvent prévalu par le passé. Lors des réunions que nous aurons avec le ministre de la Santé et les différents chefs de projet, nous allons donc veiller à ce que tout ce qui sera dit se traduise très concrètement : nous ne sommes pas là pour amuser la galerie, ou pour faire une 22e concertation sur l’accès aux soins.
Comment, concrètement, allez-vous travailler ?
Le ministre de la Santé a prévu de faire des points très réguliers, au moins une fois par mois. Cela permettra de faire la synthèse de ce qui aura été dit dans lors des débats organisés dans les différents territoires, afin d’en faire l’analyse la plus objective, la plus éthique possible. J’insiste sur le fait que nous voulons mettre tout le monde autour de la table : il faut donc inclure le sanitaire ; mais aussi le médico-social, les représentants des usagers, les collectivités locales… Le tout sera coordonné par les ARS [Agences régionales de santé, ndlr] en lien étroit avec les préfectures, les caisses d’Assurance maladie; et ce sont eux qui verront quelle est la meilleure façon d’organiser les débats dans leur territoire, que ce soit à l’échelle du département, de plusieurs départements, ou au niveau infra-départemental… Et je trouve que c’est une bonne nouvelle : on en est enfin arrivés à la conclusion que tous les territoires ne sont pas tous les mêmes.
Quels seront les objectifs de ces discussions ?
Il s’agira de répondre aux priorités qui ont été fixées dans la feuille de route : comment donner à chacun accès à une équipe traitante (et non pas uniquement à un médecin traitant), comment garantir une réponse aux soins non programmés, comment rendre les territoires plus attractifs pour les soignants, c’est-à-dire pour les médecins, mais aussi pour les auxiliaires de vie, les aides-soignants, les infirmiers, les personnels administratifs et techniques, etc., et enfin comment mettre en œuvre des actions concrètes dans le champ de la prévention.
Quel sera votre calendrier ?
Les discussions sur le terrain vont avoir lieu jusqu’en janvier, et des groupes de travail transversaux travailleront jusqu’en mars. Il faudra ensuite digérer tout cela; c’est pour cela que nous ne devons pas perdre de temps.
Que se passera-t-il si vous, garants, constatez que les discussions s’éloignent de la feuille de route ?
Je crois que si nous avons été choisis, ce n’est pas pour dire que tout va bien dans le meilleur des mondes : nous avons tous les trois la réputation de savoir dire non si nous ne sommes pas d’accord. Bien sûr, nous sommes là pour le faire de manière constructive, collective : pour moi, être garant, c’est être capable de dire clairement si les choses vont bien, ou s’il y a des points à améliorer.
Vous nous avez dit ne pas être là pour faire une 22e concertation sur le sujet, mais en quoi celle-ci peut-elle faire mieux que les 21 précédentes ?
Je constate que c’est la première fois qu’il y a une vraie volonté, dans les territoires, de mettre tout le monde autour de la table : pas uniquement les professionnels de santé et les institutions. C’est vraiment une nouveauté, notamment parce qu’il y a cette présence des patients, des élus… Ce sont trop souvent les soignants qui ont répondu pour tout le monde à la question de la manière de répondre aux besoins. Par ailleurs, nous sommes aujourd'hui dans une situation de tension telle qu’on n’en a jamais connue, tous secteurs confondus. Nous en sommes arrivés à un tel niveau qu’on n’a pas d’autre choix que de faire sauter des barrières qu’on ne pouvait pas imaginer faire sauter auparavant… Je pense qu’il y aura des avancées parce qu’il y a des contraintes, or les contraintes, c’est ce qui nous rend tous plus intelligents.
Des exercices précédents de concertation, comme la convention citoyenne pour le climat, ont donné lieu à des déceptions, les mesures issues des discussions ayant été largement édulcorées par l’exécutif. Pensez-vous pouvoir éviter cet écueil ?
Je pense que la santé, comme le climat, sont deux priorités fortes, mais les problèmes liés à la santé sont perçus dans la vie quotidienne de manière plus prégnante, plus immédiate que ceux qui sont liés au climat. Ils se traduisent par le fait de ne pas parvenir à avoir un rendez-vous, de devoir attendre, de voir son intervention déprogrammée. Il est bien sûr également primordial d’agir sur le climat, mais on ne peut que constater que la pression sociétale est plus forte pour la santé. Par ailleurs, on a sur le CNR « santé » un ministre qui a une feuille de route claire, qui a autour de lui une communauté de gens qui ont envie que ça bouge, et qui portera ce sujet jusqu’au bout.
Comment les mesures qui seront préconisées dans le CNR seront-elles traduites dans la législation ?
C’est quelque chose qui est davantage de la responsabilité du ministère et des parlementaires, mais ce qui est certain, c’est que ce travail est mis en œuvre en lien étroit avec l’ensemble des directions du ministère de la Santé, et qu’il y a une volonté ferme de voir ces discussions se transformer en action, par exemple dans le prochain PLFSS [Projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ndlr]. Mais ce qui me frappe, c’est que tout ne relève pas de nouveaux textes législatifs. Beaucoup de possibilités qui existent dans les textes actuels ne sont pas forcément connues et utilisées. Certains endroits ont su créer des espaces de liberté que l’on pourrait utiliser ailleurs. Je pense notamment à certains hôpitaux comme le CH de Valenciennes, dont on parle fréquemment. L’idée est donc aussi de récupérer les solutions imaginatives qui peuvent exister dans tel ou tel territoire, et de les faire connaître aux voisins.
Comment espérez-vous arriver à un consensus sur des questions potentiellement très conflictuelles comme, au hasard, les restrictions à la liberté d’installation des médecins ?
Vous partez d’un a priori en disant ces questions ne feront pas consensus. Je n’en suis pas aussi sûr que vous. Attendons de voir ce qui ressort des discussions dans les territoires, les gens peuvent tout à fait conclure qu’il est nécessaire de prendre la question de l’attractivité des médecins autrement que par les restrictions à la liberté d’installation.
Pourtant, de nombreuses associations de patients, de nombreux élus, dont vous vous réjouissez qu’ils participent au CNR, se sont déjà prononcés pour ce que les médecins appellent la « coercition »…
Attendez que les gens travaillent ensemble ! Bien sûr, si chacun travaille de façon verticale, chacun de son côté, il sera difficile de parvenir à un consensus. Mais si on prend les choses au niveau local, et horizontal, l’approche sera différente. Cela étant dit, si certains sujets nécessitent des arbitrages politiques, le politique arbitrera !
Ne pensez-vous pas que le CNR court-circuite en quelque sorte le travail des parlementaires, chargés de délibérer et d’élaborer les réformes ?
Non, s’il doit y avoir des textes législatifs, ils seront évidemment discutés par les parlementaires. Et j’insiste sur le fait que les élus joueront un rôle clé lors des concertations. On a d’ailleurs bien vu, lors du lancement du CNR au Mans, que les députés, les maires, etc., étaient présents et comptaient peser.
Quels seront les critères qui vous permettront de dire si le CNR a réussi ou échoué dans sa mission ?
Nous verrons bien si les indicateurs qui ont été définis sont atteints, si nous avons réussi à faire bouger les lignes sur la question de l’accès à l’équipe traitante, de l’accès aux soins non programmés, de l’attractivité, de la prévention… Nous, professionnels de santé, passons notre temps à être évalués, et il faut qu’on ait la même logique dans le cadre du CNR !
* Ac tionnaire de GPS (Groupe profession santé) dont fait partie Le Quotidien du Médecin
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