LE QUOTIDIEN : Comment avez-vous accueilli le 4e plan national santé environnement, dévoilé en mai ?
DR PIERRE SOUVET : Comme d'habitude, il y a de bonnes intentions
mais les moyens financiers nécessaires ne sont pas clairement identifiés. C'est le cas pour la formation des soignants, proposée depuis 2004, lors du premier PNSE ! Nous avions demandé un acte fort, rendre cette formation obligatoire dans le cursus initial, mais il n'y a toujours rien en ce sens. C'est incompréhensible.
Il faudrait aussi mettre le paquet sur la formation continue. Il est indispensable que les médecins, qui sont de véritables relais auprès de la population pour la prévention des facteurs de risques, maîtrisent ces notions. Il existe des facteurs individuels d'un côté comme l'alcool ou le tabac, mais aussi tous les risques collectifs non souhaités : l'exposition à la pollution de l'air, aux perturbateurs endocriniens… Dans le cadre de l'URPS PACA, nous avons fait un sondage auprès des médecins pour savoir s'ils étaient capables de répondre aux patients sur ces risques ; la réponse était non à une large majorité. Or, il est important de bien maîtriser ces connaissances pour donner des conseils de prévention.
Par exemple ?
Dernièrement, une patiente de 35 ans m'a consulté dans le cadre d'une chimiothérapie pour un cancer du sein. Je l'ai questionnée sur ses habitudes alimentaires. La jeune femme m'a expliqué qu'elle consomme souvent de l'espadon. Or, ce poisson prédateur est riche en mercure et en PCB, des substances cancérigènes favorisant les métastases. Je lui ai recommandé de ne plus prendre ce poisson et de préférer le maquereau, les sardines, des poissons moins contaminés. Voilà un conseil simple que les médecins formés peuvent délivrer à leurs patients.
L'une des mesures du plan est la mise en place d'une plateforme collaborative « Green data for Health » afin de croiser les données de santé et les données environnementales. À quoi servira-t-elle ?
C'est une mesure importante. Mais comment fait-on pour alimenter ce Green data ? Aujourd'hui, il manque des données sanitaires claires. Par exemple, sur la pollution de l'air, Santé publique France parle de 48 000 morts par an, la société européenne de cardiologie de 67 000 décès et une étude récente de Harvard… de 96 000.
Nous avons demandé d'avoir des registres de cancers territoriaux pour connaître la situation sanitaire exacte autour de la zone de l'étang de Berre, hyperindustrialisée, ou autour d'autres zones urbaines. Aujourd'hui, nous avons quelques registres insuffisants et nous souhaitons qu'ils soient territorialisés pour prévenir l'émergence de clusters tels que ceux de cancers pédiatriques ou de malformations néonatales. Or, on nous explique qu'il n'est pas possible d'avoir des registres infradépartementaux. C'est un comble ! J'ai par exemple retrouvé sur le site de l'Institut de cancérologie de Rennes, canton par canton, les données concernant la mortalité par cancer de l'œsophage en 1966 sur les quatre départements bretons… C'est dommage car tous ces registres pourraient servir d'outil d'alerte. Un exemple : pour réduire le taux de particules fines dans l'air, les villes de Tokyo et Osaka ont interdit l'utilisation du diesel en 2000. Cette action a permis de réduire la mortalité cardiovasculaire de 11 %, la mortalité pulmonaire de 22 % et les cancers de 6 %. Aucun médicament n'est capable de faire cela.
La prescription médicale a-t-elle un impact sur l'environnement ?
Toute activité médicale a un impact sur l'environnement. Dans le cabinet de ville ou à l'hôpital, nous devons réfléchir à la rénovation des locaux, la gestion des déchets médicaux, l'utilisation des papiers, des produits jetables et, bien entendu, à la prescription qui a une conséquence forte en termes de résidus médicamenteux dans l'eau. Là aussi, il y a une action de sensibilisation, d'information et de formation des prescripteurs.
Les Suédois ont créé dès 2007 l'indice PBT (Persistance, Bioaccumulation et Toxicité, NDLR) pour classer les médicaments à qualité égale, selon leur niveau de risque pour l'environnement. C'est une démarche pionnière qui reste à valider. Comme l'Académie de pharmacie, nous réclamons que l'impact des métabolites d'un médicament sur l'environnement soit étudié et introduit dans l'autorisation de mise sur le marché (AMM). Aujourd'hui, seul l'impact du principe actif sur l'environnement est mentionné.
Que proposez-vous pour aider ou mieux former les médecins ?
Aujourd'hui, les étudiants et les internes, voire le syndicat Jeunes médecins, sont très motivés. Ils nous demandent de les former sur la pollution de l'air, les perturbateurs endocriniens, les pesticides, les nanoparticules, le réchauffement climatique... Pour les aider, l'association a par exemple publié un guide intitulé « Comment protéger mes patients de la contamination chimique et des perturbateurs endocriniens », réalisé en partenariat avec l'URPS PACA.
Pour le grand public, nous allons lancer une appli « Bulle 1000 jours », élaborée avec les Unions régionales médecins et sages-femmes de PACA. Ces outils sont gratuits et à disposition de tous. Je trouve dommage qu'ils ne soient pas utilisés par les institutionnels qui vont travailler dans leur coin pour développer le même type d'outils.
La création d'une consultation de prévention en santé environnementale est-elle une solution ?
Oui, elle pourrait être prévue à des moments clés de la vie – à l'adolescence, à la préconception. Mais au fond, je pense que cette sensibilisation devrait être intégrée dans la consultation habituelle. Le généraliste, la sage-femme, bien formés sur les questions de santé environnementale, peuvent distiller leurs conseils lors d'un rendez-vous classique. Bien entendu, il faudrait revaloriser l'acte pour organiser cette prévention dans de bonnes conditions. Il faudrait probablement arrêter les forfaits médecin traitant, personnes âgées ou « informatique » pour augmenter la consultation.
Le cabinet médical vert est-il une utopie ? Concrètement, que faites-vous dans votre pratique quotidienne ?
Le cabinet médical vert n'est pas une utopie. Depuis quinze ans, j'ai une voiture hybride, mes déchets médicaux sont triés. Je me préoccupe des ondes magnétiques. J'ai demandé à mes secrétaires d'utiliser plutôt le téléphone filaire que le sans-fil pour être moins exposées. J'essaie d'optimiser mes déplacements pour rouler le moins possible et je fais attention à mes prescriptions. Comme je demande systématiquement aux patients de ramener leurs médicaments non utilisés dans les pharmacies, j'ai fabriqué un tampon à cet effet que j'appose sur l'ordonnance comme une prescription. Je pense que ce geste écocitoyen devrait être préinscrit sur nos ordonnances.
Dans son dernier livre « Les écolos nous mentent ! », l'économiste Jean de Kervasdoué, fustige l'écologie politique qui agite les peurs. Qu'en pensez-vous ?
Agiter les peurs est contreproductif. Chacun est libre de ne pas croire aux changements climatiques, aux risques environnementaux sur la santé. Il est certain que les problématiques ne sont les mêmes à tel ou tel endroit. Mais je suis un scientifique et j'ai assez d'arguments pour penser qu'il va y avoir des soucis.
Je suis inquiet pour l'avenir de nos enfants mais je ne baisse pas les bras. Nous souhaitons moins de soins et plus de prévention. Hélas, je constate que les mentalités de nos dirigeants n'ont pas assez changé. Ils veulent toujours centrer la politique de santé sur le soin, en considérant que la prévention coûte cher. Mais, il faut chiffrer le coût de l'inaction ! Un rapport d'enquête du Sénat de 2015 a estimé à 100 milliards d'euros chaque année les dépenses liées à la pollution de l'air. En évaluant ces dépenses, on s'apercevra que l'inaction coûte beaucoup plus cher qu'en mettant un peu plus d'argent sur les actions de prévention.
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