L'onde de choc du scandale Orpea, révélé par le livre-enquête « Les Fossoyeurs », n'en finit pas de produire ses secousses. Après les premières annonces du gouvernement mardi, qui a promis des contrôles systématiques des Ehpad sous deux ans, des députés experts de la commission des affaires sociales ont rendu publics les résultats de deux « missions flash » (en 15 jours !) lancées, d'une part, pour améliorer les conditions de travail en Ehpad et, d'autre part, pour réformer leur gestion financière.
« Les conditions de travail portent sur un diagnostic évident : nous manquons d'effectifs pour soigner et prendre soin des résidents dans les Ehpad », a cadré d'emblée devant la presse le député LREM Didier Martin, neuroradiologue, un des trois corapporteurs de la première mission ad hoc, avec Marine Brenier (LR) et Cyrille Isaac-Sibille (Modem), ORL de formation.
Des créations de postes contre la maltraitance institutionnelle
Même si 10 000 postes de soignants dans les Ehpad ont été créés sous ce quinquennat, la proposition phare des députés cible donc les ressources humaines : elle consiste à définir un « ratio minimal opposable » par résident de personnels (exprimé en ETP) « au chevet » des personnes âgées (infirmières et aides-soignantes).
Les députés n'avancent pas de chiffre précis pour ce ratio idéal mais rappellent les enjeux. « Le taux d’encadrement des résidents s’avère trop faible, dans le secteur privé commercial plus que dans le secteur public, pour garantir une prise en charge de qualité », pointe le rapport. En 2018, ce taux d’encadrement médian s’élevait à 63 équivalents temps plein (ETP) pour 100 résidents (0,63) tous personnels confondus (soignants et administratifs). Et pour les seuls soignants, le taux moyen d’encadrement en Ehpad chute à 31 ETP pour 100 résidents… Une « spirale négative » qui induit « glissement des tâches », « burn out » des personnels et finalement « maltraitance institutionnelle », a expliqué Caroline Janvier, députée (LREM) et corapporteure sur la deuxième mission flash (gestion). Il convient en particulier de veiller à ce que soit « garantie la présence des personnels en nombre suffisant aux moments clés de la journée » (lever, toilette, repas, coucher), peut-on lire.
Prime grand âge, campagne de com' sur les métiers
Sur la lancée du Ségur de 2020, le rapport conclut donc à un indispensable « effort en faveur des recrutements » mais aussi à la nécessité de poursuivre la « hausse des rémunérations » des soignants au regard « des exigences inhérentes à leurs fonctions ». La mission recommande de faire bénéficier les personnels des Ehpad d’une revalorisation « spécifique au grand âge » dans le prolongement des actions engagées depuis 2020. Autres recos : des aides au logement (attribution facilitée de logements sociaux à proximité du lieu de travail) et augmentation des indemnités de résidence. Une (nouvelle) campagne nationale de communication valorisant les métiers du « grand âge » serait bienvenue, souligne la mission.
Pour fluidifier et valoriser les carrières, il serait également utile de simplifier le processus de validation des acquis de l’expérience (VAE), de favoriser les passerelles entre les cursus et d'augmenter « significativement les formations d’aide-soignant et d’infirmier ».
Parce que de nombreuses dérives sont constatées, les députés souhaitent aussi « réglementer le glissement de fonctions » en prévoyant « explicitement les délégations de tâches autorisées » et en introduisant une analyse globale des contrats de travail au sein d’un même établissement pour chaque section de financement (soins, dépendance, hébergement).
Médecins coordonnateurs : enrayer la pénurie
Pour enrayer la « pénurie » de médecins coordonnateurs – près de 30 % des Ehpad n'en disposent toujours pas –, la mission propose à la fois de mieux les rémunérer (« comme un PH », avance le député LREM Cyrille Isaac-Sibille) et de renforcer leur rôle avec deux mesures : rendre leur avis « contraignant lors de l’admission de nouveaux résidents » et créer un service de « médecin coordonnateur d’astreinte » (permettant aux autres de prendre plus facilement leurs congés).
Côté direction et management, les parlementaires jugent nécessaire d'intégrer un « volet médico-social obligatoire » à la formation des directeurs d’établissements.
Fusionner les forfaits soins et dépendance
Le second rapport (gestion financière) préconise une panoplie de mesures visant à renforcer la transparence et le contrôle des comptes des quelque 7 500 Ehpad et des groupes auxquels ils appartiennent.
Afin de clarifier la tuyauterie comptable actuelle, d'une extrême complexité, la mission recommande de « fusionner » le forfait « soins » (financé par l’Assurance-maladie via les agences régionales de santé, qui sert à payer les salaires des personnels soignants et le matériel médical) et le forfait « dépendance » (financé majoritairement par les conseils départementaux au titre de l’aide personnalisée à l’autonomie – APA).
Sur le fond, la mission suggère ensuite l'obligation de réinvestir les remises sur les achats auprès des fournisseurs – une des révélations du livre « Les Fossoyeurs » – dans l'amélioration de la prise en charge des résidents.
Mais au-delà, c'est l'opacité du « business du grand âge » qui est questionnée. C'est pourquoi les députés veulent rendre transparente « la totalité des comptes de tous les Ehpad » (commerciaux mais aussi publics et associatifs) et, le cas échéant, des groupes auxquels ils appartiennent, « sans que ceux-ci ne puissent faire valoir le secret des affaires ».
La mission appelle aussi de ses vœux une « régulation des tarifs d’hébergement » en tenant compte par exemple du niveau de vie des retraités ou de la localisation géographique, et le cas échéant « en fixant un tarif plafond » (alors que les prix d'hébergement sont libres). Elle souhaite par ailleurs interdire les dispositifs de défiscalisation pour les investissements dans les Ehpad.
Nourrir la future loi grand âge ?
Les députés suggèrent enfin d'« engager la réflexion » sur deux sujets sensibles : l’opportunité de suspendre la délivrance de nouvelles autorisations à des Ehpad commerciaux ; et même la pertinence du modèle des Ehpad à but lucratif dans la prise en charge des personnes âgées. Le député communiste Pierre Dharréville, co-rapporteur, n'a pas manqué de dénoncer ce mercredi la « logique de privatisation et de marchandisation » du secteur.
Annoncées en toute fin de travaux du Parlement, ces propositions ont, selon les députés, vocation à enrichir… un futur projet de loi sur le grand âge, désormais unanimement réclamé.
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