LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : La crise actuelle, était-ce un scénario imaginable ?
Dr ÉLISABETH HUBERT : Ce sont des scénarios sur lesquels le ministère de la Défense a travaillé, au même titre que sur d'autres catastrophes du monde moderne. Cela dit, l’époque incite à beaucoup d’humilité. Pouvait-on imaginer une crise d’une telle ampleur et d'une telle intensité dans une société de l’information comme la nôtre avec des avancées technologiques qui révolutionnent nos approches du soin ? Ceux qui le prétendent sont des donneurs de leçons ! Il y a seulement un mois, je ne pensais pas que cela prendrait ces proportions.
Le gouvernement a-t-il assez anticipé les événements et pris les bonnes décisions au bon moment ?
Aujourd’hui les choses sont claires : la France ne disposait pas de dispositifs de protection et de test en suffisantes quantités. L'heure viendra de juger si on a perdu du temps. Cela s'améliore, mais on en manque encore ; heureusement, on a des industriels compétents et réactifs. Et l’inquiétude étant générale, tout le monde — personnel de santé, population — voudrait être équipé de masques.
Pour le reste, ce serait indigne de jeter la pierre à des gens qui font ce qu’ils peuvent, du mieux possible. Pour bien connaître l’administration française, je suis contente qu’elle entende qu’il faut assouplir textes et procédures et qu'elle soit réactive. Il y a une bonne impulsion. Olivier Véran se débrouille très bien. Il a le bon ton, la bonne démarche, la bonne posture. Il est au front.
Avez-vous l'impression que la capacité d'intervention du ministère de la Santé en cas de crise s'est améliorée depuis l'époque où vous étiez ministre ?
On n’a jamais connu un tel degré d’infestation avec un virus aussi virulent. Nous sommes dans une démocratie. Il y aura des commissions d’enquête pour dire si la conduite a été la bonne. Qu’on fasse ces retours d’expérience. Qu'on en tire de nouvelles conduites. Mais sans polémique stérile.
S'il fallait avancer une idée pour améliorer la stratégie actuelle, laquelle vous viendrait à l’esprit ?
Ma seule idée est de faire en sorte qu’on fasse au mieux face à une situation catastrophique, notamment dans les EHPAD, avec une situation médicale très délicate à gérer quand le virus fuse dans ces établissements et une situation sociale douloureuse, des personnes âgées qui vont mourir seules, sans leur famille. C’est mon boulot au quotidien. Alors, dans ce contexte, ma seule idée c'est d'agir au mieux pour les malades…
Quelles leçons tirez-vous des crises que vous avez vécues lorsque vous étiez ministre ?
Mon arrivée avenue de Ségur a coïncidé avec le début de la crise de l’amiante, à peine 24 heures après ma nomination, alors que mon cabinet n’était pas encore nommé ! Heureusement, je venais d’une région où, avec les chantiers navals, en tant que médecin, j’avais vu des patients mourir de mésothéliomes et souffrir d’asbestose.
En quelques mois, nous avons pris des décisions et modifié des textes. Il y avait une forte pression de l’opinion et de la presse, mais à l’époque pas encore le poids des réseaux sociaux… C’est pour cela que, 25 ans plus tard, je me garde bien de donner des leçons et je suis empreinte de compassion et d’empathie à l’égard de ceux qui gèrent cette crise sanitaire.
Comment vivez-vous la crise dans le secteur de l’hospitalisation à domicile en tant que présidente de la FNEHAD ?
Tous les jours, je suis les mains dans le cambouis et mon quotidien c'est le problème des masques, des tests, du recrutement, de l’absentéisme… Mon rôle, c'est d'aider les établissements d'HAD à être dans les conditions maximales d'efficacité.
Avec la crise, le secteur est mieux identifié par les acteurs de santé, mais il faut veiller à rester dans notre secteur de compétences. Dans cette période, l’HAD apporte de multiples services. D’abord, celui habituel de l'HAD, de réalisation de soins complexes pour des patients qui seraient sinon à l’hôpital. Ensuite, nous commençons à être sollicités pour des malades Covid-19, pas assez graves pour être à l hôpital mais à surveiller car souffrant d'autres pathologies qui, cumulées à l'infection, les mettent en danger de décompensation brutale.
Enfin, nous allons être encore plus présents que d'habitude en EHPAD en particulier pour les soins palliatifs et aussi pour délivrer aides et conseils à des structures trop souvent démunies en infirmiers et médecins.
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