Rencontré ce jeudi lors d'une manifestation des soignants parisiens en psychiatrie à l'hôpital Sainte-Anne, François Ruffin détaille au « Quotidien » les raisons de son engagement en faveur de la psychiatrie publique. « Les psychiatres sont devenus des techniciens hypercompétents, qui exercent au cœur d'une crise invisible, une crise du lien social, de la parole et de la relation. Le tout dans des conditions de travail catastrophiques », déplore le député La France insoumise (LFI) de la Somme.
LE QUOTIDIEN : Pourquoi avez-vous fait de la défense de la psychiatrie publique un de vos chevaux de bataille ?
FRANÇOIS RUFFIN : C'est un engagement de campagne pris l'année dernière en mangeant une merguez avec les soignants de l'hôpital psychiatrique Philippe Pinel d'Amiens. Je leur ai promis de revenir si j'étais élu député. Depuis, j'ai rencontré soignants, cadres hospitaliers, psychiatres, direction, tutelle… Avec quatre services fermés en quatre ans, la situation d'Amiens est catastrophique. 12 psychiatres sont sur le départ. En ayant cette réalité sous les yeux, je ne pouvais que m'engager sur ce dossier. J'étais aussi en début de mandature. La psychiatrie a bénéficié, en termes d'agenda, d'un ciel qui était encore assez dégagé.
Le Parlement entamera la lecture du budget de la Sécu (PLFSS) le 23 octobre, juste après la présentation de la réforme du système de santé et de l'hôpital. Allez-vous vous mobiliser ?
C'est une évidence. La psychiatrie est maltraitée en France. On va proposer une série d'amendements en espérant les faire signer par des élus de tous bords politiques, comme nous l'avons fait avec notre proposition de loi sur le financement de l'hôpital psychiatrique [qui réclamait d’indexer la dotation aux établissements psychiatriques sur le budget des autres hôpitaux, NDLR], que seul le groupe LREM n'a pas signée.
L'enjeu est de générer un débat public. Mobiliser sur la psychiatrie, c'est compliqué. La maladie mentale réclame une énergie telle aux soignants qu'il ne leur en reste plus assez pour enclencher une lutte collective. Et il n'y a pas de psychiatrie dans la politique, car c'est un sujet qui ne rapporte pas de voix. À l’inverse, il n'y a plus de politique dans la psychiatrie. L'État peut donc maltraiter ce budget-là en toute tranquillité.
En début de mandature, Agnès Buzyn a fait de la santé mentale « une priorité ». Plus récemment, elle a dit vouloir « sanctuariser » les budgets. Y croyez-vous ?
Quand j'ai interpellé il y a un an la ministre de la Santé à l'Assemblée nationale sur les conséquences du manque de personnel – la contention et la privation de liberté non autorisées, des patients enfermés toute la journée sans certificats de médecins – sa réponse a été en substance la suivante : circulez, y a rien à voir.
Aujourd'hui, son discours a changé. Agnès Buzyn a conscience du problème. C'est normal : en un an, il y a eu des grèves au Rouvray (Rouen), au Havre et à Pinel (Amiens), relayées dans l'Hémicycle. Pour autant, personne ne propose de solutions. L'État n'a pas de projet pour la psychiatrie.
Les médecins et les soignants sont-ils responsables d'une forme de maltraitance ?
En psychiatrie, les soignants et les médecins doivent tirer la sonnette d'alarme : c'est leur responsabilité. Ils doivent raconter ce qu'il se passe sur la place publique.
Il faut venir au secours des soignants qui savent qu'ils sont maltraitants. Quand j'ai travaillé sur une proposition de loi sur le burn-out, j'ai pu constater leur souffrance en écoutant des agents de Pinel me raconter leur quotidien professionnel en larmes. Les soignants sont des miracles : ils choisissent de consacrer leur existence à des patients psychiatriques alors que l'institution ne leur donne pas les moyens de travailler correctement, de s'épanouir.
La psychiatrie est l'une des spécialités les plus confrontées à la pénurie médicale (28,7 % de postes vacants). Comment séduire les jeunes médecins ?
S'il y a un secteur de la médecine qui a trait à l'esprit, à la spiritualité, à la relation humaine, c'est précisément la psychiatrie. C'est séduisant. Or, on a vidé la discipline de tout cela. La psychiatrie est aujourd'hui une activité technique de délivrance de médicaments et de gardiennage. C'est un miroir grossissant de la société. Les psychiatres sont devenus des techniciens hypercompétents, qui exercent au cœur d'une crise invisible, une crise du lien social, de la parole et de la relation. Le tout dans des conditions de travail catastrophiques.
Il faut donc faire comme le psychiatre François Tosquelles (1912-1994), qui, après avoir fui l'Espagne franquiste, fonda à l'hôpital de Saint-Alban (Lozère) la psychothérapie institutionnelle : il faut casser les murs. Il faut réinventer la psychiatrie, lui insuffler de l'intelligence et de l'envie.
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