« Toutes les mesures de protection et de surveillance seront mises sur cette personne », a garanti le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas. Mais sans aucun avis médical. Aux mesures habituelles pour parer au risque suicidaire (cellules lisses, habits en papier, couvertures indéchirables), l’administration a ajouté pour le seul terroriste resté en vie après les attentats du 13 novembre une première : l’installation de deux caméras qui permettent de suivre Abdeslam 24 heures sur 24 dans sa cellule de 9 m² du quartier le plus sécurisé de Fleury-Mérogis.
L’administration n’a pas consulté le médecin-chef de Fleury au sujet des incidences d’un tel dispositif en termes de santé, alors qu’au sein des commissions pluridisciplinaires uniques (CPU), les personnels soignants rencontrent régulièrement leurs interlocuteurs pénitentiaires à propos des mesures de sécurité potentiellement nocives au plan psychique.
Toutefois, l’usage de la vidéo étant strictement encadré, la CNIL (Commission nationale informatique et libertés) a quant à elle été saisie. Son collège a statué jeudi dernier et son avis sera rendu public en même temps que l’arrêté qui paraîtra dans les prochains jours. « C’est un scandale, s’insurge le Dr Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, membre de l’Académie des technologies. Alors qu’on a perdu tellement de temps sur la déchéance de nationalité, les pouvoirs publics n’ont pas anticipé cette question en sollicitant plus tôt les instances chargées de protéger les personnes contre les utilisations abusives des technologies comme la vidéo. Le droit à l’intimité est un droit essentiel que l’on balaye dans le cas présent, quitte à ce qu’une mesure d’exception devienne une préconisation à long terme. Qu’adviendra-t-il dans le cas d’une peine de perpétuité réelle appliquée avec des caméras branchées en permanence ? C’est un châtiment pire que la peine de mort qui se profile insidieusement. »
Violation des droits humains
L’OIP (Observatoire international des prisons) n’est pas moins véhément. Il dénonce « une vidéo surveillance appliquée en dehors de tout cadre légal en violation des droits humains ». Et qui « renforce le risque de suicide qu’il entend combattre en fragilisant psychologiquement le détenu ».
La contrôleuse générale des prisons, Adeline Hazan ne statuant pas sur des cas particuliers, nous renvoie à l’avis rendu par son prédécesseur, en 2009 : « La vidéo surveillance appelle deux limites, celle liée à la technique, celle liée à l’homme. Si elle peut être tolérable pour tout citoyen sur la voie publique et dans les transports, il n’en est pas de même en prison lorsque l’objectif est fixé en permanence sur soi, dès que la personne effectue la moindre activité, y compris celle relevant de l’intime. La vidéosurveillance a alors pour effet de faire disparaître l’intimité, ce qui ne peut être accepté. N’atteint-on pas les limites de l’insupportable lorsqu’on doit vivre sous l’œil constant des caméras ? »
Pas de publication
Problématique en termes de respect des droits de l’homme, la question n’est pas documentée médicalement. Aucune publication américaine en particulier n’est disponible sur une question qui n’est pas posée aux Etats-Unis, les cellules étant munies de grilles qui permettent la surveillance directe des détenus. « Ne convoquons pas la science, alors que c’est l’éthique qui est en cause, estime pour sa part le Pr Michel Lejoyeux (Paris 7). Que son traitement carcéral fasse du mal à Abdeslam, c’est clair, mais un avis médical doit-il être obligatoirement rendu, alors qu’on n’a aucune étude comparative sur le sujet de la vidéo en prison ? »
Tous les médecins pénitentiaires contactés sont cependant défavorables au régime de mise sous surveillance vidéo permanente d’un détenu, fût-il d’exception comme Abdeslam. « L'argument de la prévention du suicide reste douteux, estime le Dr Michel David, président de l’association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire. Même avec les caméras, un passage à l’acte n’est pas impossible. Ou alors il faut maintenir les lumières allumées en permanence, procéder à des réveils réguliers et la violation de l’espace intime dont toute personne a besoin atteint un incontestable niveau de torture. »
Aucune UHSA n'a adopté la vidéo
Au demeurant, aucune des 9 UHSA (unité hospitalière spécialement aménagée, qui accueillent les détenus en soins psychiatriques) n’a adopté la vidéosurveillance dans les chambres, même pour les patients difficiles. « Pour les soins, c’est une solution à laquelle je m’oppose absolument, car c’est une culture qu’on ne connaît pas médicalement, explique le Dr Magalie Bodon-Bruzel, chef de pôle de l’UHSA Paul Guiraud. Après réflexion, nous avons choisi d’autres options comme les hublots. Les mesures prises par l'administration pour Abdeslam n’ont pas été concertées avec les médecins car elles relèvent de la sécurité. Elles sont contraignantes au plan psychique, la personne se sent certainement moins bien, nous pouvons le penser mais j’estime que mon rôle ne me permet pas d’aller plus loin dans la formulation d’un avis médical. »
Comme le confie un autre médecin pénitentiaire, « je suis prié de laisser mes opinions personnelles sur un tel sujet quand je pénètre dans l’établissement. »
« Il reste, souligne le Dr Bernard Lachaux, chef du pôle UMD Henri Colin, que si je n’ai mis en place aucune surveillance vidéo dans mon unité, c’est par respect pour l’intimité des personnes, un choix argumenté. »
« Le suicide d’Abdeslam qui le soustrairait à la recherche de la vérité et à la justice représenterait un cauchemar absolu, souligne le Dr Georges Salines, qui préside l'association des victimes du 13 novembre et de leurs proches. Pour autant, cette question de l’impact médical des moyens de surveillance vidéo me paraît légitime. La prison n’est pas faite pour torturer ou rendre malade. C’est une question éthique qui peut entraîner un problème médical et c’est cet aspect médical qui pose justement toute la question éthique. Mais beaucoup de membres de l’association ne partagent pas mon opinion, qui sont animés par la colère et le ressentiment. »
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