LE QUOTIDIEN DES LECTEURS

L’autre A perdu

Publié le 31/01/2012
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Bordeaux (33)

Dr Marc Gutierrez

Madame A est d’un naturel angoissé. Il est vrai que la vie ne l’a pas épargnée.

Née avant terme, elle serait d’une santé fragile, que ses 85 ans bien tapés ne lassent pas supposer. Je suis son troisième docteur, les deux précédents étant décédés prématurément ; par bonheur, je ne suis pas superstitieux…

Des études mal commencées – car elle a redoublé son CM2 puis a oublié de se réveiller le jour de l’épreuve du certificat d’étude – ne lui ont pas permis de développer le goût de la lecture.

Heureusement, il y a le journal télévisé qui rompt la monotonie d’une vie contemplative.

Docteur, c’est très grave, la France vient de perdre son triple A. Désormais privée de notre note maximale, nous allons subir un renchérissement du crédit avec nouveau dérapage de la charge de la dette.

Je me suis toujours incliné devant la foi du charbonnier, mais mon rôle de médecin traitant exige de positiver.

« Ne vous inquiétez pas madame, nous aussi nous avons perdu notre A. Mais il nous reste encore deux lettres – S et V – pour savourer notre vieillesse ».

La PPL Vigier, le Nouveau Centre et les autres

Paris (75)

Dr Gérard Noët (biologiste)

Notre confrère Pierre-Marie Giroux critique les mesures autoritaires de la PPL Vigier, affirmant que le haro sur les médecins est unanime (« le Quotidien » du 24 janvier). Effectivement, depuis quarante ans, les ministres de la Santé de tous bords ont sapé la médecine libérale sous le prétexte de combler le trou de la Sécurité sociale. Depuis maintenant six années consécutives, la nomenclature des actes de biologie médicale subit une baisse de 5 à 6 % l’an. Résultat : les biologistes vendent leur laboratoire à des groupes financiers qui construisent de gros plateaux techniques ; le tube prélevé le matin est techniqué l’après-midi, après un périple dans un véhicule ; et les résultats rendus le lendemain. Lorsque l’on sait que 70 % des diagnostics s’appuient sur des examens de biologie médicale, il est facile de prévoir qu’un médecin généraliste n’aura guère envie d’aller s’installer dans un endroit où il n’aura pas de plateau technique pour diagnostiquer ou surveiller ses traitements. Si l’on ajoute à cela, des rémunérations peu motivantes, des contraintes administratives ubuesques, et un numerus clausus mortifère, il devient compréhensible que les déserts médicaux gagnent les villes.

Tout cela avait été prévu en 1989 lors des grandes manifestations des professions de santé, une association Cassandre l’avait écrit. En 1989, Claude Evin était ministre de la santé, Jérôme Cahuzac et Didier Tabuteau ses conseillers. Est-il trop tard pour redresser la situation ? Non. Je pense qu’en postulant que le secteur économique de la santé est un secteur économique, certes non mercantile, producteur de richesses et non pas de dépenses comme cela a été martelé pendant des lustres par des politiciens, la France retrouvera la croissance. Alors investissons dans nos universités de médecine, pharmacie, mathématiques, sciences… Investissons dans notre recherche, formons des médecins, des pharmaciens, des ingénieurs. Encourageons les étudiants en leur garantissant des rémunérations à hauteur de leurs années d’études. Favorisons l’industrie pharmaceutique. Le gouvernement trouve de l’argent pour envoyer notre armée faire des guerres néocoloniales en Afghanistan, Libye, Côte d’Ivoire et bien d’autres pays africains. Dépensons cet argent pour la recherche médicale en particulier et pour la recherche en général, le retour sur investissement sera rapide et l’objectif plus noble.

PPL Vigier : réponse à M. Pierre Morel-A-L’Huissier

Thouare-sur-Loire (44)

Dr Daniel Geoffroy

Monsieur le député,

À propos de la PPL Vigier, vous avez écrit que « la médecine n’est plus libérale, elle est salariée de la Sécurité Sociale »... Vous avez une drôle de conception du salariat ! Venez passer une semaine (par exemple, pendant vos vacances parlementaires) dans un cabinet de médecin généraliste et vous verrez de quoi il retourne.

Oui, les médecins dépendent et dépendront de plus en plus de l’Assurance-maladie, parce que leurs syndicats, progressivement, les y emmenent... Mais que je sache, à ce jour, les médecins n’ont aucune attache salariale avec la Sécurité sociale ; d’ailleurs, si cette dernière n’existait pas, la population serait, malheureusement, toujours malade et elle serait bien obligée d’aller consulter les médecins et de leur payer ce que ces derniers considéreraient comme leur dû.

Oui, vous avez raison : parce qu’ils sont sans doute nombreux à en avoir assez des agressions de tout ordre, beaucoup de médecins accepteraient d’être salariés, et même à temps complet, c’est-à-dire 35 heures, s’ils devenaient enfin de « vrais » employés salariés avec, peut-être, certains devoirs, mais enfin et surtout, avec tellement d’avantages : ne travailler

que 35 heures/semaine, être payé, quoiqu’il arrive, à la fin de chaque

mois, sans avoir à se débattre avec de la paperasserie, avoir des congés

rémunérés, avoir un 13ème mois, rentrer chez soi dès 17 heures, et même

faire la grève et avoir le droit de manifester s’ils n’étaient pas contents

de leur employeur, etc, etc !...Merci, Mr le Député de m’avoir fait rêvé

un court et impossible instant!...

Aux naufrageurs de l’ASV…

Belfort (90)

Dr François Kienzler

Quelques faits disparates m’incitent à penser que le Dr Deseur (qui suggère que la convention a été signée en contrepartie d’avantages financiers) n’a pas tort.

Cet automne, un rapport parlementaire (mission Perruchot, après six mois de travail) sur le financement des syndicats a été enterré (avec fortes amendes prévues pour qui en divulguerait la teneur). Bel effort de vérité !

Si ce rapport était publié, y trouverait-on matière à suspecter une moindre combativité syndicale en rapport avec des avantages financiers ?

Un syndicat (la FMF) signe la convention pour « mieux la combattre de l’intérieur » (et non pour obtenir sa part de la manne…).

Une réforme du régime de retraite ASV qui entérine une baisse de 16 % de la valeur du point, gelé depuis 1999, avec maintien du gel à sa valeur abaissée, et en attendant une nouvelle diminution…

Cette belle arnaque est l’occasion de congratulations, félicitations, ovation au ministre signataire du décret (par le SML), et les naufrageurs de ce régime endossent dans la foulée, la brillante tenue du sauveteur…

Je comprends l’amertume du Dr Maudrux, président de la CARMF, qui depuis des années dénonce l’entourloupe et se retrouve bien seul à dire la vérité, à dénoncer une escroquerie qu’il est obligé de gérer, sans aucun pouvoir d’intervention.

La connivence État-Caisses-syndicats médicaux est-elle seulement faite d’amitiés et de compréhension réciproques, pour accepter, sans barguigner, la chute de 16 % de la valeur d’un point de régime de retraite ? Quelle profession, quel syndicat professionnel accepterait une telle spoliation d’un régime de retraite de ses mandants ?

La difficulté de la participation des caisses au financement de l’ASV augure à l’évidence des mêmes difficultés à venir pour la très merveilleuse et subtile mécanique du paiement à la performance ! Je me demande même si tout ou partie de ce paiement n’est pas assuré par les économies sur l’ASV, tour de passe-passe faisant financer « la performance » par la filouterie sur l’ASV ! Belle performance en effet !

Quelle désolation !

Lettre ouverte à M. Xavier Bertrand

Fontenay-le-Comte (85)

Drs Olivier Empinet et Jacques Legroux

Monsieur le ministre,

Nous voudrions vous interpeller, sur un sujet concernant l’organisation de la cancérologie, suite à la signature du décret n° 2007-388, du 21 mars 2007 (relatif aux conditions d’implantation applicables à l’activité de soins de traitement du cancer), ainsi que de l’arrêté du 29 mars 2007 (fixant les seuils d’activité minimale annuelle applicables à l’activité de soins de traitement du cancer et signé par vos soins), et de la circulaire DHOS/O/INCa N° 2008-101 du 26 mars 2008 (relative à la méthodologie de la mesure des seuils de certaines activités de soins de traitement du cancer).

Force est de constater que l’application de ces mesures retire à des chirurgiens confirmés la possibilité d’opérer certaines pathologies. Des médecins qualifiés sont considérés comme des fraudeurs puisque réalisant des actes non autorisés, et sont menacés du déremboursement de leur travail (récupération d’indus). Un chirurgien sans grande expérience est habilité à opérer, pourvu qu’il soit rattaché à un centre autorisé.

L’aspect qualitatif pour les patients est loin d’être évident. En conséquence, il est difficile pour les centres moins importants, dont nous faisons partie, de recruter, voire de conserver des chirurgiens. Nos centres risquent bel et bien de fermer si les mesures sont conservées en l’état. Les conséquences en matière d’aménagement du territoire risquent d’être catastrophiques pour les villes moyennes.

Est-ce bien là la volonté du législateur ? Nous ne manquerons pas d’informer la population ainsi que les élus.

Il paraît souhaitable de se diriger vers une accréditation individuelle. Nous souhaitons également que les procédures d’autorisation temporaire soient facilitées pour permettre le recrutement. Il est incompréhensible que des chirurgiens perdent leur compétence en changeant d’établissement. Nous estimons que ces mesures sont inéquitables en l’état pour les praticiens, pour les établissements et pour les patients. Le résultat est consternant pour la population autant que pour les professionnels de santé et les établissements de soins :

- Refus et impossibilité de travail dans les compétences acquises par des praticiens formés à la carcinologie pour des raisons purement administratives et mise en difficulté financière des établissements visés.

- Concentration des moyens dans les seuls grands centres, avec constitution de listes d’attente dans le contexte du cancer, où doit primer la rapidité de prise en charge.

- Perte de chance pour des patients, qui ne pourront ou ne voudront se déplacer à 50 ou 100 kilomètres, et aggravation de la morbidité et de la mortalité.

À l’heure de la désertification médicale, nous voyons se mettre en place une évolution centralisatrice, préjudiciable aux populations des villes de petite et moyenne taille, du fait du risque de la disparition des médecins spécialistes de proximité. Persister dans le refus d’utiliser leurs compétences, sur place, dans le domaine de la cancérologie serait un défi au bon entendement.

Nous vous demandons, Monsieur le ministre, dans un premier temps de suspendre les mesures coercitives en cours au niveau des ARS, et de permettre la révision des décrets, articles de loi et circulaire susmentionnés, afin de permettre le maintien de l’égalité de chance pour tous.

Veuillez agréer, Monsieur le ministre, l’expression de notre très haute considération.

* Le Dr Empinet est président de la CME de la Clinique Sud-Vendée et membre du Centre de coordination en cancérologie de Vendée ; le Dr Legroux, vice-président de la CSMF de Vendée, est membre du bureau de la Conférence de territoire de Vendée.

Le médecin généraliste et le cadre de la Sécurite sociale

Banyuls-sur-Mer (66)

Dr Pierre Frances

Par une belle soirée hivernale, la totalité des médecins libéraux de mon département ont été invités à une discussion conjointe syndicats et Sécurité sociale à propos de la nouvelle convention. Ayant répondu favorablement à cette invitation, je me suis déplacé pour écouter la bonne parole.

Un des responsables de la Caisse a donné dès le départ le ton. Il a remercié les médecins qui s’étaient déplacés, et nous a dit être reconnaissant « d’avoir fait le sacrifice d’un ou de deux patients ».

Que voulait-il dire par le terme « faire le sacrifice » ? Si nous nous référons au dictionnaire Larousse, faire le sacrifice, c’est avant tout sacrifier ses intérêts.

Deux explications viennent alors à mon esprit :

- Soit il a voulu nous remercier du fait d’avoir accepté de perdre 46 euros.

- Soit il a souhaité nous expliquer que pour venir, nous nous sommes permis de bâcler nos deux derniers patients.

Tout cela pour dire qu’il a une haute opinion de notre profession, et oublie parfois qu’être généraliste s’apparente à un sacerdoce.

Non, jamais un cadre administratif ne comprendra les véritables sacrifices que nous faisons pour soigner nos concitoyens ; ne refusant jamais de soigner l’indigent. Il est sûr que dans sa tour d’ivoire avec son traitement mensuel, il ne peut voir la réalité des choses.

Je commence alors à comprendre pourquoi nos jeunes confrères refusent de travailler comme des forçats, et se faire traiter de la sorte.


Source : Le Quotidien du Médecin: 9075